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Consignes d'expression médiatisée

Consignes d'expression médiatisée Zoom sur Consignes d'expression médiatisée
Le temps d'expression projective s'est donc révélé nécessaire pour ne pas demeurer dans le "tout occupationnel" attendu par les patients. Ce "faire pour ne pas penser" est certes le moteur principal de la plupart de patients addictés qui utilisent l'activité dans sa dimension d'occupation d'un temps vide vécu comme anxiogène et risquant de les conduire à une ré-utilisation du produit.

Dans un contexte d'éducation thérapeutique, les patients ne cherchent pas toujours à comprendre le sens de ce qui leur arrive, mais plutôt à trouver des explications , des recettes, des trucs pour ne pas recommencer, replonger, rechuter. Leur proposer d'expérimenter une activité projective, expressive et sensée peut sembler une gageure. Il a fallu contourner les résistances, accepter la dimension de l'illusion groupale massive des patients addictés, se déplaçant en "bande" dans l’hôpital (rassuré par le "même" qu'eux) , les difficultés d'affirmation de soi et de séparation, sans compter les difficultés importantes de représentations présentées par la plupart des patients, ce dernier point étant justement celui qui incitait à proposer des consignes d'expression.




L'intention des consignes

Une animation non directive s'est rapidement révélée impossible à mettre en place pour plusieurs raisons.
  • Du fait de la brièveté des séjours, ne permettant pas aux patients d'intégrer progressivement cette démarche d'autonomie dans la création. En effet, les patients n'ont pas le temps d'intégrer la salle de façon personnelle en 2 séances
  • Du fait de la constitution de leur groupe dès leur début de séjour puisqu'ils arrivent tous ensemble en début de semaine, les patients ne peuvent donc pas s'appuyer sur l'expérience "d'anciens" patients qui seraient déjà en action dans le dispositif et leur permettraient un apprentissage par immersion dans un groupe fonctionnant déjà en autonomie de façon non directive
  • Du fait de la difficulté de représentation psychique de certains patients, la non directivité permettant d'aboutir à une expression personnelle les renvoie,souvent , à un grand vide intérieur, qu'ils cherchent à combler par des modèles extérieurs ou par de l'alcool...


En lieu et place d'une animation non directive, des consignes ont donc été proposées. Le choix entre 3 consignes proposées par l’ergothérapeute permet d'exercer sa capacité à se déterminer et de contourner les résistances fréquentes à l'expression. ( voir la construction des séances d'ergothérapie ).



Quelques exemples de consignes

Ces consignes peuvent être centrées sur des aspects apparents, d'un apprentissage technique (Au Japon). Elles peuvent également proposer des créations groupales (Gribouillages, puzzle graphique collectif) permettant la constitution d'un appareil psychique groupal. Elles peuvent travailler autour d'une thématique pertinente pour les personnes addictées, comme par exemple l'ambivalence (Ange et démon) ou sur la recherche d'éléments surprenants autour du sens des symptômes (les p'tites bouteilles). Enfin, certaines peuvent avoir plus clairement, une intention introspective et personnelle (je suis comme). Voici quelques unes de ces consignes, les plus représentatives et surtout, les plus choisies par les patients eux-même, signant là leur intérêt.



Au japon: Une consigne en deux temps, pour une ballade imaginaire au Japon, alliant origami et haïku.


Le temps de découverte de l'origami, permet la réalisation d'une cigale. Ce pliage d'une cigale provoque souvent, du côté des patients, des remarques plus ou moins amusées sur leur propre côté cigale, ayant des relations plus ou moins harmonieuses avec des fourmis conseillères qu'ils n'écoutent guère. Ce pliage n'a pas été choisi volontairement par rapport à cette fable, mais finalement il se révèle, sur ce plan, assez intéressant.

Le pliage en origami, propose un passage de la 2D à la 3D, un travail de concentration, d’exécution praxique, de visualisation dans l'espace et d'organisation. Il est proposé d'une part, sous la forme d'une fiche technique et d'autre part, lors d'une réalisation collective, avec possibilité d'une aide de l'ergothérapeute ou d'un autre patient.

Le choix du pliage de la cigale a été fait car c'est l'un des rares pliages où, même avec les mêmes consignes de départ, aucune cigale ne sera semblable. La structure globale sera bien sûr la même, mais selon les angles de pliage, elle pourra être grosse ou fine, aux ailes plus ou moins ouvertes. Une belle façon de souligner l'existence des différences entre les personnes. 


"Mes rêves parcourent seuls
au cours de sa chute,
le voilà goûteur d'ombre"

Le second temps de réalisation consiste à réaliser un poème à la manière des Haïkus japonais, courts poèmes en trois phrases. De véritable poèmes ont été utilisés, déconstruits, découpés pour permettre d'obtenir une banque de phrases dans lesquelles chacun des participants peut piocher pour réaliser sa propre poésie.
Les créations une fois achevées, (pliage et écriture des trois phrases choisies parmi la banque de phrases collective), sont affichées. Le but du jeu est alors, pour le groupe, de tenter d'imaginer l’atmosphère qui se dégage des créations, sans que son créateur ne l'explique en rien.

Ce sont les projections groupales qui vont renvoyer une image à celui ou celle qui a créé la poésie associée à sa cigale. Il lui est alors possible de dire si ces projections sont proches ou non du message contenu, de son propre ressenti ou même de son histoire. De ce fait, il devient évident qu'il y avait un message puisque le groupe tente de l'entendre et de le décoder, avec toutes les erreurs, nuances et subtilités possibles. Ainsi, le créateur enrichit sa vision consciente, explicative, par les projections groupales inconscientes.




Ange et démonUne consigne collective de collage

La consigne proposée est de trouver dans des magazines, 3 images dites angéliques, positives, agréables et 3 images dites démoniaques, négatives, désagréables. Les photos d'alcool ne peuvent pas faire partie des 3 images négatives. Une fois ces 6 images trouvées, une banque d'images collective est constituée. le travail se poursuit sur des feuilles A2. Chaque participant colle une image sur une feuille et la transmet ensuite à son voisin/voisine. Les feuilles reçoivent ainsi progressivement des images, une à une, avec pour seule limite le fait de ne pas utiliser ses propres images. Il ne s'agit aucunement de déterminer si les images utilisées sont positives ou non.

Très souvent, durant le choix des images, les patients parlent aisément de la notion d'ambivalence, une notion découverte lors des groupes de réflexion changement. Le travail sur les opposés, positif et négatif, les conduit à parler de cette notion et à se situer par rapport à elle. Ils sont souvent surpris de ne pas avoir à expliquer le choix de leurs images et encore plus surpris de réaliser des collages où il ne s'agit pas d'utiliser les images dans leur intention première, symbolisant le positif et le négatif. Le travail collectif en collage va permettre en effet, d'utiliser les images en ignorant la tonalité donnée par celui ou celle qui l'a choisie.

Lorsque la banque d'images est épuisée, chaque personne met un titre sur le dessin qu'elle a devant elle. Un affichage a lieu, permettant de contempler les œuvres collectives et de trouver une histoire groupale, associée à chaque collage. Ce temps,de verbalisation permet alors aux patients, de découvrir qu'il est possible d'intégrer en soi des éléments vécus comme positifs et des éléments dits négatifs. Michèle Monjauze parle en effet, dans son livre sur" La part alcoolique du soi", de la nécessité, non pas de s'amputer d'une part de soi-même désignée comme mauvaise, mais de tenter d'intégrer toutes les facettes de soi-même pour ensuite les travailler et les élaborer psychiquement par l'introspection et la psychothérapie.

Certains collages vont clairement opposer deux mondes incompatibles dans des thèmes de guerre, de divorce, de bagarre, de lutte entre forces de vie et force de mort. D'autres auront clairement une charge pessimiste ou au contraire une tonalité dynamique, active et vivante. Dans tous les cas, une histoire peut naitre des rencontres de ces images. Ces histoires sont ensuite scribées par l'ergothérapeute, puis les dessins sont reliés et associés à ces histoires. Ces "livres" collectifs prennent ensuite leur place dans l'atelier, en attendant d'être, un jour, lus par d'autres patients venus en atelier. L'intention de cette consigne est donc de proposer une expérience concrète de ce postulat d'intégration possible de facettes positives et négatives.





GribouillagesUne consigne de création collective en craies grasses.

Chaque personne laisse quelques traces et empreintes sur une feuille blanche de format A2. Chacune des feuilles tourne alors, dans un mouvement permettant à chaque participant de jouer, de dessiner, d'imprimer son geste graphique personnel sur la création collective.


La consigne est de ne surtout pas représenter quelque chose de réel, ni  de dessiner quelque chose de précis. Au cours de la séance, les dessins peuvent être travaillés plusieurs fois par la même personne. Progressivement, des éléments plus reconnaissables vont apparaitre et être travaillés par le groupe.

Une fois les créations achevées, un titre est mis par la personne ayant posé la dernière trace. Une fois les titres trouvés et notés, les dessins sont affichés. Le travail d'élaboration verbale collective peut commencer. Idées réelles ou imaginaires fusent durant le temps de parole. des liens peuvent alors se tisser, entre les dessins, entre les projections imaginaires et les histoires réelles.

Cette expérience de mise en formes puis en mots collectives, va aussi permettre de traiter des éléments psychiques archaïques, effrayants, négatifs, grâce à la constitution d'un appareil psychique groupal .






Les P'tites bouteilles:
un jeu d'écriture cachée


A partir de collages d'images réalisés sur des formes rappelant de petites bouteilles, les participants sont invités à créer des textes par le système de mots cachés laissant le dernier visible pour que la personne suivante puisse rebondir sur ce mot. Ce type d'exercice était pratiqué par les surréalistes sous le nom du cadavre exquis. (voir exemples dtextes écrits à partir de ce thème)

Ce jeu d'expression va permettre plusieurs étapes:
  • Une première étape cognitive, dans l'écriture d'un texte, souvent descriptif dans un premier temps, parlant de la petite bouteille choisie par la personne qui initie l'écriture.
  • Une étape associative, permettant de rebondir, à partir du mot visible laissé par le précédant écrivain et à partir du visuel graphique de la petite bouteille qui sert d'ancrage aux mots.
  • Une étape de lecture collective des textes illogiques, poétiques, absurdes en apparence, pour un temps de découverte de la dimension potentiellement signifiante de ces écrits. La prime de plaisir apportée par la lecture de ces textes originaux vient inscrire ce jeu d'écriture comme un renforcement narcissique personnel, étayé sur cette écriture groupale.




Je suis comme:
une consigne introspective

Cette consigne, fréquemment retenue par les patients, propose de choisir parmi un ensemble de phrases métaphoriques, la phrase qui semble le mieux décrire l'état d'esprit de la personne, sa façon d'être ou son désir d'être comme et de la mettre en représentation, par collage, dessin ou même écriture. Les patients sont invités à choisir l'une de ces phrases, ou à inventer leur propre phrase ou encore à adapter l'une des phrases proposées. Ce choix va déjà permettre d'entendre si la personne peut trouver sa propre définition ou doit s'appuyer sur la vision d'une autre personne.

Exemples
  • Un volcan en colère
  • Un torrent de boue
  • Une âme égarée
  • Un arbre bien enraciné
  • Une rivière lente

Le travail de mise en représentations se réalise le plus souvent, par collage. Le dessin est rarement pratiqué et l'écriture encore moins, émergeant parfois sous forme d'un titre ou d'un mot. Le collage permet d'extraire des images d'un collectif sur lequel il est possible de s'appuyer. Cette notion de choix d'image est intéressante au sens où elle va permettre à la personne de se sentir intégrée à un collectif d'images, issues de magazines qui reflètent notre société. Il n'y a qu'à entendre les remarques sur les magazines présents, selon qu'ils soient féminin, sportifs ou autres catalogues de voyages. L'imaginaire est d'emblée mis en action grâce à cette floraison d'images issus de notre fond collectif.


Ce choix permettant d'émerger du collectif, invite les personnes à se dire, en choisissant des images qui entrent en résonance avec leur histoire singulière. Ainsi il s'agit plus de choisir une image qui "parle" , que de s’affirmer véritablement dans une forme dessinée, issue plus directement du corps propre qui s'engage dans une forme et se révèle souvent difficile à exprimer. Certains vont juste parler de leur choix sur le plan de leurs goûts, ayant représenté ce qu'ils aiment, ce qu'ils pratiquent comme loisirs, ou ce qu'il souhaitent dans leur avenir. D'autres vont pouvoir aller plus loin, se laisser surprendre par une phrase qui les entraine vers la découverte d'images moins rationnelles et moins explicatives, vers une dimension plus inconsciente de la projection dans le choix des images.

La notion de collage permet ensuite une re-création d'une plus grande image, intégrant des éléments différenciés qui viennent alors s'inscrire dans un nouveau sens. Le mot même de colle est souvent entendu, dans un lapsus d'oreille, comme l'alcool, ce qui mériterait un travail d'élaboration plus approfondi de ce qui se noue et renoue psychiquement,  dans ce collage d'éléments apparemment palpables et externes : une solidification? Une intégration? Une tentative de faire tenir? De re-coller des morceaux?  Un retour à une fusion collante?un investissement?

Enfin, le temps d'expression verbale vient ouvrir un dernier temps, introspectif. Les personnes peuvent alors, se définir, parler d'elles et découvrir de nouveaux aspect d'eux-mêmes grâce aux interactions avec les autres patients et la thérapeute.





Les écrits de cet article sont la propriété intellectuelle de Muriel Launois et n'engagent qu'elle.
Il est possible d'utiliser tout ou partie des élaborations proposées, en citant vos sources.
Merci d'avance d'en respecter l'esprit. (article de 2012)






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