"Mais au fait, c'est quoi la schizophrénie?" C'est à partir de cette interrogation de deux patients du groupe "Autonomie et projets" que nous avons créé, avec une stagiaire de première année, Mathilde Dekeyser, une séance dite de "psycho-éducation ludique", c'est à dire une invention... L'un des participants, en réponse cette question, avait proposé d'aller chercher des informations sur internet et plutôt que de les laisser aller chercher des informations de façon, nous avons suggéré de préparer une séance autour de ce sujet. Être centrée sur la pathologie n'est pas das mes habitudes de travail, mais dans la mesure où cette demande a émané d'un participant, puis de deux autres ensuite, nous avons tenté de répondre à leur demande.
Est-ce notre rôle?
C'est la première interrogation à laquelle nous avons du répondre avant de nous lancer dans une telle préparation. Personnellement, en tant qu'ergothérapeute, il ne me semblait pas que ma place soit dans un travail autour des symptômes de la schizophrénie et j'aurais plutôt eu le sentiment que des infirmiers, médecins, psychologues voir même des pharmaciens (pour la partie traitement) auraient été plus à même que nous pour fournir une information sur le plan clinique et symptomatique. Ainsi, en 2015, lorsque des collègues ergothérapeutes nous avaient un jour présentés le jeu Insight, j'avais réagit d'une façon plutôt protestataire, d'une part parce qu'il s'agissait d'un jeu réalisé par un laboratoire et donc estampillé comme tel avec leur logo inscrit partout et d'autre part parce que ce jeu aboutissait, après 6 séances, au constat de la nécessité de prendre les traitements médicamenteux, proposés par le même laboratoire, constat propoé comme une sorte de voie unique de traitement.
Dans l’institution où je travaille depuis 2015, une ligne conductrice est organisée pour l'accompagnement des patients schizophrènes. Les patients bénéficient de séances d'ETP (parcours validé par l'ARS) autour des symptômes de la schizophrénie, puis ils peuvent entrer dans un temps de remédiation cognitive et enfin terminer leur parcours de soin, dans un secteur de réhabilitation. Ce parcours de soins est transversal et accessible aux patients des différentes unités, quelle que soit leurs secteur géographique de rattachement. Il est possible aux patients d'intégrer tout ou partie de ce parcours pensé globalement, selon leur besoins, leur connaissance de leur symptômes. L'avantage est de réunir des patients de différents horizons. La difficulté parfois rencontrée est que les patients dont l'alliance est déjà fragile avec les équipes qui s'occupent d'eux se retrouvent parfois, avec un fort sentiment d'insécurité. Cette difficulté peut être contournée par une préparation en amont, dans le secteur de rattachement de la personne. Certains patients anosognosiques, dans le déni de leur symptômes ne peuvent pas intégrer ce parcours.
Dans ce parcours de soins, des ergothérapeutes sont partie prenante, d'une part dans le domaine de la remédiation cognitive et d'autre part dans celui de la réhabilitation. Mais qu'en est-il dans le domaine du travail autour des symptômes? Y avons-nous notre place? Et si oui, comment et pourquoi? Cette question un peu rhétorique, ne s'est plus posée pour moi dès lors que des patients m'en ont fait la demande, dans le cadre du groupe "autonomie et projets". En effet, c'était dans l'ici et maintenant de la sécurité d'un groupe connu que cette demande a été posée, les patients de ce groupe n'étant pas intégrés dans le parcours ETP-Remédiation-Réhabilitation. Il a fallu trouver une modalité ludique et pas trop scolaire...
Comment?
Mon "amour" inconditionnel des cartes de dixit s'est donc encore manifesté...Nous avons donc proposé à chaque participant de choisir trois cartes, dans un tas de cartes déjà pré-triés en fonction de ce que nous avons pu supposer intéressant. Ces trois cartes devaient être en lien, pour eux, avec le vécu de leurs symptômes. Ces 4 patients avaient tous reçu le diagnostic de schizophrénie. Des cartes ont donc été posées au centre de la table, porteuses de 4 items avec 4 mots clefs pour chacun d'eux.
- Prodromes (premiers signes) : négligence, indifférence, retrait social, entre 12 et 25 ans.
- Symptômes positifs: délire, hallucinations, persécution, angoisse.
- Symptômes négatifs: repli social, manque de motivation, passivité, se laisser aller.
- Dissociation : Esprit scindé, pensée désorganisée, bizarreries, perte d'identité.
Les patients ont donc été invités, items après items, à mettre leurs cartes au coté des mots qui leur semblaient en lien avec leurs cartes. Une discussion a pu alors avoir lieu. Les cartes choisies par les patients se sont inscrites pour certaines dans plusieurs items. les participants ont fait l'expérience de découvrir qu'ils peuvent avoir des visions différentes. J'ai fait le choix de faire une présentation centrée sur les symptômes et non pas sur les patients, dans la mesure où cela respecte l'état d'esprit de la séance. Mais il est clair qu'un travail patient-centré aurait pu également très intéressant à faire, voir à poursuivre pour chaque participant pour les aider à exprimer leurs ressentis.
Pour les prodromes, peu de cartes ont été proposées. Les patients on eut le sentiment d'apprendre l'âge de déclaration d'une telle pathologie et ont échangé sur leurs premiers moments de décompensation. La négligence et l'indifférence n'ont pas été identifiées comme concernant les participants. Le retrait social a été évoqué, reconnu et les patients ont pu échanger autour de cette expérience partagée. Une image d'une sorte d'arbre labyrinthique, avec des oiseaux noirs posés dessus et un oiseau blanc parmi eux. Un participant a choisi cette image pour évoquer le sentiment d'être différent des autres. Le terme de stigmatisation n'a pas été utilisé clairement, mais il s'agissait bien de cela. Les autres personnes lui ont fait remarquer que, certes il y avait une différence, mis que l'oiseau était blanc..
Pour les symptômes dits positifs, une première exclamation d'un patient a été: "Ben je vois pas en quoi c'est positif!". Nous avons donc parlé du fait que c'était quelque chose en plus, quelque chose d'actif. Les cartes sont posées autour du petit carton porteur des différents mots choisis arbitrairement par les ergothérapeutes.
- Une carte d'une planète sombre, entourée d'un halo bleuté et flottant dans l'espace a permis à une personne d'évoquer son ressenti d'angoisse. Il nous a décrit le sentiment de se sentir perdu car il est dans une pièce, dans une maison, dans une ville, dans un pays, sur un continent, sur la terre, dans l'espace et "qu'y a t'il ensuite?". Ce patient évoquait ainsi son ressenti d'angoisse massive, majeure et conduisant à un sentiment de perte de limites, que l'on peut entendre comme sentiment de perte d'identité, d'enveloppe corporelle. Les autres personnes ont pu évoquer, leurs ressentis corporels autour de l'angoisse: c½ur qui bat, sentiment de fatigue, peur de sortir à l'extérieur.Une autre carte a été proposée pour ce thème de l'angoisse: une jeune fille est assise en tailleur, semblant flotter sur de l'eau, entourée de nénuphars. Elle semble presque en prière, mains jointes. Son reflet dans l'eau ressemble à une sorte de bestiole aquatique, au visage rond et avec de grands yeux interrogateurs. Le patient ayant proposé cette image ne connait pas le mot de dysmorphophobie et pourtant il nous en propose une image saisissante, évoquant une angoisse de perdre son identité, de ne plus se reconnaitre. Ce sentiment est exploré dans le groupe.
- En ce qui concerne le sentiment de persécution, plusieurs cartes on été posées à côté de ce mot. L'une d'entre elles montrait un personnage sombre, robotisé, énorme et menaçant, qui va écraser un tout petit personne en armure, avec bouclier et épée. Le patient ayant proposé cette carte parle de son sentiment d'être regardé par les autres, partagé par les autres. Des histoires sont partagées, racontées et deviennent, peu à peu, une expérience partagée. Une autre carte vient appuyer ce sentiment de persécution: il s'agit d'une carte montrant l'image d'un personnage qui marche sur un chemin, avec l'allure libre et joyeuse d'un musicien nomade qui joue d'un instrument dans un paysage de colline vertes et d'herbes folles. Derrière lui, des instruments contondants, coupants, menaçants: des couteaux, épées, flèches flottent derrière lui, rassemblées dans un nuage qui semble le suivre. L'un des patients s'exclame: "C'est quand même bizarre d'avoir des idées comme çà." Ils sont 3 sur 4 à être en situation chronique et stabilisée, depuis quelques mois, mais le 4ème est encore en situation de dissociation et lui semble plutôt étonné du discours de ses pairs, étonné de cet étonnement...
- Quant au délire et aux hallucinations, il n'y a pas de cartes qui viennent illustrer ces thèmes. Il semblerait que ces items soient difficiles à mettre en représentations, car les patients cherchaient des images représentant "leur" délire ou "leur" hallucination, ce qui n'est bien sûr guère possible. Cela ne les empêchera pas d'évoquer le fait qu'ils aient eu tous soit l'un ou soit l'autre. Après avoir évoqué le délire comme une vision différente de la réalité, je laisse donc la parole libre, mais les participants ne souhaitent finalement pas creuser ces items, semblant rester dans le fait d'en avoir eu ou pas. l'exploration plus fine de ces thématiques peut probablement se faire plus facilement en individuel.
Pour les symptômes dits négatifs, 3 cartes sont proposées, avec une certaine difficulté à savoir à quel mot les associer. Un participant hésitera à mettre une carte, porteuse d'un parchemin avec un trou au centre et qui commence à brûler, "parce que c'est négatif", mais finalement il ne la mettra pas au centre et ne saura d'ailleurs pas vraiment dans quoi "ranger" cette représentation de destruction des mots.
- Concernant l'item du repli social, un patient propose l'image de quelqu'un sur une île déserte, un solitaire qui fait sécher son linge, avec une ville noyée sous l'eau en dessous de lui. Cette image est ambivalente pour le patient, qui évoque à la fois l'idée d'être isolé, mais aussi bien tranquille...Ce patient est très apragmatique et clinophile, appréciant peu que nous le sollicitions à se mobiliser...Il ajoutera d'ailleurs, une autre image, celle d'un enfant qui joue avec des jeux vidéos, coiffé comme lui, en soulignant que cette image le représente bien. Le fait que de petits fantômes sortent de la télé ne le dérange nullement et il n'associera pas sur cela.
- Le manque de motivation et la passivité seront traités ensemble, mal distingués. Les cartes proposées sont identifiées comme pouvant aller aux deux endroits. On y retrouve le petit personnage devant sa télé, le personnage sur son île "car il ne fait rien et reste assis" et une nouvelle carte. Il s'agit d'un bateau de bois, de style voilier ancien, porté par une main bleue issue de l'eau, de la mer. L'image est plutôt tranquille et le participant qui la choisit, évoque l'idée d'être porté, aidé, soutenu. Il ne sait pas très bien par qui, hésitant entre famille et thérapeutes. Cette passivité ne semble pas être source d'angoisse ou d'inquiétude en ce qui le concerne. C'est un fait qui l'ennuie et qu'il relie à sa fatigue, comme une fatalité.
- Le laisser aller, tout comme la négligence au sens de ne pas prendre soin de soi évoquée dans les premiers signes, ne sont pas abordés. Cela concerne pourtant plusieurs de participants, présentant des vêtements un peu tachés ou troués, et parfois quelques odeurs corporelles un peu forte, mais ces items restent difficiles à aborder en groupe. Lorsque les mots sont nommés par l'ergothérapeute, avant de demander aux gens de poser leurs cartes, les épaules se haussent un peu, il y a une petite moue en peu gênée et un aveu du bout des lèvres d'être "un peu concerné"...Respecter l'intimité des personnes m'a semblé plus important que le fait de leur redonner de bonnes règles hygiéno-diététiques...
En ce qui concerne les symptômes dissociatifs, le patient qui était encore en stade de non connaissance de sa maladie, voir en déni du diagnostic, a amené beaucoup d'éléments et pour cause, la dissociation n'était guère éloignée de son vécu...Durant toute la séance, il a parsemé les discussions de rires gênés, de questions surprenantes, tentant de dire que c'était surtout les toxiques qui déclenchait tout cela. Au fil de la séance il a pu entendre les histoires de ses pairs, se sentir de plus en plus relié à eux, dans un partage d'expérience. C'est donc sur ce dernier item, plus en confiance qu'il a pu déployer sa parole. Ce patient ne pourrait très probablement pas encore participer à un programme d'ETP de connaissance des symptômes et nous avons pu nous rendre compte de l’intérêt d'une telle séance pour savoir si les patients sont prèts ou non à intégrer un tel parcours.
- La notion d'esprit scindé, de schize est expliquée à la demande des participants qui restent un peu perplexes devant cet item, pourtant au c½ur de leur pathologie. Une image d'une femme asiatique qui cache la moitié de son visage derrière un éventail, sera posée par le patient encore proche de la dissociation. Il évoque le fait que cette carte peut s'inscrire dans cet item, mais aussi dans celui de l'identité. Les autres participants ont des difficultés à trouver des situations où ils ont pu ressentir des choses proches de cette notion qui leur semble très abstraite. Le choix de ce mot n'était probablement peut-être pas pertinent, et en tout cas, pas simple.
- La pensée désorganisée pose encore plus de difficulté et ne recevra pas de cartes pour la représenter. Dans les cartes proposées au choix se trouvaient des images de rouages, de personnages avec des serpents tout autour de la tête, avec une bulle contenant des symboles étranges au dessus de leur tête, un robot avec une sorte de boite à sardine sur la tête, des fantômes, des petits papillons noirs ou des poissons volants en tout sens, des lianes, mais aucune de ces représentations proposées, et qui étaient donc notre propre vision des choses en tant que thérapeutes, n'ont été retenues.
- Le sentiment de perte d'identité a été le plus travaillé dans les items de la dissociation. La carte de la jeune femme asiatique a été reprise, soulignant cette fois que sur l’éventail il y avait le desin d'un monstre et que du coup cela montrait qu'elle ne savait plus très bien qui elle était. L'iamge de la jeune fille qui voyait un reflet étrange dan l'eau est revenue également. Une autre carte s'est ajoutée, représentant un couple étrange, loup et agneau, avec un trou en forme de puzzle au centre de l'image. L'idée qu'il manque quelque chose, ajoutée à l'étrangeté de ces deux personnages pas fait pour aller ensemble, est venue inscrire quelque chose du trouble identitaire.
- La bizarrerie a été plutôt difficile à identifier. Une carte montrant l'image d'un joli paysage qui se révèle être une affiche sur un mur cachant un monde sombre, noir et pollué, est évoquée puis retirée. La carte du couple loup-agneau a été reliée aussi à cet item, ainsi que celle de la femme asiatique, dont le visage est à moitié dessiné sur l'éventail, confondant le dedans et le dehors de soi.
Et ensuite?
Les patients ayant participé à ce temps de "psycho-éducation ludique", ont beaucoup apprécié de pouvoir échanger entre eux sur ce sujet. Certains ont demandé à pouvoir intégrer le travail en ETP autour de la schizophrénie. Nous pouvons considérer que cette séance a permis à ces personnes de s'engager dans un parcours plus long de 12 séances de 2 heures. Une séance d'initiation, en quelque sorte, et une nouvelle possibilité de ce groupe "autonomie et projets", co-créé en permanence avec les patients eux-mêmes, en fonction de leurs demandes, de leur besoins.