« Si on ne pèche pas parfois contre la raison on ne découvre rien ».
Einstein
Qu'il serait donc tentant de dire qu'il ne faut pas saisir les jeux dans des explications et encore moins, enfermer l'attitude ludique dans de sérieuses réflexions ou dans des cadres trop rigides ou trop pensés... Seulement voilà, si dans cet article ne se trouvait qu'une seule phrase: "Allez jouer ailleurs", cela ne suffirait peut-être pas...Nous allons donc explorer ensemble quelques réflexions, du côté de la nécessaire pensée qui se drape dans des allures sérieuses et nous donne le sentiment de gérer un peu les choses. Pour proposer un dispositif raisonnablement thérapeutique, quel type d'attitude pouvons nous proposer: Doit-on se laisser aller totalement au plaisir du jeu? Doit-on rester en dehors comme "maître" du jeu? Peut-on proposer des jeux si l'on est pas joueur? Le curseur de la "bonne" attitude oscille entre jouer et observer.
Être joueur
La meilleure façon de pouvoir utiliser les jeux en thérapie, c'est de jouer, d'aimer jouer, d'être joueur au sens de l'enfant qui joue pour découvrir et se découvrir. Jouer est un plaisir, jouer est un temps spécial, jouer est une autorisation à être soi et à libérer son potentiel créatif. Nous sommes là au plus proche de l'attitude ludique prônée par Winnicott et sa célèbre phrase sur le thérapeute qui devrait pouvoir jouer pour développer ses capacités à ouvrir un espace de jeu et de créativité. Pourtant, lorsque face à nous des patients sont en panne de créativité personnelle, en grande souffrance dont la lourdeur pèse sur leur vie ou en proie à des pulsions de mort, proposer de jouer peut s'inscrire comme un quelque chose qui n'est pas très sérieux. La libre créativité qui va permettre de déployer notre propre attitude ludique et celle des personnes que nous essayons d'accompagner peut se révéler aussi, enfantine voir infantile et parfois même effrayante par tout ce qu'elle peut avoir de subversif et d’incontrôlable.
Comme le propose Winnicott, il est important de jouer avec le patient, en particulier avec les personnes dépressives, mélancoliques, anorexiques, âgées et toujours en veillant au risque du miroir avec les personnes psychotiques.En effet, utiliser nos propres capacités à jouer, aussi bien dans le sens du playing que des games, permet de proposer des expériences variées d'identifications à autrui, thérapeute et autres patients et des interactions sociales fondamentales. Cette légèreté apparente du jeu conduit le plus souvent, à un travail plus en profondeur qu'il n'y parait. C'est donc en lien avec notre propre façon d'être que nous allons pouvoir proposer ou non, à des personnes de jouer. Plus nous serons proches d'une attitude non directive, plus nous favoriserons le playing et la découverte pour la personne de son propre chemin, avec tout ce que cela recouvre de liberté mais aussi de peur de cette liberté d'être. Plus nous serons proches de jeux nécessitant des règles, plus nous allons aider les personnes à entrer dans un monde balisé, normé, référencé, oscillant entre contrainte sociale nécessaire, ré-assurance d'une référence à des règles sociales communes et enfermement dans des règles ou soumission à un surmoi rigide.
La place de l’ergothérapeute dans l’atelier et son interaction avec les patients renforcent les effets du cadre et participe à l’action de la médiation. Winnicott explique que “la psychothérapie se situe où deux aires de jeu se chevauchent : celle du patient et celle du thérapeute. (…) Le travail du thérapeute consiste à amener le patient d’un état où il n’est pas capable de jouer à l’état où il est capable de le faire.”. Afin d’amener les patients à utiliser le jeu comme médiation, le thérapeute peut être un joueur au même titre que les autres. Cette place lui permet d’établir facilement le contact avec les participants et d’instaurer le début d’une relation thérapeutique basée sur la confiance. Mais, nous ne pouvons pas être juste un joueur ou une joueuse...
Être thérapeute
Comme dans d'autres ateliers d'expression l’ergothérapeute doit être à l’écoute des souffrances exprimées, mais la proposition de transformation symbolique de ces souffrances apportée par l'attitude ludique est différente. Il s'agit là de proposer une vision des choses plus légère, avec de l'humour et des expérimentations sans danger. La verbalisation d'un ressenti personnel, d'un souvenir, d'une difficulté, ne peut en effet pas se déployer pendant un trop long moment, du moins lorsque le jeu se déroule en groupe, car le risque est alors de décrocher du temps de jeu pour entrer dans un temps de thérapie verbale. En effet, si une personne entre dans son histoire personnelle de façon trop approfondie et introspective, il devient compliqué de conserver l'attention des autres personnes. Si le groupe est annoncé comme un groupe de jeu et pas un groupe de thérapie, il n'est pas pertinent de laisser se dérouler des temps d'introspection trop longs.
Des contre-indications se dessinent alors. Certains patients, en début de séjour ou ayant besoin d'être encore dans la plainte, ne pourront pas se décentrer de leurs difficultés dans un premier temps et pour certains patients, cela ne sera pas possible du tout. Le jeu risque alors, au contraire, de donner l'impression à ces patients que leurs souffrances ne sont pas assez prises en compte, puisqu'on leur propose de jouer au lieu d'écouter leurs plaintes et leurs histoires de vie. C'est tout l'art d'une animation, se déclinant entre l'écoute de chacun, dans une parole centrée sur le jeu, tout en conservant la dynamique du jeu. Le ou la thérapeute est garant que chacun aura sa place, un temps de parole, une possibilité de choix, bref un sentiment d'intégration dans le groupe, sans prendre le groupe en otage d'un besoin d'exposer sa souffrance pour en tirer les fameux "bénéfices secondaires". Partager un temps de jeu en groupe, c'est proposer d'éprouver ensemble, un temps où la réalité est certes présente, mais mise à distance, comme dans une sorte de rêve éveillé collectif.
Le thérapeute est un soignant(e), mais il est aussi un individu, se proposant comme un "autre" que le patient, avec ses forces et ses faiblesses, avec son histoire dont il doit être le plus conscient possible pour ne pas trop infiltrer la relation thérapeutique. Comme pour d'autres situations thérapeutiques, une supervision permet de démêler un peu ce qui est à nous et ce qui est au patient. C'est très important, même pour une situation apparemment légère comme le jeu, car nous ne pouvons pas nous laisser aller totalement au plaisir du jeu. Une co-animation peut permettre à l'un(e) des thérapeutes de jouer, tandis que l'autre demeure dans une position d'animateur de jeu. Si l’ergothérapeute est seul(e), il ou elle devra alors osciller entre une raisonnable implication personnelle, au sens d'être une personne qui joue le jeu, et une "présence à bonne distance". L’équilibre entre la création d’un lien et la non-implication affective et personnelle repose sur l’empathie et le sentiment d'identité humaine commune. Au fil des séances, l’ergothérapeute maintien la permanence et la continuité du lien relationnel créé, en nommant chacun et chacune par son nom, en lui remémorant les séances précédentes et en favorisant les interactions. Les patients savent qu’ils sont reconnus et entendus. La relation de confiance s'installe, permettant de sécuriser les personnes pour qu’elles accèdent à une liberté d’expression et d’action au sein de l’atelier.
Être garant de la loi
L'ergothérapeute doit être garant, aussi bien dans l'utilisation de la médiation-jeu que dans le maintien du cadre, d'une référence à une loi extérieure en tant que symbolique d'un certain ordre du monde s'affirmant, en particulier, face au chaos psychotique. Empathie mais aussi fermeté dans la relation sont donc nécessaires. L'ergothérapeute est également souvent vécu (e) comme une référence possible en ce qui concerne le savoir faire et le savoir être relationnel. Ces éléments vont contribuer à aider une personne à intégrer le principe de réalité, c'est à dire à transformer les expériences proposées par le jeu, en processus de régulation interne. Pour cela l'attitude thérapeutique doit demeurer aussi fiable, ferme, solide.
L'ergothérapeute contribue donc à cette intégration du principe de réalité en tant qu'"autre", porteur d'une parole, la plus authentique et marquée par le sceau de la loi commune à tous. Dans le domaine des jeux, c'est tout simplement être le garant de la connaissance des règles, de leur transmission d'une façon claire et simple, et de leur application à tous et à toutes. Tout le monde est soumis à la loi, une loi commune, nommée et appliquée, pour ne pas laisser la place au sentiment de toute-puissance. Il convient donc de proposer une attitude juste quand au respect de la loi, ni trop rigide, ni trop laxiste. Lors de certains jeux, les règles vont être fixées par le jeu en lui-même, dans le cas de jeux du commerce, même s'ils nécessitent parfois des adaptations. Dans d'autres jeux, il sera possible de proposer des temps de choix aux patients, pour décider ensemble au départ, des règles du jeu. Dans les deux cas, c'est la dimension sociale et groupale de la loi qui sera déterminante.
Les écrits de cet article sont la propriété intellectuelle de Muriel Launois et n'engagent qu'elle.
Il est possible d'utiliser tout ou partie des élaborations proposées, en citant vos sources.
Merci d'avance d'en respecter l'esprit.
(article écrits en 2016 pour préparer les stages ANFE ayant eu lieu de 2017 à 2021)
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