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3 cartes pour se définir

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Ange ET démon

Un groupe de jeux thérapeutiques...des cartes de Dixit...un tout jeune homme qui s’exclame : « j’aimerais être un ange » ... Ces quelques mots m’ouvrent des perspectives de réflexion : Pourquoi veut-on si souvent, être du côté de l’ange ?



Lorsque je travaillais en addictologie, j’avais proposé un jour une consigne créative (à la demande du groupe), centrée sur « Ange ET démon ». Une des participantes s’était alors exclamée : « Ah non, c’est l’un ou l’autre ! Pas les deux... » Cette remarque avait fait surgir en moi le souvenir du livre de Michèle Monjeauze (1999), « La part alcoolique du soi », dans lequel elle évoquait le désir de se débarrasser de cette part alcoolique, vécue comme mauvaise et démoniaque, au risque de provoquer une quasi amputation d’une partie de soi-même. Et lorsque le médecin addictologue, en réunion de synthèse, avait confirmé cette position, en soulignant exactement de la même façon que sa patiente, ce qui était pour lui une proposition incongrue, je m’étais demandé qui donc allait pouvoir écouter le message des petits démons ivres.

Ce tout jeune homme venu ce jour-là pour la première fois dans le groupe de jeux, éprouvait une souffrance psychique, liée à une libido excessive, pulsionnelle, impulsive, teintée d’une dimension incestuelle, très culpabilisante. Bien difficile d’en parler, déjà en individuel à son thérapeute, et encore plus en groupe. Je n’apprendrais son histoire que le lendemain, lors de la réunion de synthèse, car dans ce groupe, nous accueillons les personnes en auto-détermination, sans les connaitre, ni même avoir lu leurs dossiers. C’est un espace de rencontre pour faire connaissance, permettre de parler de soi, si et quand, cela devient possible.

Nous entrons alors, dans une danse verbale métaphorique. J’évoque l’image d’une personne ayant sur ses deux épaules, un petit ange d’un côté et un petit démon de l’autre, en évoquant notre difficulté parfois, à savoir qui écouter. Le groupe réagit, par des rires face à cette image digne d’un dessin animé, une image classique et bien connue de tous. Des idées fusent : « il faut savoir écouter le bon en fonction des situations...ben moi je n’aurais pas dû écouter le démon tant que çà...mon ange à moi, il doit roupiller souvent... » Le jeune homme lui, d’un simple regard complice, m’indique qu’il a compris la métaphore et souligne que quand son démon se réveille, il perd le contrôle. Que pense-t-il que je sais, moi qui ne sais encore rien ce jour-là ? Un effet thérapeute-miroir...

Le choix du groupe, ce jour, a été d’utiliser les cartes de dixit d’une façon particulière. Il s’agit de choisir la carte du présent, la carte du futur et la carte ressource : « Vous pouvez choisir la carte qui vous représente actuellement, la carte de votre futur désiré et la carte ressources qui vous permettrait d’aller vers ce changement désiré... » Chacun et chacune cherche, fouille, farfouille dans les paquets de cartes. Certains et certaines froncent les sourcils, réfléchissent beaucoup (trop ?) tandis que d’autres se laissent guider par leur intuition, par l’image qui leur dit quelque chose. Les cartes de Dixit, très imaginaires, un peu étranges et mystérieuses, permettent à nos consciences, saturées de logique et d’explications, de faire un petit saut dans un bout de notre inconscient. « Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’ai pris ces cartes là... »

Et quand j’annonce au groupe que ce sont les autres qui vont se pencher sur leurs cartes, pour tenter de deviner cette logique apparente, un frisson d’excitation à l’idée de pouvoir deviner ou pas, d’être compris facilement ou de garder une part de mystère, parcourt le groupe à chaque fois. Quel est donc ce plaisir d’être entendu, vu, reconnu, compris sans même avoir à parler ? Quel est donc ce secret qui attend d’être dévoilé ou pas ? Et dans les deux cas, le plaisir peut être au rendez-vous : plaisir d’avoir été entendu ou plaisir d’être resté un mystère...

Le tout jeune homme nous propose ses trois cartes. Il est le premier à oser se lancer...et les projections de chacun et chacune se croisent, fusent, se répondent en écho, s’opposent, se tissent en une toile de sens. Des mots surgissent alors des images, venant donner du sens, ouvrant des possibles variés et différents. « Et si cette carte était le futur ? Non, celle-ci c’est plutôt le présent...là, il a l’air d’être poursuivi, en insécurité...il a des armes dans son dos...oui, mais il est libre...et il joue de la musique dans la nature...mais il y a du danger. » Le groupe finit par se mettre d’accord sur la carte du présent.

Une jeune fille border-line, qui a bien du mal à mentaliser et qui se scarifie en lieu et place d’une mise en mots, ne semble pas percevoir les armes planant dans le dos du jeune homme représenté sur la carte, comme une menace. Elle voit la liberté, la nature, la musique. Elle est toute étonnée de la perception des autres personnes. Lors de la discussion sur ange Et démon, elle avait déjà réagi en tout ou rien, se situant elle aussi, du coté du désir de l’ange, pur et sans défauts. Accepter les mauvaises facettes de soi-même, n’est jamais aisé pour des personnes dont le fonctionnement psychique demeure dans un idéal du Moi, très élevé voir tyrannique. « C’est dur d’être une ange, en fait... » dira-t-elle finalement.

La carte du présent est assez souvent bien identifiée. Les participants-tes soulignent qu’ils-elles la reconnaissent bien, car ce sont « des choses qu’on ressent tous ». Ce sentiment d’appartenance à un groupe qui peut comprendre permet au groupe d’entrer rapidement dans une illusion groupale et un sentiment de sécurité possible. Le groupe devient un espace de partage sécure, dans lequel une recherche commune crée du lien, du soutien. La parole se libère encore plus facilement quand on ne parle pas directement de soi, tout en ne faisant que cela en fait. S’agit-il de croisements de projections d’inconscients personnels ou de l’émergence d’un inconscient groupal ? Quelque part, probablement un tissage des deux.

La seconde carte représente une gigantesque tour en pierre, bien solide, avec au sommet un feu sur lequel un nuage souffle. La discussion, là aussi, oscille entre deux versions : « Le nuage il semble éteindre le feu...ah non, il souffle pour le rallumer, le maintenir...la tour est solide...oui, mais elle est fermée...Elle semble quand même solide...ça fait un peu prison ce truc... ». Le groupe hésite à identifier cette carte comme le futur car elle semble très ambivalente, mais comme carte ressources, elle pose question aussi.

La reconnaissance de la carte dite « ressource » est un moment toujours intéressant. Lorsque la personne identifie clairement une ressource en elle, un mouvement possible, une valeur ayant du sens, le groupe trouve assez facilement la carte. Mais quand la ressource n’est pas claire, la personne fait l’expérience de le constater à travers le discours des autres personnes, qui se questionnent alors, sur l’efficacité d’une telle action. Et effectivement, le jeune homme souligne que, même quand il essaie d’éteindre le feu, pour le moment, il se rallume toujours. Il indique même clairement, qu’il n’a « pas encore trouvé la ressource interne ou externe pour m’aider, c’est un cercle vicieux ».

Ce mot fait écho en moi, avec le travail que nous proposons à des patients-tes, souffrant de névralgies pelviennes. En équipe pluridisciplinaire, nous invitons ces personnes à pouvoir sortir du cercle vicieux de la douleur chronique, pour aller vers un cercle que nous avons nommé vertueux, d’écoute de soi-même, de care, d’amélioration de qualité de vie et de changement psychique. Ce jour-là, je me dis que passer du vice à la vertu aurait pu réjouir Freud, question plaisir et libido. Décidément, le sens a une fâcheuse tendance à se nicher là où on ne l’attend pas toujours…

Nul ne pose la question du sens de ce feu, nul n’interprète un symbole qui, de toute façon ne signifie pas la même chose pour tout le monde, et pourtant tout le monde comprend qu’il peut nous dire quelque chose. Notre capacité à symboliser, à produire des symboles et à les faire jouer ensemble pour qu’ils se tissent dans un sens possible, est mise en jeu. C’est en faisant jouer la fonction de symbolisation du groupe, la capacité à s’interroger sur le sens potentiel, que les participants-tes peuvent retrouver et intégrer ce processus thérapeutique., soutenus-es par une « introspection collective », appuyée sur une image. Cette fonction de symbolisation est la base même de l’élaboration psychique, nécessaire à l’utilisation de médiations projectives à visée de psychothérapie, comme notre référentiel nous le propose. (Référence).

La carte ressource a été finalement bien reconnue, en lien avec la carte du futur désiré, rapidement identifiée : il s’agit d’une porte ouverte, au milieu d’un champ, sans bâtiment autour. Une femme fait remarquer que comme il n’y a pas de vrai bâtiment, en fait il n’y a pas besoin de porte...et que la personne est déjà libre mais sans le savoir encore. Cette phrase est un véritable cadeau pour le jeune homme qui ouvre de grands yeux et s’exclame : « Oui, c’est cela, il faut que je parte de chez mes parents ! ». Remarque qui n’a absolument rien à voir avec ce qui lui a été dit, mais les prises de conscience n’ont pas une logique rationnelle ! Il a entendu ce qu’il lui fallait peut-être ce jour-là.

Cette sorte d’euréka porte le nom d’insigth. Eurêka ! (En grec ancien εὕρηκα (heúrêka), signifie « j’ai trouvé ». Selon la légende, c’est le cri qu’aurait poussé Archimède au moment où il avait compris la poussée (qui porte son nom) et qui dit qu’un objet plongé dans l’eau, subit une poussée proportionnelle à sa densité. Cette exclamation s’accompagne le plus souvent d’une sorte de joie, voire d’euphorie d’avoir enfin trouvé…mais trouvé quoi ? La psychanalyse nomme insight le fait qu’une personne, tout à coup se saisisse d’un aspect de son fonctionnement psychique, jusque-là inconnu d’elle. En psychologie cognitive, il s’agit plus du fait de passer d’un état de non résolution d’un problème à un état de résolution. En psychiatrie, l’insight vient plutôt permettre de désigner la capacité de conscience d’un trouble, comme l’opposé de l’anosognosie. Des sens différents, mais qui soulignent tous l’idée d’une mise en lumière, d’une sorte d’éveil de la conscience, mais qui ne vient pas uniquement de notre cerveau ou de notre savoir. Il y aurait de la magie là-dedans ? Ou peut-être juste de l’intuition ? Ou peut-être même de l’inconscient ? Qui sait…

La carte du futur est souvent la carte qui est porteuse de tous les idéaux, désirs, projections positives de soi, du Moi idéal, de la valeur personnelle, nommée différemment selon les concepts auxquels on se réfère. Elle nous dit ce que la personne voudrait être, dans une sorte de futur fantasmé, débarrassé des vilains petits démons qui nous chatouillent les pieds. Mais cette carte est-elle vraiment celle d’un devenir possible ou d’un changement souhaité ? En tout cas, la porte ouverte de la carte de notre jeune homme, vient se poser comme une ouverture possible, qui viendrait là, un peu comme surgie d’un coup de baguette magique, sans tout le travail intérieur d’élaboration psychique qui est à faire.

Et s’il était possible de dire aux participants-tes (ce que je fais parfois) que ce futur est d’ores et déjà contenu en eux, puisqu’ils ont choisi cette carte (et les deux autres), et qu’elles ont donc à voir avec quelque chose de leur psychisme qui a trouvé là à se projeter, certains-nes seraient bien étonnés sans doute !



Bibliographie: Michèle Montjeauze, « la part alcoolique du soi », collection psychismes, Dunod, Paris, 1999




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