Quelques instants d'un accompagnement avec des outils ludique, en séances individuelles, de L. une jeune patiente souffrant d'un deuil pathologique à la suite du décès de sa mère. Dans cet article, le propos n'est pas tant de parler de l'histoire de cette jeune patiente, car son histoire lui appartient), ni même de tenter de décoder le sens de tout le potentiel que les images extérieures ont pu mettre en lumière, ni même de chercher ce qui a bien pu marcher, mais de se demander comment elle a bien pu trouver son chemin singulier. Ce qui vous est proposé dans cet article est donc la fin de la prise en charge, le moment où la patiente a pu commencer à "prendre en main" son projet de vie.
La liste des émotions
Une première séquence de thérapie a été proposée à cette jeune patiente, utilisant le jeu Dixit. Le jeu n'a pas été utilisé avec la règle de jeu classique et seules les cartes de plusieurs extensions ont été proposées, créant ainsi une banque de cartes proposant des illustrations imaginaires très variées. Ces images sont proches d'images de contes, de fables, de bestiaires fantastiques, de paysages imaginaires. (voir dixit et émotions)
L'orientation thérapeutique demandée par son médecin, était un travail autour de l'expression des émotions, de façon médiatisée, pour cette jeune femme qui ne parvenait plus à mettre des mots en psychothérapie verbale. En effet, lorsque cette jeune femme tentait d'entrer en communication avec autrui, tout s'achevait alors, par des larmes, un peu comme si toutes les émotions finissaient par se transformer en tristesse.
Un premier entretien a donc consisté en une définition de l'émotion, donnée par la patiente. Puis deux pistes de travail ont été proposées à la patiente:
- soit un jeu dit de "gestion" des émotions, avec un travail d'identification et de reconnaissance plutôt cognitif , à partir de vignettes de mise en situation contrète (jeu Uméo).
- Soit une utilisation particulière d'un jeu du commerce, dixit, permettant, dans ce cas, un travail de mise en lien mots et représentation imaginaire.
L. a choisi de travailler plutôt à partir du jeu lié à l'imaginaire. Elle a pu réaliser sa liste des émotions, celles qu'elle pouvait nommer et souhaitait "travailler". A partir de cette liste ,chaque séance a ensuite été organisée de la même façon: choix d'une émotion, choix des cartes par la patiente et l'ergothérapeute, discussion autour des cartes de la patiente, puis autour de celles proposées par l'ergothérapeute et la stagiaire, (quand l'une d'elles est en séance avec l'accord de la patiente, plusieurs stagiaires ayant été présentes durant cet accompagnement).
Lorsque nous étions deux, le travail était souvent générateur d'un transfert de type maternel sur l'ergothérapeute. Lorsque nous étions trois avec une stagiaire, un transfert co-latéral et sororal (du côté de la s½ur) venait s'inscrire dans les inter-relations. Cette notion de transfert nous vient de Freud et de la psychanalyse. Même si nous ne sommes ni psychologues, ni psychanalystes, si nous proposons une rencontre thérapeutique, nous pourrons générer aussi des réactions transférentielles de la part de la personne. (voir la notion de transfert chez Freud, dans la partie sur la relation thérapeutique). Et aussi des réactions contre-transférentielles de notre part, en réaction au type de demande et d'interactions, qui sont suscitées par le type de transfert et par le fait qu'il soit positif ou négatif. Il ne faut donc jamais oublier que quel que soit l'outil que nous utilisons c'est dans le cadre d'une relation thérapeutique. Notre intention transparait clairement dans le choix de nos outils, méthodes, concepts et autre. Notre inconscient personnel s'inscrit aussi dans la relation. Ce sont tous ces éléments réunis qui vont permettre qu'un travail thérapeutique puisse se faire.
Ce travail s'est déployé sur plusieurs séances, jusqu'à ce que L. ait estimé qu'un travail suffisant avait été fait autour de sa liste des émotions. Elle a pu constater que certaines émotions était plus faciles à relier à des cartes que d'autres. Elle a pu mettre des mots, imaginer des histoires, s’intéresser ou non aux propositions faites par les stagiaires ou moi. Lorsqu'elle a eu le sentiment d'avoir assez exploré les émotions, nous sommes revenues à l'émotion de départ qui lui posait le plus de difficulté: la tristesse.
"Aidez-moi à vous aider"
Lorsque je travaillais en addictologie, j'avais déjà pu découvrir l’intérêt de proposer le choix entre 3 consignes thérapeutiques possibles, car laisser ces patients face à de la non directivité pure, les renvoyait à un grand sentiment de vide et d'incapacité. Laisser le choix des outils thérapeutiques en proposant une palette de possibles est donc déjà une première étape vers cette autonomie. Elle permet, en effet, de rendre à des personnes, leur capacité à s'auto-déterminer, à être autonome dans leurs choix. C'est la personne elle-même, qui a en elle les ressources pour changer, même si elle ne le sait pas encore, même s'il lui faut pour le moment, découvrir des outils proposés par d'autres, pour s'en emparer ensuite et en intégrer tout ou partie.
En début de thérapie, L. était sans cesse envahie par la tristesse, débordée par les larmes. Toute expression verbale autour d'un sujet, d'une histoire, d'une émotion, finissait par devenir de la tristesse. Au fil des séances, cette dimension envahissante des larmes avait peu à peu cédé la place à une capacité d'expression un peu plus neutre sur le plan de l'humeur. Néanmoins, elle manifestait encore le sentiment que cette tristesse n'était pas tout à fait à sa place. Après l'accompagnement avec dixit, une proposition lui a été faite: "Comment pourrions nous maintenant, vous aider à redonner une plus juste place à la tristesse? ". Cette phrase est issue en droite ligne d'une autre phrase: "Aidez-moi à vous aider", qui me vient de l'un de mes formateurs en hypnose Ericksonienne, Philippe AIM (institut Uthyl), et qui prend de plus en plus d'importance dans ma façon de travailler avec les patients.
L. a donc réfléchi à cette piste de travail possible. Mais, progressivement, l'idée à glissé vers autre chose. L. étant elle-même dans le domaine du soin, l'idée d'aider les autres s'est naturellement invitée dans le cours de cette co-réflexion et co-création. Finalement, la formulation qu'elle avait traduite devenait presque "aidez-nous à aider les autres". L'idée de demander de l'aide aux personnes pour les aider elles-mêmes est pour moi clairement acquise et cet approfondissement d'aide à aider les autres s'était déjà inscrite dans la création du jeu de la maison, comme une co-création thérapeutes et patients. Mais autant proposer cela à un groupe de personnes pouvait me sembler être un projet acceptable, autant faire cela avec une seule personne, (alors que j'avais pour habitude, en thérapie individuelle, de me centrer sur la personne elle-même), ne me serait peut-être pas venu à l'idée. Ou du moins, j'aurais hésité à le proposer.
Les patients, entre eux, sont co-thérapeutes, car leur façon d'être peut influencer celle de l'autre et la notion d'entraide est importante. Le "simple" fait d'entendre l'histoire de l'autre et sa façon de gérer les choses, est source d'évolution possible. En éducation thérapeutique, ce phénomène est appelé "patients ressources" et il est désormais avéré que le discours d'un pair est souvent plus écouté que celui d'un professionnel, même très doué. Nous avons donc tout intérêt à nous appuyer sur le savoir des patients. Souvent ces patients ressources sont des personnes qui ont dépassé un certain stade et qui reviennent aider les autres ensuite.
Dans le cas de L. nous sommes dans un paradoxe. C'est aider les autres alors qu'elle-même n'en pas encore tout à fait sortie de sa propre souffrance autour du deuil et de la perte. La question du deuil s'ouvre: est-il vraiment un jour réellement achevé, dépassé? Est-il possible de dire que son deuil est fait, comme on peut l'entendre parfois? En tout cas, cette façon de faire a permis à L. de sortir un peu de sa position de passivité, de réceptivité pure. Elle n'est pas sans risque à utiliser, car proposer un tel postulat risque, pour certain patients, de les faire basculer dans une confusion des rôles et des identités...Mais quand cela fonctionne, il y a la découverte, toujours puissante, de ses propres ressources et de ses capacités d'empathie. C'est pour cette raison qu'il semble préférable de laisser les situations se mettent en place et se dérouler, dans des processus thérapeutiques non prévus à l'avance. (voir Objectifs ou processus?).
Autour ou au c½ur de la tristesse ?
Cette patiente avait entendu parler du photo-langage et a cherché à développer un outil pour pouvoir s'exprimer autour de la tristesse. La stagiaire présente à ce moment là, Marine Elédut, l'a donc accompagnée dans cette création. L. a choisi une quinzaine d’images autour de la tristesse sur internet et a pu mettre des mots autour de cela. Elle a proposé une structure de séance reposant sur la technique de base du photolangage: poser les images sur une table, laisser les participants en choisir une et venir s’asseoir en groupe pour en parler. (voir site sur photolangage).
L. en expliquant ses choix d'images, a constaté par elle-même qu'elle avait choisi une image de cimetière, mais avec des fleurs, alors qu'en début de thérapie elle en aurait été incapable. Les discussions autour des autres images ont mis en évidence ses capacités à trouver des images de petites et de grosses tristesses, des tristesses collectives ou personnelles, des tristesses abstraites ou avec des visages humains et de la relation, bref, toute une palette d’images variées et riches autour des différents aspects de la tristesse. Auparavant, il y avait un gros paquet noir de tristesse, avec pour seule image, envahissant tout le reste, la perte maternelle.
J'ai évoqué le fait que certaines personnes pourraient avoir du mal dans la verbalisation pure, et qu'en tant qu'ergothérapeute, il me manquait un peu, tout de même, la médiation au sens d'une utilisation un peu plus concrète d'un outil. Je n'ai surtout rien proposé comme action particulière, pour laisser la porte ouverte à l'imaginaire de L. Tant qu'à l'accompagner en position méta, autant le faire jusqu'au bout. L. a alors évoqué l'idée de coller l'image au centre d'une feuille avec de la patafix, afin de pouvoir la prolonger, dessiner autour, en faire quelque chose. Cette idée d'une métamorphose possible, était, bien sûr, une proposition déguisée pour que L. faire quelque chose autour de cette tristesse. Une métaphore du fait de pouvoir voir quelque chose autour, au-delà, en se décentrant du sujet central pour l'élargir, le dilater, le travailler.
Lorsque nous nous sommes rendues compte que retirer cette image allait laisser ensuite un carré blanc, sacrée signification sur un plan symbolique, tout un jeu d'associations d'idées s'est alors déployé: entre le carré blanc, l'interdit, la manque, le blanc du discours, le blanc de l'oubli, le blanc du deuil. L s'est exclamée qu'il pourrait être intéressant de voir la réaction à ce manque, à cette perte. Elle a pu alors proposer l'idée d'y écrire quelque chose, ou de re-prolonger le dessin, mais cette fois au-dedans, comme pour aller voir la trace que cela pourrait inscrire dans l'espace intérieur. Et cette seconde partie de l'hypothétique consigne, issue de cette idée qu'il est possible de faire quelque chose dans cet espace vierge/vide que la tristesse a pu laisser, vient se dire alors, comme la possibilité de transformer elle-même ce manque, ce creux inscrit dans sa vie par le deuil de sa mère.
Cette consigne n'a pas été utilisée avec d'autres personnes. Pour le moment. Peut-être pourra t'elle s'inscrire un jour, dans une autre thérapie, comme un passage, une transmission possible d'un message, d'une idée à une autre personne. L'essentiel de ce travail n'était pas en fait la création d'un outil. Cette création était la thérapie...Une autre façon de découvrir comment, au c½ur de la tristesse, intégrer le manque...
2019: Des nouvelles de cette jeune femme...Dans le cadre d'une formation pour être soignante auprès des enfants, elle a demandé de l'aide pour créer une mallette de jeux sur l'expression des émotions. Une belle intégration dans sa vie personnelle de ce qui a pu se jouer en thérapie. Une nouvelle ressource qui accompagne le mouvement de résilience de cette jeune femme, c'est à dire la sublimation de son deuil maternel grâce à un passage dans une position de soignante.