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Accueil » Etre ergo en psy » Privation et occupation 2021

Intervention


Questionnaire

Durant ces deux confinements, notre vie quotidienne, nos activités et surtout nos habitudes ont été bousculées. Dans le domaine de la santé mentale, un questionnaire a été proposé à des patients hospitalisés ou venant en hôpital de jour (HDJ). Ce questionnaire, a été créé par Alexandre Bernez, tout d’abord dans le cadre d’un groupe de quatre patients venant en HDJ une fois par semaine afin de les inciter à réfléchir sur l’importance de leurs occupations dans tous les domaines de la vie quotidienne et d’impulser un questionnement sur leur équilibre occupationnel.

Notre but était d’obtenir des informations sur la façon dont les patients réagissaient à la situation de confinement et comment ils s’y adaptaient. Ce questionnaire a été créé comme un support d’échange, volontairement simple, et proposait une liste des activités potentielles des personnes : activités productives, de soins personnels, de loisirs, activités physiques, la vie relationnelle et les activités de repos. Une feuille était intitulée « mes activités hors confinement » et l’autre « mes activités pendant le confinement ». Nous avons pu nous appuyer sur les réponses du questionnaire pour susciter et favoriser l’échange avec les patients afin obtenir plus d’indications sur leurs occupations.

A notre grand étonnement, les modifications des occupations de ces patients schizophrènes n’ont pas été dans le sens que nous imaginions, les différences entre confinement et non confinement n’étant pas si importantes que cela. Les patients eux-mêmes ont été interpelés par cet état de fait. Face à ce résultat, le questionnaire a été proposé à d’autres patients hospitalisés, souffrant plutôt d’états dépressifs. Le peu de réponses ne permet pas bien sûr de tirer des conclusions générales mais vient s’inscrire comme un témoignage du vécu de quelques personnes en santé mentale, interrogeant le vécu occupationnel des patients psychotiques.



Témoignages des patients du groupe « autonomie et projets »

Ce groupe hebdomadaire propose un temps d’échanges autour de l’autonomie, des projets de vie des participants et des « petits » projets de sorties préparées par les participants au groupe. Les outils utilisés sont l’auto-bilan Eladeb, des jeux centrés sur les activités de vie quotidienne (jeux du commerce, créés ou co-créés avec les patients), des temps d’échanges et de discussions autour des besoins des patients et des sorties, pour des mises en situations écologiques, mais aussi pour des temps de convivialité. L’animation des séances est centrée sur le partage de stratégies, sur les compétences de chaque participant, sur leurs besoins et leurs demandes.

Voici donc les témoignages des 4 participants de ce groupe :

Mme G, 40 ans (HDJ)
« Pendant le confinement, pas grand-chose n’a changé. J’avais ma mamie et mon conjoint, donc on pouvait parler, faire les courses et à manger comme avant. C’est le cinéma qui a été arrêté, mais on n’y va pas beaucoup de toute façon. Les activités à l’hôpital ne m’ont pas trop manqué. Je prenais deux douches par jour, comme avant. Je me levais à la même heure. Je n’ai pas de travail de toute façon. Donc pas trop de changements. »



Mr K, 45 ans (HDJ)
« Pendant le confinement, je prenais ma douche et je me brossais les dents, de la même façon que d’habitude, pendant 30 minutes environ. On est à la campagne et je pouvais aller marcher, seul, avec le chien de mes parents, ou avec mes parents qui n’habitent pas loin. L’hôpital de jour ne m’a pas trop manqué, parce que je pouvais téléphoner à l’infirmier du CMP quand il fallait. C’est sûr, la covid ça fait de l’inquiétude mais à la campagne, on se sentait protégé presque, il n’y a pas trop de monde. Et puis la famille est pas loin. Je bricolais, mais comme avant, avec difficulté, ça c’est plutôt à cause de ma maladie, avec des hauts et des bas. Dans la journée je me reposais 2 à 3 heures, et la télé pendant 2 heures aussi. Mais ça c’est tout le temps. C’est plutôt mes hauts et mes bas qui m’ennuient, pas envie de faire mon bricolage, je dois me forcer un peu quand même. »


Mme V, 22 ans (HDJ)
« Je ne travaille pas. Il n’y a pas eu de changements pour la toilette, l’habillage et tout ça. J’ai arrêté le judo, mais c’était avant la covid, à cause de ma cheville. Je suis dans une famille d’accueil et c’était comme avant. Juste j’avais peur pour ma tata de la première famille, parce qu’elle est déjà malade, donc elle pouvait avoir la covid. Je n’avais pas peur pour moi, je suis jeune. Ce qui m’a manqué c’est les amis et le groupe de l’hôpital de jour, une fois par semaine. Ça, ça a bien manqué, je voyais plus trop de monde. Aussi le shopping, j’aime bien çà. J’ai continué les coloriages de mandalas et les coloriages magiques. Ah oui, je dormais plus dans la journée, comme je m’ennuyais je faisais des siestes de 2 ou 3 heures. Un peu comme quand je ne vais pas bien. Et du coup le matin, j’étais réveillée plus tôt. »


Mr M, 46 ans (HDJ)
« Pour le travail, pendant le confinement, c’était zéro. En dehors du confinement, je viens en HDJ 4 demi-journées par semaine et c’est du boulot, ça fait quand même 16 heures...Pendant le confinement je prenais moins de douches, 2 par semaine, parce que je ne venais pas en hôpital, sinon, c’est plutôt 3 à 5 douches par semaine. Pour les loisirs, ça n’a rien changé, 4 à 6 heures par jour, je joue à la PS3, aux dés avec ma mère et je regarde la TV. Pour les activités physiques, hors confinement, je faisais 3 séances de 40 minutes par semaine à ETAPE (CATTP centré sur le sport) de marche et musculation douce. Finalement, je marchais plus pendant le confinement parce que ma maman me faisait sortir plus pour aller un peu dehors. Je dors entre 10 et 14 h par jour, et ça c’était pareil. Dans la case de la vie relationnelle, j’ai mis ma maman, et hors confinement les ergos et les infirmiers. Je n’ai pas trop d’amis, je suis un peu méfiant dehors. Ah oui, et j’ai mangé beaucoup de glaces, jusqu’à 90 par semaine... »



Témoignages des personnes dépressives

Le questionnaire, pour ces patients dépressifs hospitalisés, a été proposé cette fois en individuel, à différents moments liés au contexte du covid-19. Ce biais aurait pu être gênant dans une démarche de recherche et vient s’inscrire ici comme un constat, le principal intérêt étant dans cet article d’entendre des versions différentes du vécu des répercussions de la Covid-19 dans le cadre de la schizophrénie ou de la dépression. Certains témoignages ont été résumés.


Mr P, 30 ans (hospitalisation pendant le premier confinement)

« Ce qui a changé pour moi, c’était qu’il n’y avait plus de sport à ETAPE. Je marchais aussi dans le parc, mais plus du tout quand on était confiné. Je ne pouvais plus aller manger des tacos. Et surtout, je ne pouvais pas faire de visites chez ma mère. C’est plutôt pour elle que j’avais peur pour la covid. Je dors déjà pas mal dans la journée, sauf quand je suis sur mon ordinateur. Et ça, ça n’a pas changé, je travaille et je programme de la même façon, pour me préparer à ma formation de concepteur web. »

Mr O, 62 ans (hospitalisé après le premier déconfinement)
Mr O évoque le sentiment d’avoir vu sa vie s’écrouler à cause de la Covid-19. Il est en retraite et vit seul. Il nous indique qu’il voyait très peu son fils habitant dans le midi et que seule une personne venait lui rendre visite pour lui faire son ménage une fois par semaine. Cette personne n’étant pas déclarée officiellement, son travail s’est donc arrêté durant le confinement, renvoyant Mr O à sa solitude. Très effrayé par l’idée d’être contaminé il ne sortait plus du tout alors qu’il marchait auparavant et pouvait entrer en relation, même à minima, lorsqu’il faisait ses courses. Une personne d’un magasin lui ayant proposé de faire ses courses, il a accepté. Mr O remarque, avec un certain fatalisme qu’il était déjà confiné avant, car il constate en remplissant le questionnaire, qu’il ne fait que peu d’activité physique (marche), et qu’il n’a pas de loisirs. Il explique alors, qu’il est resté de plus en plus au lit, se lavant de moins en moins et maigrissant à tel point que sa femme de ménage, lors du déconfinement, a appelé son fils en catastrophe. Il a été hospitalisé en psychiatrie et craint désormais de sortir de l’hôpital et de ne pas pouvoir retrouver « une vie, au moins un peu plus acceptable. »

Mme N, 54 ans (hospitalisée pendant le second confinement)
Mme N nous dit d’emblée, avant même de remplir le questionnaire, que sa vie n’a guère changée. Elle indique qu’elle est très « casanière », ne travaille pas et ne sort presque pas. Elle n’éprouve pas le besoin d’avoir des loisirs, car elle a une grande maison où elle invite famille et amis pour qui elle apprécie de cuisiner. Ses activités physiques sont centrées sur le ménage et le jardinage. Au fil de la discussion, elle finira par découvrir que c’est le manque de vie relationnelle qui lui a posé le plus de problème. Le questionnaire et la discussion lui ont permis de faire des liens signifiants entre le contexte et sa nouvelle décompensation lors du second confinement.

Mme F 60 ans (hospitalisée lors du second confinement)

Mme F nous indique qu’avant le confinement, elle fréquentait une médiathèque lui permettant d’emprunter des livres, de s’assoir au milieu d’autres gens pour lire des revues et se sentir moins seule. Elle appréciait beaucoup les concerts, récitals, expositions gratuites, proposées par cette médiathèque. Elle évoque également le fait qu’elle ne pouvait plus se promener dans le parc et que le béton est bien moins agréable que la nature. Elle indique qu’elle avait donc moins d’activités physiques parce qu’elle craignait la contagion pour elle, et surtout pour sa mère âgée avec qui elle s’était confinée.

Elle souffrait d’insomnie, souligne que cela datait d’avant le confinement, mais que l’anxiété lié au Covid a aggravé quand même les choses. Ce qui a été le plus problématique pour elle c’est que, n’étant pas motorisée et faisant les courses une seule fois par semaine, elle ne pouvait pas acheter d’alcool. La présence de sa mère avait également, dit-elle, un effet de limitation de sa consommation. Elle souligne donc qu’elle a fait un quasi sevrage seule et a souffert de symptômes de manque, en particulier des tremblements. Ce sevrage solitaire, qui aurait pu conduire à des troubles graves, ne lui a pas permis de maintenir une abstinence et dès la sortie de confinement, elle a repris ses consommations. Lorsqu’un second confinement s’est profilé à l’horizon, elle a donc préféré venir à l’hôpital pour pouvoir conduire un véritable sevrage et entamer une psychothérapie de soutien, afin de travailler sur les causes profondes de cette addiction.


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