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Accrocs, déchirures et cicatrices

Accrocs, déchirures et cicatrices Zoom sur Accrocs, déchirures et cicatrices
(Suite de l'article)

Les associations collectives

On dirait à nouveau une carte vue d’en haut. Décidément on a fait beaucoup comme ça. Oui, des choses vues d’en haut. Il y a aussi un sablier. Non, plusieurs sabliers. Il y a en combien ? 1,2,3,4 ?
C'est comme un tissu à carreaux, pas très net.
Ca fait, comme un costume de… de… le truc comme un clown, un arlequin…
Ben oui, c’est le titre ! Tu n’avais pas vu ?
C’est un personnage qui fait rire, non ? En même temps, il y a aussi un visage triste, avec une bouche violette de travers, triste et le visage un peu écrasé.
Pire que Picasso, çà. Moi, je vois un corps de femme décharné. Enfin, y'a pas tout.
C’est quoi le titre ? Arlequin? Alors ça doit être plutôt çà, si c'est écrit ».



Tisser des liens...

L’un des dessins réalisés collectivement aujourd’hui est nommé "Arlequin". Il est accroché en position verticale. La trame de fond offre l’image d’un quadrillage irrégulier. C'est un ensemble de triangles de couleurs chaudes, un peu cabossé et chamboulé, pas très régulier. L'ensemble est ondulant et souple.

Voir les choses d'en haut, avec une nouvelle perspective, une mise à distance revient souvent durant cette séance. Mais les associations se bousculent, rapides et nous en sommes déjà au sablier. Cette figure labile, mobile et réversible est très fréquente dans les projections des groupes sur ce type de dessins. Lorsque certains groupes s'y arrêtent, ils commencent souvent par évoquer l'image du sablier qui mesure le temps, mais les associations suivantes concernent une fluidité inquiétante, un élément qui ne tient pas, une indistinction entre le haut et le bas, encore un doute sur le sens, sur le bon sens. Dans la séance d'aujourd'hui, l'un des participants s'échinera d’ailleurs à compter les sabliers, comme pour leur donner une meilleure stabilité.

L'image du tissu s'invite alors et j'aurais bien envie de parler des liens, du tissage de ces liens relationnels que ce patchwork m'évoque, mais les associations du groupe ne conduisent pas à cet endroit. Le tissu, présent dans l'atelier est une matière peu utilisée spontanément. Il est souvent ressenti comme « trop mou » pour être un support et « trop compliqué» au sens où il demande un effort pour le faire tenir et l'organiser. « On est tous dans le même sac » est une phrase souvent entendue dans cet atelier. Un sac de peau ? Le cuir est préféré au tissu car « il tient mieux » et les patients recherchent clairement des cuirs épais, comme une peau plus solide.

Le lien se retrouve plus souvent, lors de la seconde séance de réalisation d’un projet personnel, dans des objets en macramé où le n½ud a bien du mal à être intégré dans sa réalisation, même avec une simplification extrême. Rien à faire, je dois toujours participer activement à ce nouage de liens. Je me souviens de Y. un patient revenu en hospitalisation, et qui regrettait d'avoir perdu un bracelet brésilien réalisé avec mon aide. Il a demandé à refaire le même, parfaitement conscient que cela allait être difficile et nécessiterait à nouveau mon intervention. Et lorsqu'il m'a demandé de faire le n½ud du bracelet à son poignet « bien serré » pour qu'il tienne plus longtemps cette fois, j'ai entendu ce qu'il me disait là en termes d’une attente de liens affectifs solides.


...Pour prendre corps

Dans les associations groupales, le tissu se transforme rapidement en costume, suivi d'une interrogation articulée autour du nom qui pourrait donner du sens à cet ensemble. Étonnement que le nom trouvé corresponde au nom inscrit. Le flux associatif qui circule ensuite dans le groupe oscille entre un arlequin dont ils se demandent s'il fait rire, s'il véhicule du gai et du positif sans en être bien sûrs, et entre des images moins drôles surgissent. Le visage n'est pas très bien délimité, la bouche est de travers, la tristesse se dit. Le corps se décharne. Tout n'est pas là. Le vêtement ne suffit pas à densifier l'être et même en convoquant Picasso, l'objet ne trouve guère un corps solide, satisfaisant, complet, contenant. Le groupe revient alors au titre posé comme venant déterminer un nom à cette forme qui a du mal à prendre corps.

Ce personnage a un nom qui rassure, une identité. Cette notion d’identité m’évoque l’engouement des patients pour la calligraphie chinoise, lors de la seconde séance permettant une réalisation personnelle. La calligraphie de prénoms en signes chinois s'est en effet, révélée progressivement comme « une valeur sûre » de cet atelier. Cette notion de prénom, marqueur de l’identité personnelle, semble fondamentale, même si la signification n’est pas directement accessible et que cette identité reste inscrite dans des signes qui ne sont pas lisibles. Il est à remarquer que cette identité mystérieuse en lettres chinoises vient souvent se tatouer sur leur peau, comme si les mots peinaient à s’inscrire sur la face intérieure du moi-peau en représentations psychiques et qu’à la place elle vienne se déposer sur la surface extérieure, en marques visibles et incarnées.

La constitution d’un corps propre et d’une identité, les réparations d’une contenance incertaine, le nouage de liens sont autant d’étapes proposées lors de l’hospitalisation, parsemées çà et là, dans un groupe de thérapie ou un autre. Toutefois, il est bien difficile, pour certains patients de s’y retrouver. C’est pour leur permettre de reconstituer quelque chose d’une unité entre les différents groupes que nous avons mis au point en équipe pluridisciplinaire, un carnet de bord. Dans ce carnet, le patient peut consigner ses notes personnelles qui vont côtoyer les messages que les thérapeutes souhaitent faire passer en éducation thérapeutique. Pouvoir créer du lien entre les différents groupes de thérapie nous semblait important et l’analyse de ces vécus multiples et croisés, montrerait sans doute, des interactions signifiantes. Ainsi, la diététique vient faire un petit tour dans cette séance d’une part par la présence du stagiaire diététicien et d’autre part par l’oralité positive proposée dans le « groupe cocktails ».




Les écrits de cet article sont la propriété intellectuelle Muriel Launois et n'engagent qu'elle.
Il est paru dans : Clinique et médiation (Regards croisés sur les médiations thérapeutiques)
Ouvrage de groupe, sous la direction de Florence Klein, préface de Pierre Delion, L'Harmattan, Paris, Août 2016

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