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Un bout de tissu

Un bout de tissu Zoom sur Un bout de tissu




Des "visites thérapeutiques"
Des petits bouts de tissus variés

Une histoire à raconter






R est accueillie en milieu intra-hospitalier pour une dépression récurrente d'intensité majeure. C'est sa 5ème récidive, dit-elle. Elle connait l’hôpital et les séances d’activités thérapeutiques proposées. Elle intègre le groupe de relaxation où elle bénéficie de deux séances, durant lesquelles sa surdité et son sentiment de dévalorisation finissent par conduire à un arrêt des séances. L'écoute musicale lui est alors proposée mais elle y retrouve rapidement, ses sentiments de dévalorisation, même face à une médiation pourtant nourricière et réceptive. Les séances devenant une obligation douloureuse pour elle, une indication d'une prise en charge individuelle est posée, avec pour consigne de respecter son incapacité à être dans le "faire" pour tenter de créer du lien relationnel. Ces séances, pour qu'elles ne soient pas vécues comme persécutives au sens d'une exigence de notre part envers elle, sont nommées des "visites thérapeutiques". Une situation pas tout à fait inédite pour moi et que j'utilise, parfois, pour créer une alliance.

Elle ne peut pas bénéficier d'un traitement par sismothérapie pour des raisons médicales et un traitement médicamenteux est donc proposé. Son histoire personnelle et clinique ne seront pas développées pour des raisons de confidentialité évidentes sur un site internet, mais aussi pour privilégier la situation thérapeutique mise en éclairage. Il reste que tout ce qui se joue ailleurs que lors des séances d'ergothérapie, constitue un ensemble de soins dans une équipe pluri-disciplinaire et que c'est tout ce travail qui permet à la patiente d'aller mieux.


Séance 1    Discussion dans la chambre
R est dans le fond de son lit, dans une chambre double. Quand je la salue, elle s'assoit sur son lit, inquiète de savoir ce que je peux bien lui vouloir. Je lui demande si je peux m'assoir à ses côtés et elle accepte, assise toute raide durant les 20 minutes d'entretien. Sa voisine de chambre et présente, mais cela ne semble pas la déranger outre mesure. Elle parle de son ressenti, de sa peur permanente, de ses angoisses, de son sentiment de devenir folle , de perdre la mémoire et que cette fois, elle ne va pas récupérer. Elle évoque que pourtant le traitement semblait efficace, et que tout à coup, "cela ne marchait plus".

Elle ne peut pas relier sa rechute à une situation particulière, notant tout de même, que c'est lors de vacances avec son mari et qu'ils ont du rentrer en "catastrophe". Ce mot émaille souvent son discours. Plus la discussion avance, plus la plainte grandit et plus l'angoisse transparait dans son corps. Au bout de 30 minutes je propose de revenir la voir le lendemain si elle le souhaite. Elle me signifie qu'elle ne pourra rien faire et je souligne que je viens juste lui rendre visite.


Séance 2    Vêtements et couture
Lorsque j'arrive le lendemain, R se lève tout de suite et me demande si nous ne pourrions pas aller ailleurs. C'est donc elle qui vient de rétablir le besoin de confidentialité nécessaire à une thérapie. Nous sortons donc de sa chambre, à la recherche d'un lieu de tranquillité. Comme nous n'avons pas de salle d'ergothérapie dans l'unité et que la salle est de toute façon loin et occupée, nous squattons donc un bureau de consultation, froid et impersonnel. Il est même plutôt bruyant, ce que je constate tout haut mais j'évoque le dur principe de réalité: "pour être tranquilles, il n'y a que cet espace".

Je suis encore venue les mains vides et je l'écoute. Elle dévide à nouveau des plaintes, mais cette fois me raconte son histoire, centrée sur sa relation à son mari. Je connais déjà l'histoire mais c'est ce qu'elle souhaite partager aujourd'hui. Bien consciente que je suis ergothérapeute, et m'ayant connue lors des séances de relaxation, elle sait qu'elle peut potentiellement attendre de moi, aide et empathie pour aller vers du bien-être.

A un moment de l'entretien, elle souligne donc un problème très concret, centré autour des vêtements. Je suis sensible à ce discours, d'une part pour des raisons personnelles me conduisant à apprécier le travail du tissu et d'autres part pour des raisons professionnelle, me conduisant à travailler sur le moi-peau et l'enveloppe corporelle lors de mes séances de thérapie. Intéressant de constater que, d'emblée, elle se situe dans des zones qui peuvent mobilier mes capacités et même mes intérêts. Je suis toujours étonnée de voir comment nos patients, pour se faire aider, savent intuitivement aller dans des zones où nous pouvons être "touchés", du moins les patients dont l'empathie leur permet, quelque part, de décoder quelque chose de nous.

Ce sont souvent des patients dont nous percevons, alors, que nous allons pouvoir les aider, sans bien savoir pourquoi. Cette possibilité d'aider l'autre ne vient pas uniquement de notre désir conscient d'aider ou de notre position de thérapeute, mais prend souvent ses origines dans notre propre histoire et dans notre psychisme qui va pouvoir alors entrer en résonance avec celui de la personne en face de nous.
Et quelque part, dans un coin de mon esprit, j'entends la voix de celle qui m'a longtemps supervisée, me faire remarquer que lors de cette séance , je porte justement un vêtement que j'ai réalisé, avec une sorte de patchwork très irrégulier. Une étrange coïncidence dont Jung nous dit qu'il  s'agit dune synchronicité, c'est à dire la coïncidence de deux événements qui soudain prennent du sens, lorsque tout à coup, ils se relient ensemble. C'est une alchimie mystérieuse qui fait que nous nous sentons touchés (ou pas) par une personne, par une histoire. Et c'est aussi pour cela que, parfois nous ne pourrons pas, justement aider une personne, paradoxalement pour les même raisons.

En "bonne" ergothérapeute, je lui propose alors deux pistes d'action possibles

  • Une piste très réaliste et concrète, plutôt à visée ré-éducative en mode TCC: "et si je vous proposais d'aller acheter avec vous des vêtements, puisque vous dites que vous ne pouvez plus le faire, que vous avez du mal à choisir et à vous faire plaisir?". J'explique toutes les bonnes raisons et méthodes que nous pourrions développer. Elle m'indique qu'elle a déjà pratiqué cela avec sa fille et que cela n'a pas marché du tout...J'entends bien aussi que j'ai à peu près l'âge de la dite fille et je range mes intentions de ré-éducatrice.
  • Une piste imaginaire, plutôt à visée d'expression personnelle et de conscience de soi: "Et si j'amenais des tissus pour que nous en parlions?". Elle accepte cette seconde piste à la condition express que je ne tente pas de lui faire faire quoi que ce soit en tissu, car même si elle a longtemps pratiqué la couture dans son métier et par gout personnel pour faire ses vêtements, elle ne se sent plus aucune compétence ni aucune envie de réaliser quoi que ce soit. Je la sens très intriguée, se demandant bien où je veux en venir avec mes bouts de tissu.



Séance 3          Les tissus

Nous avions convenu de nous retrouver le lendemain, mais la petite salle n'est pas disponible et nous voici dans une autre salle, plus chaleureuse. C'est une salle occupationnelle, ouverte aux patients pour qu'ils puissent jouer, lire, colorier des mandalas ou faire de l'origami. C'est une salle que j'ai aménagée et dans laquelle je pratique des jeux thérapeutiques une fois par semaine. Elle y a déjà participé, avec un fort sentiment d'échec. Le collectif lui renvoyait, en effet, une telle expérience de comparaison que la dévalorisation était au premier plan. Elle n'est jamais revenue à cette activité qui est ouverte et libre de tout engagement thérapeutique, offrant des séquences de socio-thérapie, à visée d'interactions relationnelles ludiques. Nous investissons ce lieu ouvert, et, par chance, personne ne viendra durant la séance. Intéressant que nous venions, en quelque sorte, réparer quelque chose autour de ce sentiment d'échec associé à cette salle. Je constaterais ensuite, que, parfois, je la retrouve dans cette salle, tentant à nouveau des interactions avec les autres, ou même simplement d'être assise à leurs côtés.


J'ai amené un sac remplit de morceaux de tissu variés, coupons de 30 ou 40 cm environ. Je les sors du sac et les pose devant elle. Elle s'empare des tissus, les touche et se met à les nommer en termes de reconnaissance du type de tissu dont il s'agit et du type de vêtement qu'il est possible de faire avec. J'ai le sentiment de recevoir une leçon de couture, comme elle le proposait sans doute, dans son métier d'éducatrice avec des adolescents handicapés. Je joue donc le jeu. Nous papotons autour de ces tissus, de leurs facilité pour les coudre ou pas, de leurs destinations éventuelles en termes de type de vêtements pouvant se concrétiser avec de telles matières.


Elle évoque son côté technicienne et me fait remarquer que le vêtement que je portais l'autre jour, n'était guère conventionnel en terme de patchwork. Nous en plaisantons ensemble et je souligne ma flemme naturelle à faire quelque chose de trop précis. Une comparaison s'engage pour elle, que j'ai tout intérêt à soutenir, de mon côté, en position basse. Je met donc l'accent sur mes failles en termes de technique. La position basse permet au patient de ne pas se situer dans la relation à l'autre comme un "objet de soin". Mais pour utiliser la position basse, il est important que cela ne soit pas juste  une posture intentionnelle, mais que cela puisse s'appuyer sur une réalité et sur une dimension authentique d'un élément de réalité. Le patient peut ainsi s'appuyer sur une identification à quelqu'un qui a lui aussi, des faiblesses. Elle sourit de cette distinction entre une technicienne soigneuse et une bricoleuse un peu brouillonne, constatant que cela offre avantage et inconvénient des deux côtés.


Progressivement, nous glissons vers des notions de texture, de plaisir à toucher, de couleurs et les associations d"idées se délient petit à petit, abandonnant les notions de vêtement et d'éléments réalistes. Les tissus peuvent devenir des objets, puis des animaux, s'associer à des paysages, des odeurs, des sensations de plus en plus proches du corps. Bien sûr, ces associations d’idées sont un tantinet orientées aussi par mes propres associations qui entrent en lien avec les siennes. Ça rebondit durant 30 minutes et la fin de la séance point le bout de son nez sans crier gare. R est surprise du temps que tout cela a pu durer, sans qu'elle ne voit le temps passer. En fin de séance, elle souligne quand même, qu'elle n'a rien fait de concret avec les tissus. Elle les plie soigneusement avant de les remettre dans le sac.



Séance 4       Le conte

Entre les deux séances, ma formation à l'hypnose Ericksonnienne, me conduit à tenter d'utiliser une histoire de transformation, c'est à dire, la re-formulation des éléments proposés par la patiente, sous une forme d'histoire métaphorique afin de lui proposer un message symbolique d'évolution possible. Ce récit nécessite alors de redonner cette histoire à la personne, en mode hypnotique, afin de ne pas s'adresser à la conscience volontaire mais plutôt au sub-conscient, voir à l'inconscient de la personne. J'ai donc écrit un conte que je lui ai raconté durant la séance. (voir  conte ).


Je lui raconte donc cette "jolie histoire" comme elle l'a nommera elle-même, pour m'entendre dire que c'est bien gentil tout cela, mais totalement imaginaire...Malgré l'enseignement qui m'a été donné en thérapie brève, (indiquant que la métaphore thérapeutique, pour être efficace, doit uniquement suggérer et ne pas expliquer), je lui demande si, tout de même, cette histoire n'a pas un lien avec elle...Mais, fine mouche, elle m'a vue venir! Elle me dit que, bien sûr, elle reconnait de ci delà, des éléments de sa vie, mais que la "ficelle est un peu grosse tout de même". Et elle achève de me signifier mon échec cuisant, en remarquant qu'elle ne voit pas du tout comment cette histoire va pouvoir l'aider...Du fond de ma position basse, si basse que je suis probablement sous la moquette ou le bout de tissu, je souligne, qu'en plus, j'ai imaginé une fin au lieu de la laisser imaginer toute seule. Elle me dit que, de toute façon, elle n'aurait pas pu imaginer une autre fin. Je constate, qu'une fois encore, j'ai travaillé à la place de la patiente...


Mais je ne m'en tiens pas là et je lui dis que, ayant conscience que la fin proposée était la mienne, je lui dis que j'avais tenté de trouver trois fins possibles afin qu'elle puisse choisir. Curieuse, elle m'encourage (malgré mes maladresses thérapeutiques et touchée de mes piètres efforts à vouloir l'aider), à lui délivrer mes trois pistes de fin. "Dans ses rêves, elle pense parfois à ses 3 princes. Tour à tour, elle rêve qu'elle dépouille l'un de son armure, tache les vêtements de l'autre ou offre de petits morceaux de tissu miroir au troisième pour lui permettre d'apprivoiser la lumière des éclairs. Elle ne sait pas bien encore qu'elle sera la meilleure des solutions pour son avenir, ni même si son avenir sera avec l'un de ses trois princes, mais pour le moment, elle se sent...."


Ces trois idées la font bien rire et elle reconnait sans peine son mari affublé d'une armure rigide, qui tente de la stimuler sans cesse et à qui elle voudrait bien dire non...Elle aime d'ailleurs beaucoup ma bague "Zut" où ce mot un peu provocateur s'étale en noir sur fond blanc. Elle l'a rapidement remarquée. Elle refuse de choisir une fin entre les trois rêves et ne complète pas la phrase qui dit comment la princesse se sent. Elle me demande plutôt à moi, comment je ressens le fait que, décidément, je ne sais pas comment l'aider dans la réalité et elle repart dans une plainte fort réaliste. Elle doit, en effet, assurer des choses pour permettre un événement familial important, à savoir l'anniversaire de sa belle-mère, dont elle sent bien qu'elle va tout gâcher par sa maladie et son mal-être. Je rate l'occasion de lui raconter comment Cendrillon s'est débrouillée avec sa belle-mère et je lui suggère, un peu abruptement, que ce n'est pas son problème, mais celui de son mari...Surprise par ma réaction fort peu empathique envers son mari qui doit, selon elle, la supporter, elle reste un peu perplexe et nous nous séparons sur ces mots:  Elle m'invite à trouver autre chose que des "jolies histoires" si je veux l'aider à se mobiliser pour aller mieux pour la fête....


Il est tout de même à remarquer que, durant toute la première partie de la séance, tandis que je m’efforçais à faire quelque chose pour elle, elle avait le sourire...Il est intéressant de constater que, pour une fois, celle qui n'y arrive pas, c'est moi et pas elle. Ce travail de permettre au patient de reprendre la position haute, nécessite que nous puissions accepter d'être réellement en position basse. Il ne s'agit en aucun cas de faire semblant mais d'offrir à la personne la vision de notre capacité à continuer à tenir bon et à essayer, malgré le sentiment d'échec qui peut se dégager de la situation. C'est à ce prix qu'elle a pu intégrer qu'il y a un moyen de supporter l'échec.


Elle commence à aller en permission, à sortir marcher un peu avec son mari et envisage de retourner participer à l'écoute musicale groupale car, dit-elle, elle s'ennuie.



Séance 5       Les cartes

Le lendemain, je reviens la voir et nous nous déplaçons dans la petite pièce qui sert de bureau de consultation polyvalent, car des patients rient et jouent bruyamment dans la salle occupationnelle. Je suis venue avec un jeu Dixit, fait de cartes centrées sur des représentations très imaginaires. Elle regarde cela, en soulignant que, décidément, je suis obstinée et que je continue sur la piste de l'imaginaire. Je lui rappelle que lorsque j'avais suggéré de l'aider dans la réalité à aller choisir des vêtements, elle avait elle-même constaté que ce n'était pas une solution efficace pour elle. Tout de même, elle n'est pas psychotique et peut s'arranger de ses problèmes réels et concrets à sa façon. Elle m'annonce qu'elle ne va surement pas pouvoir trouver d'histoire à raconter sur ces cartes dont elle se souvient que nous avions joué avec, en groupe, lors d'une séance de jeux thérapeutiques. "Je n'arriverais jamais à trouver des titres comme nous l'avions fait", me dit-elle, m’ôtant tous les doutes concernant sa mémoire dont pourtant elle se plaint.


Je l'invite à trouver la carte qui se rapproche le plus de ce qu'elle ressent actuellement. Elle choisit une carte, avec un personnage assis, de dos et qui semble contempler des papillons attirés par une lumière. Elle s’apprête à me raconter pourquoi elle a choisit la carte, bien rodée aux attentes habituelles des thérapeutes et je l'invite à choisir une autre carte, indiquant comment elle aimerait être, comment elle souhaiterait se sentir, plus tard. Le choix est tout aussi rapide que le premier et à peine a-t-elle ouvert la bouche pour m'en donner les raisons, que je lui demande déjà de choisir la carte qui lui permettrait de passer d'une carte à l'autre. Elle prend plus de temps pour contempler les cartes une à une, puis se décide. Sa carte ressource ou solution, celle qui peut permettre selon elle le changement, est la seule sur laquelle je vais tenter de la re-centrer. L'idée de cette structure d'utilisation des 3 cartes m'a été donnée par l'une des participantes à la formation d'hypnose et je lui en suis reconnaissante.

Cette carte représente un enfant, assis sur le canon d'un char d'assaut, avec des fleurs autour de lui. Elle trouve cette image fascinante par la conjonction de l'innocence de l'enfant et la noirceur des armes. l'enfant a un air triste. Nous évoquons, successivement, Tian'anmen, la guerre et la paix, l'enfance et l'enfant intérieur, dans une discussion qui semble un peu décousue et sans intention particulière. Elle finit par évoquer sa petite fille, avec le sourire, parlant des instants qu'elles passent ensemble, de ses joues si douces et des câlins bien agréables de cette enfant. Il est important de ne surtout pas lui indiquer que cette carte est porteuse des solutions et ressources qui sont les siennes et que le simple fait d'en parler, la reconnecte avec cela. La séance s'achève, elle range les cartes avec les autres, semblant avoir un peu de mal à lâcher sa carte solution et parlant alors, de la carte vers laquelle elle souhaiterait aller. Des livres pour satisfaire son gout de la lecture, une bibliothèque tranquille mais où coule une cascade imaginaire, en plein milieu des livres et dont elle dit qu'elle lui évoque les promenades qu'elle fera avec son mari dans l'avenir quand elle ira mieux...



Séance 6     Le jeu

Elle ne m'avait pas demandé ce que nous allions faire durant la séance suivante, se contentant de me demander quel jour et à quelle heure j'allais revenir la voir. Je reviens avec un jeu que j'ai réalisé, en tissu, pour lui demander son avis sur l’utilisation de ce jeu. Il s'agit d'un jeu alliant reconnaissance tactile et discussion à partir de métaphores en lien avec cette matière souple. Elle teste la partie de reconnaissance tactile en soulignant que cela est bien trop compliqué...Mettre la main dans le sac l'a fait bien rire et elle souligne le jeu de mots. Je reconnais, qu'effectivement, cette partie de reconnaissance tactile est probablement trop complexe. Elle me suggère de permettre aux gens de toucher déjà les tissus sur le patchwork formant le plateau de jeu, puis de sortir les petits tissus des sacs pour les associer en visuel ET en tactile. Je souligne que sa proposition est très pertinente et que je vais la retenir, notamment en proposant le jeu en deux temps bien séparés afin de simplifier la séance. Pendant que nous parlons de cela, je remarque qu'elle touche le plateau de jeu, constatant à quel point mes capacités de couture en patchwork sont rudimentaires, car les carrés ne sont guère réguliers...Elle ne dit rien, mais je sens bien qu'elle trouve ce travail pour le moins bâclé et qu'elle n'aurait surement pas accepté cela de ses élèves.


Nous évoquons alors la seconde partie du jeu qui est l'utilisation des métaphores autour du thème du tissu, comme prétexte à une expression personnelle ou groupale.  "Nouer des liens", "tisser des relations" , "dénouer ses muscles" en sont quelques exemples. R. regarde les cartes, me donne à chaque fois l'explication de la métaphore, indiquant ainsi qu'elle comprend le sens premier de la phrase. Ce qui me semble important à remarquer, c'est que cette femme a tout à fait accès à la métaphore, sur un plan intellectuel en termes de compréhension. Par contre, sur le plan de l'imaginaire, la métaphore ne semble pas avoir un effet de sens dans sa vie. Elle les comprend, mais cela ne lui offre pas de pistes de compréhension d'elle-même, d’introspection, comme si le lien avec sa propre histoire ne pouvait pas se faire. Sur aucune des cartes elle ne fera de liens avec sa propre histoire, demeurant dans l'explication rationnelle. Cela confirme ce qui s'était passé durant les séance précédentes et elle a tout à fait raison de dire qu'elle n'est pas en lien avec son imaginaire. Sa pensée reste rationnelle, centrée sur la compréhension et la cognition, comme si son imaginaire et son inconscient ne lui était guère accessibles.


Je la remercie de son aide et souligne que je vais pouvoir utiliser ce jeu avec les personnes du groupe de jeux thérapeutiques. Elle me suit dans la salle quand je vais ranger le jeu. Une fois dans la salle, elle constate qu'elle-même préfère des jeux de type rami, jeux qu'elle pratique avec son mari. Je lui montre les jeux de cartes qui sont dans la salle, l'invitant à proposer à d'autres personnes de jouer si elle le souhaite.



Suite

Nous ne nous fixons pas de rendez-vous, puisqu'elle ne le demande pas. Je vais la voir un jour, mais elle est chez son médecin. Je la croise une autre fois, où elle reçoit la visite de son mari. Elle continue à aller en séances d'écoute musicale, en permissions et elle commence à aller plus volontiers dans la salle occupationnelle, avec les autres personnes. Lorsque je vais la voir un après-midi pour prendre de ses nouvelles, elle m'annonce qu'une infirmière lui a proposé d'aller acheter avec elle des vêtements pour la fameuse fête d'anniversaire de sa belle-mère. Je me retiens de lui dire que je lui avais proposé et qu'elle avait refusé...Sans doute qu'à présent, elle est prête à le faire et avec quelqu'un d'autre que moi. Nous plaisantons sur le choix d’une super robe de cocktails, mais elle opte pour un tailleur pantalon plus adapté à la saison et à son âge. Tandis que nous "papotons" dans sa chambre, (puisque cette fois je n'ai rien amené du tout pour lui proposer quelque chose à faire), un aide-soignant vient proposer une partie de rami. Nous avions repris en équipe, le fait qu'elle apprécie ce jeu et cette discussion a été suivie d'effets comme je le constate. Elle refuse dans un premier temps, mais je la regarde en lui disant" ON y va? Et vous me montrez comment ON joue à ce jeu?". Elle accepte cette idée et nous voilà parties. Une fois le jeu lancé, je laisse les patients, les stagiaires ASH et l'aide-soignant, poursuivre cette séquence occupationnelle.


Tout ce travail progressif avec cette patiente, a mis pour moi en lumière plusieurs choses:


  • Plus je voulais faire quelque chose pour elle, moins elle acceptait
  • Plus je voulais lui prouver ses capacités, plus elle se dévalorisait
  • Moins j'en faisais , plus elle reprenait les choses à son compte
  • Moins j'avais de désir sa place, plus elle pouvait retrouver le sien

Ces constations aboutissent pour moi, à la confirmation que la position basse est un outil thérapeutique puissant, à ne pas confondre avec une manipulation ou un abandon de la thérapie. Cela me conduit à souligner une question qui me semble cruciale en thérapie: comment aider l'autre à retrouver son propre désir, à son rythme et à sa façon? Dans notre thérapie, centrée sur l'activité et le faire, il me semble important de ne pas oublier les limites de cette action, les risques de sentiment de dévalorisation et les risques de devenir intrusif à travers des exigences, (souvent jugées légitimes voir exigées par l’institution), de stimulation, de mobilisation, de lutte contre l’apragmatisme. Il est parfois urgent de ne rien faire....Et j'ai pu constater, réellement, que plus j'ai retiré de mes intentions thérapeutiques vigoureuses, plus R. a pu se débrouiller sans moi et trouver ses propres stratégies.



Les écrits de cette section s'apparentent à ce qui peut se dérouler lors d'une analyse de
type supervision, qui permet de tenter de comprendre ce qui se passe lors d'une thérapie.
Il ne s'agit en aucun cas, de trucs thérapeutiques reproductibles, mais de la nécessité
d’une réflexion permanente sur l'effet de notre attitude envers le patient.




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