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Besoin, demande ou désir?

Besoin, demande ou désir? Zoom sur Besoin, demande ou désir?
 


Dans le cadre du groupe AP ("autonomie et projet") la notion de motivation et d'engagement dans la thérapie reste parfois ténue et fragile. La psychose, en effet, vient mettre un frein très important aux capacités d'engagement des patients. En  ergothérapie, les termes employés autour de ces notions sont ceux de motivation, d'engagement ou de volition (Kielhofner). En psychiatrie et psychologie clinique, les termes employés sont plutôt du côté de la distinction entre besoin, demande et désir. Un article vous est proposé pour méditer autour de ces notions. (voir désir, motivation, volition).





Pour redonner rapidement quelques grandes lignes, il est possible de dire que le besoin est la base nécessaire pour la vie (besoins physiologiques et psychiques, liés à nos pulsions). La tentative de satisfaire au mieux nos besoins nous conduit à avoir des demandes, des intentions, des comportements. Ce sont aussi nos besoins qui nous poussent à nous engager dans des activités, avec une plus ou moins grande motivation et un engagement plus ou moins intense et soutenu. Le besoin est du côté d'un manque à satisfaire dans la réalité pour assouvir les pulsions, le désir, quand à lui, est du côté du manque mais dans un domaine plus fantasmatique. On désire un objet pour ce qu'il représente dans notre inconscient, en termes de plaisir déjà ressenti et recherché à nouveau.

Au-delà de la nécessaire méditation sur la différence entre besoin et demande  faite par la thérapeute en amont de la séance, quels outils pouvons nous proposer à des patients pour se questionner sur ces notions? Comment, concrètement, peut-on leur proposer un travail cognitif, mais aussi psycho-affectif et ceci, en situation groupale? Cet article se propose de relater comment un outil peut se trouver, se créer, s'affiner lors d'une séance de thérapie.



Quels outils choisir?
Lors d'une séance, un travail autour des besoins a été proposé aux patients du groupe AP, en lien avec la difficulté d'une jeune patiente à identifier ses besoins personnels. Pour préparer cette séance, je me suis donc mise à la recherche d'outils favorisant la prise de conscience des besoins potentiels.

  • L'auto-bilan Eladeb a été ma première piste, car il permet de lister les difficultés rencontrés par la personne, puis d'identifier les demandes qui en découlent. L'utilisation d'images, de représentations des différentes activités humaines, catégorisées en différents domaines est très intéressante et ce bilan a donc été proposé à chacun des participants dans les débuts du groupe. Mais ce bilan se situe plus du côté des activités et des capacités, que des besoins...
  • Je me suis donc appuyée sur la liste des 14 besoins fondamentaux de Virginia Henderson pour proposer un tableau à remplir autour des besoins, en vue de savoir s'ils semblent satisfaits ou non pour la personne. Ce tableau n'a pas été retenu par les patients, à qui je donne le plus souvent possible le choix des outils, pour les aider à entrer dans une attitude pro-active. Il leur semblait en effet, trop scolaire, trop long. La forme de tableau a d'emblée été ressentie comme contraignante. "Hola, ça va être ch..."
  • J'ai également été chercher du côté de la pyramide des besoins de Maslow, venant s’inscrire comme une référence extérieure. C'est cette dernière proposition qui a été retenue par le groupe pour la séance du jour. J'ai choisie une proposition d'une pyramide aux couleurs chaudes, avec déjà quelques mots clefs, permettant une base de travail. J'ai prévenu les patients qu'il s'agissait de la parole d'une personne (un ingénieur en informatique) et donc qu'il fallait relativiser les choses (voir site). Partir de la parole d'une personne étrangère au groupe a permis ainsi de réfléchir autour de la valeur de la parole, comme "vérité" universelle, discours personnel, croyance ou simple base de travail et de discussion.


Une structure toute faite
La pyramide de Maslow, psychologue américain, est bien connue des coachs et autres formateurs en développement personnel. Maslow considère l'homme comme un animal social et même si sa pyramide est souvent utilisée dans des contextes de management du personnel, son intention de départ était centrée sur la compréhension de l'humain et la santé psychologique. Il y ajoute une dimension spirituelle, qui n'est pas toujours prise en compte dans le domaine de la psychiatrie ou psychologie. Il y ajoutera plus tard aussi, un besoin cognitif, un besoin esthétique et un besoin de transcendance. Cette classification est remise en question, considérée comme limitative, trop simpliste et surtout trop hiérarchique, donc susceptible d'induire un sentiment de réussite nécessaire pour passer d'une strate à l'autre. Dans la réalité, les choses sont imbriquées plus finement. De plus Maslow se centre sur les besoins et pas sur les désirs... L'utilisation d'un tel schéma nécessite de replacer les choses dans leur contexte et de proposer aux patients une méta-réfléxion, au sens d'une critique de cette théorie qui peut venir comme une base de réflexion pour aller plus loin.

Maslow classe les besoins fondamentaux de façon hiérarchique et nous avons donc utilisé cette base pour verbaliser autour des besoins de chacun à partir de cette trame, en rappelant ce qu'elle peut avoir d'artificiel :

  • Besoins physiologiques : Les mots clefs proposés dans ce domaine sont faim, soif, désir sexuel et besoin de sommeil. Les patients lisent les mots et certains sourient d'un air entendu. Ils indiquent qu'ils ont le sentiment que leurs besoins physiologiques, centrés sur la vie matérielle, leurs semblent comblés, sauf...la sexualité qui a fait réagir certains. Cette thématique reste difficile à aborder en groupe, et encore lus pour des personnes psychotiques. Le besoin de sommeil est l’occasion de faire le tour des troubles éventuels, et il n'y en a pas. La soif permet de parler de la canicule et la faim, d'évoquer la nourriture de l’hôpital ou celle que l'on peut faire soi-même. L'un des patients revient juste d'un séjour de test en appartement et met l'eau à la bouche à tout le monde en évoquant ce qu'il s'est cuisiné.
  • Besoins de sécurité : Les mots clefs proposés sont survie, confort et sécurité. La survie n'est pas retenue car c'est un mot trop fort. Le confort proposé à l’hôpital semble suffisant, ce qui me surprend si je raisonne avec mes propres critères de confort...Le mot préféré des patients est celui de sécurité. Ils débattent sur leurs sentiments respectifs de sécurité et parlent de se sentir protégés à l’hôpital, car durant cette séance les patients d'HDJ ne sont pas présents. C'est aussi l’occasion pour l'un des patients, d'évoquer le fait que les petites fenêtres des portes de chambre sont désormais occultées par de l''adhésif. Il il se demande si ses remarques fréquentes autour d'un sentiment de non respect de la vie privée ont eu un effet ou pas...J, la jeune fille ayant du mal à mettre des mots sur ses besoins, indique que son besoin de sécurité est assuré ici, tout comme dans sa famille d'accueil. Nous évoquons donc cette notion de transfert de sécurité d'un lieu à l'autre. Et surtout nous commençons à évoquer comment cette notion de sécurité pourrait être possible aussi, seul ou seule...car l'objectif pour cette jeune fille, est de l'aider à pouvoir quitter sa famille d'accueil dans les meilleures conditions face à sa dépendance relationnelle. La date limite de son accueil en famille approche en effet à grands pas. Et pour elle sécurité ne rime pas avec solitude. Elle peut alors entendre le patient qui était en appartement teste, souligner qu'il a apprécié d'avoir des temps de solitude.
  • Besoin d'appartenance et de relation : Les mots clefs proposés dans le schéma sont ceux de fraternité, solidarité, convivialité, amour. Nous redéfinissons ensemble le sens de chacun de ces mots et ils rebondissent sur la convivialité. Un patient évoque la convivialité du groupe AP. Le sentiment d'appartenance leur pose question, car cela les renvoie à un sentiment d'appartenance à "la catégorie des malades". L'acceptation de ce statut est variable selon les personnes et ils cherchent dans quel cercle d'appartenance autre, ils pourraient s'inscrire. Nous débattons donc plus largement sur la notion de solidarité qui semble moins dangereuse. Ils partagent leurs expériences sur le fait qu'ils aident ou non les autres, évoquant des souvenirs. L'amour est un peu "zappé", car ils constatent tous qu'ils en aimeraient un peu plus et qu'ils sont seuls dans la vie.
  • Besoin de reconnaissance : Les mots clefs sont estime de soi et d'autrui, pouvoir, bonheur. Les notions de pouvoir et de bonheur ne sont pas intégrées par le groupe. Le sentiment d'avoir du pouvoir est trop éloigné de leurs ressentis disent-il et nous voilà bien loin de nos envies de thérapeute que les patients soient dans la fameuse auto-détermination...Le mot de bonheur semble inaccessible. La notion d'estime de soi est acceptable pour pouvoir discuter et échanger. Je reformule les choses en proposant la question suivante : vous êtes fier de quoi? L'un parle de son écriture et de son envie d'être reconnu par la communauté littéraire. Mais il constate que pour cela il lui faudrait tenter de se faire publier et ses écrits sont de l'ordre de l'intime qu'il hésite à montrer. L'autre est fier de ses capacités en informatique qu'il souhaite utiliser dans une formation et un métier futur. La dernière participante ne sait pas de quoi elle pourrait bien être fière...
  • Besoin de réalisation de soi : Le mot clef de "plénitude psychologique" semble sidérer les participants, tant cette notion leur semble éloignée d'eux-mêmes. L'un  d'entre eux ne se sent pas concerné, la jeune patiente ne comprend pas de quoi il s'agit et le dernier participant indique qu'il faudrait mettre ce besoin à la base de tous les autres, car "si on est pas bien dans sa tête, on ne peut pas s'occuper du reste"...Et c'est cette phrase qui me permet de me rendre compte que j’aurais pu proposer une autre structure de travail...plus interactive avec les patients et leurs mots à eux, moins dans le savoir issu d'un autre.


Trouver sa structure
Cette séance a plutôt été bien reçue par les participants, mais j'ai eu le sentiment d'un coté trop scolaire qui m'a laissé un peu sur ma faim...Il aurait été possible, peut-être, de proposer une mise organisation collective de mots sur les besoins, dans un type d'animation plus collaboratif, proche de celui utilisé souvent en ETP. Une séance autour de la motivation, plus proche de cette notion de coopération a été proposée, à partir cette fois, des mots des patients et pas d'un savoir extérieur. (voir Motivation!!!)

3 étapes auraient pu être proposer, pour favoriser un travail moins scolaire, moins appuyé sur une structure externe qui risque toujours de se proposer comme un modèle dont il est difficile de s'affranchir ensuite:

  • Définir et nommer : Une mise en mots collective sur les besoins sur de petits carrés de papier permet d'identifier les besoins. Il est possible d'avoir des papiers préparés à l'avance, pour compléter les besoins qui n'ont pas été identifiés par les patients, en ajouter d'autres, enrichir le vocabulaire si nécessaire et favoriser ainsi un élargissement des possibilités. Même si des papiers sont préalablement préparés, il reste important de laisser, en priorité, les personnes chercher par elles-mêmes. C'est la garantie, comme en pédagogie inversée, que les personnes se sentent investies et concernées, pro-active et considérées comme en capacité de trouver par elles-mêmes. Même si, dans le champ de la psychose, il faut bien admettre que parfois, les mots manquent pour désigner les choses, les représentations mentales ont du mal à se faire et à se relier à l'expérience personnelle.
  • Structurer : Il est alors possible de proposer de travailler sur un méta plan à créer ensemble au lieu de proposer une structure déjà toute faite, dans ce cas la pyramide. C'est à dire qu'il peut être proposé aux patients de trouver leur propre forme d'organisation par discussion entre eux. L'un des participants avait suggéré de mettre la réalisation de soi  en bas et, en réaction à cette remarque, un autre avait alors proposé de mettre un bonhomme au centre et de mettre 5 bulles de besoins autour, sans les hiérarchiser. Il pourrait être possible aussi, de proposer plusieurs formes, plusieurs schémas d'organisation si les patients ont du mal à le trouver par eux-mêmes. Il s’agit là de solliciter une méta-position, c'est à dire un regard sur la façon de structurer les choses de façon groupale. Le travail des habiletés sociales va être sollicité car il faudra écouter l'avis des autres et se mettre d'accord, donc faire des compromis. C'est un faire-ensemble.
  • Mettre en mots: Et enfin, le temps de discussion autour des besoins peut alors prendre place, dans la structure créée-trouvée par le groupe. Nous revenons là dans un temps de partage verbal classique, autour des ressentis, avis, sentiments personnels de chacun des participants. Les notions de groupe contenant et confidentiel, d'animation empathique et de reformulation, d'animation centrée sur la parole du patient, de savoir faire du thérapeute pour créer des liens sécures entre les personnes, en sont les mots clefs. Nous revenons là au "je" après être passé par le "nous" de la création collective de la structure qui permet d'organiser cognitivement les besoins, et qui sert de base commune à la parole personnelle. Cette parole est enracinée dans l'histoire de chaque personne, dans sa dimension psycho-affective.



Pour aller plus loin : Abraham Maslow, "'L'accomplissement de soi: de la motivation à la plénitude "



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