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Des squiggles
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Squiggle groupal
Notre nouvelle vie
(Suite de l'article)
Les associations collectives
:
« Le titre, c'est « notre nouvelle vie » et j'ai mis plein de jaune pour le finir, c'est la lumière qui va nous faire du bien. Ça, c'est un jardin, vu d'en haut.
Oui, moi je vois des arbres, là, une allée de sapins rouges.
Pourtant, ça reste vert même en Automne.
C'est imaginaire ! C'est boueux, le truc central. Et là il y a un petit pont chinois, là, juste à côté du chemin.
Les grosses lignes sont les chemins, comme celle-là, la grosse orange.
Moi je vois une grosse assiette avec des trucs dedans à manger, des bons trucs. Hum, avec des écrevisses, ou d'autres trucs, je ne sais pas quoi. Un ver de terre... (Rires). Et le carré vert c'est un rétroviseur ».
La chronologie proposée dans la lecture des dessins est issue du «
hasard
» de leur accrochage, mais elle offre, souvent, des coïncidences, sources d’associations d’idées et des similitudes dans les thématiques. Le premier dessin collectif nous entraine donc dans des images d'un monde devrait être plus beau après. Mais après quoi? Les associations d'idées collectives semblent buter là sur un "
avant
" qui prend corps dans un "
derrière
". En effet,
le silence se prolonge, sur ce mot :
le rétroviseur
. Je demande ce qui peut être visible dedans, mais le silence persiste. Visiblement, ce qui est derrière (passé? éléments qui arrivent dans le dos? Choses à refouler et ne pas voir? Bidules potentiellement dangereux?) n'invite pas à aller voir et je n'insiste pas.
Les phénomènes de groupe
Je souligne que c'est B., une femme avec une forte présence aussi bien physique que verbale, qui a éclairé le dessin pour mettre de la lumière. J'invite les autres participants à réagir sur le mot «
notre
» nouvelle vie. Ce «
notre
» vient inscrire d’emblée la notion de groupe vécu par les patients depuis un peu plus d’une semaine. Vont-ils être d'accord pour se laisser ainsi définir par l'une d'entre eux? Il est à remarquer que ce type de situation est très fréquent. Une telle parole affirmée comme venant du groupe, comme si un "
Je
" était équivalent au "
Nous
", est le plus souvent, acceptée sans aucun problème, indiquant déjà la force de l'illusion groupale.
Les patients n'ont pas choisi d'être en groupe car ce dernier est
construit de façon artificielle
par l'entrée en hospitalisation. Quelles représentations ont-ils d'eux-mêmes, en tant que groupe «
d'alcooliques
» ? Quelles représentations avons-nous, les thérapeutes, de ces personnes ? De quel genre de groupe parlons-nous ? Pourquoi donc, lors des synthèses, entend-on dire, cette semaine c'est un «
bon groupe
» ? Où cette semaine, «
le groupe est dissipé, difficile
» ? R. Kaës (2000) nous indique que les représentations que nous avons, par avance, de l'objet groupe vont impacter avec force sur nos réactions et nos contre-transferts personnels ou groupaux. Une supervision des thérapeutes pourrait avoir tout son intérêt dans de telles situations, personnelle ou d'équipe.
Les phénomènes groupaux
sont multiples pour les patients. Les identifications mutuelles sont nécessaires et sécurisantes, mais aussi sources de rejet. Certains patients, très abîmés peuvent susciter des réactions d'empathie, mais ils peuvent aussi devenir boucs-émissaires, porteurs de visions de soi, dans un futur potentiel, très dérangeantes. L'émergence de leaders s'inscrit souvent dans des attitudes de prestance, de renforcement d'un narcissisme mis à mal ou dans un mouvement d'opposition face à la figure d'autorité projetée sur les thérapeutes. L'émergence de couples vient aussi s'inscrire, le plus souvent comme une résistance à la thérapie.
D. Anzieu et J-Y. Martin mettent en évidence que parfois
«
les individus demandent au groupe une réalisation imaginaire de leurs désirs refoulés
» .
S’il ne s’agit pas là d’un désir refoulé de B., il semble bien qu’elle s’approprie une supposée attente groupale d'une nouvelle vie, attente qui ne sera pas démentie par les autres personnes, si familières des thématiques de la tabula rasa ou du nouveau départ. B. sera clairement identifiée par le groupe comme une bonne mère, sur un plan réel, car « elle prend bien soin de ses enfants » et aussi sur un plan fantasmatique, se situant du côté de la lumière réparatrice et surtout du «
plein
», consommant force matériel dans une imposante réalisation personnelle. Cette image d’une mère «
comblante
» est souvent attendue par les patients, avides de présence, d’aide et de «
nourriture matérielle
». Cette image est, le plus souvent projetée sur l'ergothérapeute, avec parfois, des déceptions si la
"nourriture
" n'est pas suffisante, limitée ou si la "
préparation
" doit se faire de façon trop autonome, sans aide ou conseils techniques, souvent jugés insuffisants. Il est à remarquer que la définition d'un bon holding thérapeutique, issue de WInnicott, ne semble jamais être suffisant pour ce type de patients"
a-vides
".
Table et oralité
Une autre image, celle de l'assiette, focalise alors les projections. Pour Anzieu (2008), un groupe peut s'organiser autour d'un surmoi persécuteur (le groupe-machine), autour de la pulsion orale (le groupe sein-bouche, le groupe-sein-toilettes) ou autour de la pulsion de destruction (fantasmes de casse, résistance paradoxale). L'oralité s'invite ici dans l'image de l'assiette et la question se pose de savoir si ce qui va être mangé est bon ou non. Au fil des séances, j'ai pu constater la présence systématique de
projections d'éléments nourriciers
, avec toujours ce questionnement oscillant entre bon et mauvais, ici, entre écrevisse et ver de terre. Nous retrouverons d’ailleurs, une image d’huître délicieuse dans un autre dessin.
Parfois, l'association avec le produit se fait, oscillant lui aussi, entre bon ou mauvais. Pourtant, M. Monjauze (2011) pense que l'alcool n'est pas inscrit comme un objet érogène oral. Pour elle,
l’alcool est un objet ambigu.
Cette ambiguïté, entre bon ou mauvais, peut nous conduire à des pistes plus archaïques, celles de M. Klein (citée par M. Monjauze, 2011) qui définit les premiers processus psychiques comme étant l'introjection ou la projection, non pas uniquement d’éléments nourriciers réels, bons ou mauvais, mais aussi fantasmatiques.
Il est quelque part question de se mettre à table. Qu’en-est-il de la table, zone centrale s’il en est dans cette salle, zone où tout se joue et se déroule, se pose et se dépose ? L’installation de cette table a toute une histoire. A force de constater une migration quasi permanente des petites tables qui, comme par magie, se rassemblaient pour ne former qu’une seule grande et belle table potentiellement nourricière, j’ai fini par entendre le message des groupes successifs : le besoin d’être tous ensemble dans un cercle familier et qui peut alors
convoquer du familial
. R. Kaës (2000) nous indique, en effet, que dans un groupe les images du premier groupe, le groupe familial, sont souvent projetées et les personnes participantes ont tendance à retrouver les premiers rôles qu’ils y ont joués. La «
grande table
» est donc restée, malgré toutes mes tentatives de séparer la tablée collective. Il est à remarquer que, dans la réalité de la salle à manger, ce type de migration était tellement fréquent qu'une règle institutionnelle a du être posée pour limiter les mouvements de tables intempestifs, inscrivant des sous-groupes, des refusés, des préférés et toute une thématique relationnelle sous-jacente, probablement issue des vécus familiaux de chacun.
Je remarque aussi que, depuis une table légèrement différente des autres qui est devenue ma place au fil des séances, je suis souvent attendue dans une
«
position de surmoi
»,
autant par les patients, guettant mes réactions face à leurs retards transgressifs fréquents, que par l’institution qui attend que je sanctionne ces retards. Cette table ajoutée et différente se trouve du côté de l'entrée de la salle et même lorsque je ne m'y tenais pas, cette simple différence de la table et sa position souvent ressentie comme étant celle de la "
maîtresse, prof ou ergo
" n'incline jamais personne à s'y installer. En début de séance, j’assume donc le rôle attendu de
"chef, animatrice
" , rôle qui s'inscrit, dans un premier temps, dans le fait d’être garante de la présence de la loi. J'énonce ainsi les règles du déroulement des 2 séances : le temps de la créativité groupale avec le choix entre 3 consignes d’expression, puis le passage à un projet personnel sous la forme d’un objet concret.
Un surmoi groupal
Dans cette nouvelle vie, ce qui est moche et chaotique n'a pas sa place, tout comme le produit qui devrait disparaitre. Il y a peu d'investissement de la zone centrale, brune et vécue comme sale. Un des participants évoque une image de boue, mettant un nom sur cette zone désorganisée et sombre, mais personne ne rebondira sur cette association. Une mauvaise part d’eux-mêmes qui s’affirme dans une image liée à l’alcool. En effet, La spirale qui sort de cette zone sera évoquée, plus tard, sous la forme d'un tire-bouchon, lorsque nous parlerons d'un autre dessin. Cette spirale sera alors assortie d'un
interdit de parler de « çà »
, sous-entendu de ce qui peut conduire à réutiliser de l'alcool. Un surmoi de groupe semble bien être à l’œuvre, quelque part dans ces remarques.
R. Kaës (2000) postule que les instances psychiques personnelles que sont le çà, le moi et le surmoi, peuvent trouver une voie d’expression dans la situation groupale, lors de la création d’un
appareil psychique groupal
. Nous pouvons retrouver dans la séance décrite de gribouillages groupaux, l’écho de cette création, même si pour qu’un véritable
appareil psychique groupal
15 jours de sevrage semblent un temps probablement trop court. En ce qui concerne le
"çà groupa
l", les gribouillages collectifs vont permettre l’émergence d’une sorte de magma plutôt pulsionnel et peu organisé, source de projections graphiques encore peu élaborées. Ce magma sera progressivement mis en mots par un
"moi groupal"
, émergeant souvent timidement et qu’il faut reconnaître et étayer.
Mais c’est souvent le surmoi qui semble prendre une grande place dans les groupes de patients.
Je remarque que ce
"surmoi groupal"
de ces patients est souvent étayé sur les images sociétales, plus ou moins négatives, elles-mêmes projetées sur les « alcooliques », et qui créent un surmoi ayant une coloration très interdictrice. Ce surmoi interdicteur intégré par les patient, est pleinement relayé par le
« surmoi institutionnel »
qui s'inscrit comme venant poser des limites à la consommation des produits. Les discours sur ce qui est bien ou mal, en ce qui concerne l’alcool, oscillent donc entre une intégration de ce surmoi proposé par l’institution, leur permettant de tenter de se donner des freins, et un rejet de ces dimensions vécues comme trop moralisatrices et interdictrices, provoquant des transgressions diverses.
Le dessin «
Notre nouvelle vie
» peut être entendu comme un témoignage de cette constitution d’un appareil psychique collectif qui va progressivement permettre des
amorces d’élaborations psychiques
de ce qui s’est joué dans le groupe ou de ce qui se projette ensuite dans les verbalisations sur les dessins. Les gribouillages ludiques visent donc à permettre l’émergence du pulsionnel et l’atmosphère qui se dégage de ce temps en témoigne clairement. Je me souviens en particulier d’un patient, lors d’une autre séance, qui expédiait rageusement les dessins d’un trait agressif, destructeur. Au bout d’un moment, le regard et les remarques des autres n’ayant pas eu l’effet de culpabilisation recherché pour le faire arrêter, cette pulsion agressive a été intégrée par le groupe, puis gérée ensuite en paroles. Le début de la séance est donc constitué d’émergences archaïques, provoquées par la consigne, d’un çà groupal dont les projections graphiques vont se lier, petit à petit, à travers la mise en mots réalisée par le «
moi
» du groupe. Il s’agit là de favoriser et soutenir l’émergence de ce moi groupal, le fameux «
nous
», dont il faudra veiller à ce qu’il devienne le terreau du «
Je
».
Les écrits de cet article sont la propriété intellectuelle Muriel Launois
et n'engagent qu'elle.
Il est paru dans :
Clinique et médiation (Regards croisés sur les médiations thérapeutiques)
Ouvrage de groupe, sous la direction de Florence Klein, préface de Pierre Delion, L'Harmattan, Paris, Août 2016
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