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Intervention en ergothérapie
Désir, motivation, volition?
Proposer un soin à une personne, en "psy" comme ailleurs, nécessite que la personne soit motivée, donc qu'elle ait
envie de se soigner
ou qu'elle en ressente le besoin. Une atteinte biologique, physique, somatique, généralement, ne donne pas lieu à un déni du patient ou à un refus de se soigner, encore qu'il y ait toujours des exceptions possibles. En "psy", la notion de motivation est souvent plus aléatoire. Les personnes déprimées qui sont dans le fond de leur lit ou les patients psychotiques dissociés ou dans le déni de leur délire, ne sont pas toujours en mesure d'être motivés à intégrer une thérapie centrée sur l'action.
Leur
apragmatisme
(incapacité à entreprendre des actions) va conduire ces personnes à une inaction prolongée à cause de la perte d’initiative motrice. C'est la capacité à vouloir faire quelque chose qui est atteinte dans la schizophrénie, les dépressions d'intensité sévère, la mélancolie. Il faut distinguer l'apragmatisme de l'aboulie, qui est l'incapacité à exécuter des actes, même planifiés à l'avance. L'aboulie est une diminution, une insuffisance voir une disparition de la volonté. La notion de motivation demande donc à être bien définie avant de savoir quand et comment employer ce terme.
Se mettre d'accord autour de définitions à peu près commune semble nécessaire. Le livre "De l'activité à la participation" (Sylvie Meyer, De boeck, solal) est basé sur le travail d'un groupe, issu du réseau européen des écoles d’ergothérapie ( groupe ENOTHE) , travail autour de la terminologie employée dans les écrits des ergothérapeutes. Il est en effet important de pouvoir progressivement trouver des définitions communes dans notre pratique pour affirmer
un vocabulaire qui puisse faire sens.
Les définitions issues de ce travail de recherche important, trouvent souvent leur origine dans des termes internationaux et donc anglophones. Ces références s'affirment de plus en plus et sont largement débattues. Leur livre est une véritable mine de renseignements sur les écrits anciens et récents des ergothérapeutes mondiaux. Ce groupe a donc "
épluché
" la terminologie des principaux concepts contemporains de l'ergothérapie, non seulement pour les recenser, mais aussi pour tenter de définir leur propre cadre conceptuel qu'ils nomment le CCTE. (cadre conceptuel du groupe terminologie).
Dans cet article, je me suis appuyée sur ce livre (l
es citations entre guillemets sont donc, en sont, pour la plupart issues)
pour tenter de
faire quelques ponts
avec des définitions plus psycho-dynamiques.
Dans les modèles inter-disciplinaires issus des modèles de psychologie, les mots posés autour de la motivation du patient sont souvent ceux de besoin,
demande
et désir.
Les notions de motivation, volition et volonté, chères aux ergothérapeutes, nécessitent donc d'être reliées à d'autres notions telles que les besoins, les pulsions et surtout le désir, pour mieux comprendre comment elles sont reliées, intriquées, similaires ou différentes.
Motivation, besoins et pulsions
Motivation
La notion de motivation est issue d'un ancien mot "
motif
" signifiant
"qui met en mouvement".
(Groupe ENOTHE). Du côté de la psychologie, cette notion de mises en mouvement de forces psychiques va prendre en compte les forces conscientes ET inconscientes. La motivation est ainsi sous-tendue par des raisons qui peuvent parfois paraitre logique à notre partie cognitive, mais ces raisons ont parfois, des racines inconscientes, pulsionnelles, irrationnelles qui ont leur origine dans l'histoire psycho-affective de la personne et sa construction identitaire singulière.
Du côté de l’ergothérapie, lorsque nous nous situons du côté de la partie consciente du Moi de la personne, nous pourrions aisément penser que la personne "
devrait
" idéalement être motivée pour sa thérapie. Il est alors parfois possible d'entendre lorsque ce n'est pas le cas, qu'elle manque de motivation ou s'oppose de façon quasiment volontaire à la thérapie. En "psy" nous avons conscience qu'il ne s'agit pas uniquement d'
une "
bonne ou mauvaise
" volonté
, mais qu'il peut y avoir d'obscures résistances inconscientes, la force de la pulsion de mort, les énergies "
dissociantes
" et destructrices qui œuvrent dans le psychisme des personnes. "
La motivation est considérée par divers auteurs comme une caractéristique fondamentale, instinctive, consciente ou inconsciente, parfois innée de la personne qui la pousse à l'action
". (ENOTHE). Cette définition, issue de plusieurs auteurs, tient bien compte de cette dimension de l'inconscient.
Selon le groupe ENOTHE, d'autres éléments peuvent nous aider à comprendre la notion de motivation qui vient s'inscrire comme une force sur laquelle les ergothérapeutes peuvent s'appuyer pour leur pratique. Les concepts de
motivation intrinsèques et extrinsèques
sont empruntés par les ergothérapeutes à Decy et Ryan. (voir
motivation
). Les motivations extrinsèques sont "
incitations externes à la personne qui la poussent à l'action
". (gain possible, attente d'un tiers extérieur, satisfaction de besoins sociaux, d'approbation, mais aussi obligation et contraintes). Les motivations intrinsèques prennent leur origine dans le ressenti et l'éprouvé de la personne. (plaisir de faire, volonté d'agir selon ses propres désirs, décisions personnelles).
La motivation va également dépendre du sentiment de
causalité personnelle.
Il s'agit du
"sentiment que la personne éprouve d'être l'instigatrice des comportements qu'elle déploie".
Ainsi si la personne se pense être à l'origine de ses propres actions, s'il réussit ou échoue il va s'en attribuer le mérite ou la responsabilité. Tandis qu'une personne qui n'a pas conscience de son rôle dans ses propres actes, va se sentir victime du sort ou de quelqu'un d'autre. (ENOTHE Chap 9). Or "
Selon DeCharms 1968, les individus qui se considèrent comme étant à l'origine de leurs actes, vont développer une évaluation plus favorable d'eux-mêmes".
Donc avoir conscience d'être à l'origine de ses actes va permettre
"un cercle vertueux"
, qui permet de s'attribuer la réussite et d'augmenter sa confiance en soi.
Le sentiment d
'efficacité personnelle
est également un
"élément clef de la motivation
". C'est surtout G.Kielhofner qui évoque les notions de sentiment de compétence et d'efficacité comme les composantes de la causalité personnelle. Il est donc important que la personne puisse évaluer ses propres capacités et habiletés, et qu'elle puisse porter un "j
ugement anticipé sur ses habiletés
".
(Voir aussi un site entier proposé par un professeur de psychologie cognitive sur
différentes théories motivationnnelles)
Besoins
La source de cette motivation est reliée à la
satisfaction des besoins fondamentaux de la personne
, comme définis par
Abraham Harold Maslow,
un psychologue américain considéré comme le père de l'approche humaniste. Il a mis en évidence les 5 catégories de besoins fondamentaux, sous la forme d'une pyramide: besoins physiologiques, besoins de sécurité, besoins d'appartenance sociale, besoin d'estime de soi et le besoin d'accomplissement personnel. La motivation trouve donc son origine dans les besoins de la personne qui demandent à être satisfaits. (voir article
CAIRN
)
Une autre personne a travaillé sur cette notion de besoins fondamentaux. Il s'agit de
Virginia Henderson
, qui est une référence en soins infirmiers. Elle définit quatorze besoins fondamentaux Cette vision de l'interdépendance des besoins humains et de leurs satisfactions, issue de sa pratique, est fortement marquée par le courant behavioriste. La grille d'analyse des besoins fondamentaux de la personne est alors organisée en trois catégories: besoins primaires (biologiques et physiologiques), secondaires (psychologiques et sociaux) et tertiaires (bien-être, développement personnel, spiritualité). Les infirmiers utilisent très souvent sa grille pour proposer un bilan d'entrée. (voir
grille
).
Pulsions
La vision psycho-dynamique nous donne d'autres terminologies du côté de la satisfaction des besoins, c'est la notion de pulsion. Certains auteurs utilisent parfois le même mot pour parler de ces deux concepts et confondent ainsi pulsion et motivation, les deux visant à la satisfaction des besoins. (Voir article sur
motivation et pulsion
). Le mot pulsion nous vient de la traduction d'un mot allemand Trieb, utilisé par Freud. Il vient du latin pulsio (action de pousser, pellere, pulsum). C'est en effet Freud qui a le plus et le mieux, théorisé cette notion. (voir
théorie des pulsions
).
La pulsion est définie par Freud comme une poussée constante et motrice qui vise à une satisfaction et est le moyen initial de cette satisfaction. Nous voyons là combien
cette définition est proche de celle de la motivation
, comme quelque chose qui met en mouvement. Pour Freud cette pulsion est un processus dynamique, doté de 4 caractéristiques :
La poussée qui est le moteur de la pulsion et qui s'impose
La source qui se situe dans le corps, dans un organe ou une autre partie du corps. Il s'agit d'un besoin physiologique telle que la faim ou la soif. Cette source pulsionnelle est donc somatique.
Son «
objet
», qui est ce par quoi la pulsion va pouvoir atteindre son but (par exemple le sein). c'est donc un objet externe, variable qui n'est pas lié forcement à la pulsion originelle. (le sein peut devenir le biberon mais aussi toute autre boisson...)
Le but, qui est la satisfaction du besoin, satisfaction qui sera obtenue en supprimant l'état d'excitation qui est à l'origine de la pulsion. le but ultime étant de revenir à une état d'apaisement.
Volition, volonté
et désir
Volonté et volition
Dans le livre issu des travaux de l'ENOTHE, du coté des définitions issues du petit Robert, nous trouvons que la volition est "
un acte de volonté et la volonté en tant que faculté
" et que la volonté est "l
a disposition mentale de celui qui veut"
.
La notion de volonté est un terme que nous employons plus facilement que celui de volition, dans le langage courant français.
La définition anglaise du mot de volition, est plus large selon eux, et plus utilisée.
Dans leur travail de recherche sur les écrits en ergothérapie, ils mettent en évidence que c'est surtout
G. Kielhofner qui utilise ce concept
qui est pour lui, "
un concept central en ergothérapie
". Il la définit comme "
un ensemble de composants symboliques et énergétiques qui déterminent les choix comportementaux conscients des gens
". (1980). En 2002, la volition devient chez Kielhofner "
l'ensemble des pensées et des sentiments qu'un individu a de lui-même en tant qu'acteur dans son environnement et qu'il éprouve lorsqu'il anticipe, choisit, expérimente et interprète ses actions
." Il ajoute à cela trois sous-concepts: la causalité personnelle, les valeurs et les intérêts. Dans le CCTE, la volition est donc "
toujours quelque chose de volontaire et de conscient
", et se révèle être une "c
apacité consistant à choisir ou à maintenir son choix dans le cours d'une action
". "
Dans tout ce processus, l'acteur sait que son action est le produit de sa volonté
".
Nous voyons donc que
cette notion de volonté
amène l'idée que
l'homme aurait le pouvoir de se déterminer
, d'être pleinement conscient de ses intentions. La volonté demande donc un recul, une distanciation par rapport à ses choix et une certaine conscience des ses propres valeurs. Nous pourrions dire que nous sommes plutôt du côté du Moi, et d'un Moi soumis au Surmoi intérieur ou à des exigences extérieures (pression sociale, valeurs morales sociétales).
La volonté est souvent ressentie comme du côté de la liberté et implique aussi les notions de responsabilité, qui va poser les fondements mêmes de la morale et des valeurs au nom desquelles nous agissons.
Nous sommes aussi du côté d'un concept tels que le libre arbitre, considéré de différentes façons par les philosophes: c'est le pouvoir pour Descartes et une illusion pour Spinoza.
Il n'y a qu'à se souvenir de cette fameuse phrase
"
quand on veut on peut
"
, issue de certaines de nos représentations sociales ou des mythes américains de réussite, dont fait témoignage le fameux "
Yes, we can
".
Or, sous cette volition ou volonté consciente, se jouent des choses à un niveau plus obscur et plus profond, inconscient, oserais-je dire, c'est le désir.
Désir
"Désirer, on le rattache à deux verbes latins desiderare et considerare. Ces verbes appartenaient au langage des augures, ou des astrologues dirions-nous aujourd’hui. Considerare voulait dire contempler les astres pour savoir si la destinée était favorable, astre se disant sidus (pl. Sideria – sidération). On allait trouver l’augure pour savoir si le moment était opportun pour prendre une décision dans un projet. L’augure lisait les signes dans le ciel et répondait favorablement ou défavorablement. Desiderare signifiait regretter l’absence de l’astre (le manque), du signe favorable de la destinée
". (voir site sur
le désir en psychanalyse
de Philippe Blasquez).
Le désir est
du côté de l'attente
qui demande à être satisfaite, du côté du manque. Freud souligne que l'on ne peut désirer que ce que l'on a connu et que cela nous pousse à rechercher une trace laissée par un ancien vécu de plaisir. Freud parle ainsi du tout premier plaisir, une sorte de modèle initial, un plaisir originel qui nous pousserait de façon nostalgique, à tenter de le retrouver dans tous les plaisirs ultérieurs. le désir est donc du côté du plaisir.
Il est donc important de se souvenir que le désir est ce qui nous fonde mais de manière inconsciente. Nous sommes tous des être désirants et le désir est unique et singulier pour chaque personne.
Le désir
se fonde sur nos besoins
.
Il nous est plus souvent facile d’identifier nos besoins que notre désir, et parfois même de les confondre. Les besoins répondent au besoin de combler un manque, mais il ne s'agit pas du même manque que celui du désir...Du côté des besoins, la recherche va se centrer sur des objets de satisfaction réelle pour assouvir la pulsion, tandis que du côté du désir nous sommes dans des objets fantasmatiques pour permettre l'accomplissement du désir. Le désir s'intrique avec le besoin et la demande. Le besoin est conscient, "
j'ai envie de manger
" et le désir lui se signalera dans le fait que "
j'ai envie de manger du chocolat
". Les deux liés ensemble aboutiront à la demande d'une tablette de chocolat, demande souvent faite à l'autre...
"
Le désir introduit une notion de symbolique. Dans le sens où issu d’un désir inconscient, je vais désirer un objet, non pas pour l’objet en lui-même, mais pour ce qu’il représente dans mon inconscient. Par rapport à un vécu antérieur qui avait généré du plaisir
".
(P. Blasquez)
Au niveau du désir, nous sommes
du côté de l'inconscient,
dans une dimension qui est plus souvent perçue comme liée à l'impulsivité, l’imprévisibilité, le non contrôlable. En termes Freudiens, nous serions alors plus proche du Çà et de ses exigences pulsionnelles. Le désir s'articule au manque que l'on peut percevoir en soi. il peut donc être considéré comme quelque chose de positif car lorsque nous sommes désirants, nous sommes du côté du vivant ou comme quelque chose de négatif car il peut se révéler une source inépuisable de frustration, insatisfaction voir même source de souffrance. Cette vision n'est pas sans évoquer notre pauvre Moi tiraillé entre les exigences du Çà et celles du Surmoi, entre le principe de plaisir et celui de réalité. La volonté deviendrait alors, la capacité de mettre en œuvre des moyens permettant d'accéder à ce désir.
Il faut aussi se souvenir que la volonté peut soit valider soit refuser le désir.
Alors, désir or not désir?
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