- Le jeune patient schizophrène, qui avait été l'un des participants à la création du jeu, a été quelque peu surpris des transformations, en particulier concernant les objets de décoration. Les espaces personnels agrandis sous forme de maisons de tissu ont semblé lui plaire, mais il a souligné que ce que nous avions mis des heures à découper dans les magazines avait disparu, au profit de toutes petites cases dont il trouvait qu'elles étaient difficilement visibles. Durant le jeu, la proposition était faite de discuter ET décorer à chaque séquence de jeu, ce qui permettait d'obtenir de nombreux éléments de décoration. Ce jeune patient a rapidement été comme "saturé" par cette abondance, mettant les éléments à l'endroit ou à l'envers, sans investir réellement ces éléments trop petits, les mélangeant parfois d'une pièce à l'autre.
- La personne psychotique d'une quarantaine d'année, plutôt méfiante, a passé son temps quand à elle, à se demander où placer la cave et le grenier, puisque la maison présente deux niveaux de 3 pièces chacun. Les discussions ne semblaient pas lui permettre de sortir de ce souci en apparence cognitif et logique. Il lui a été difficile de s'investir dans un lieu qui ne lui paraissait pas logique et réaliste. L'organisation proposée par la structure de la maison n'était pas suffisante pour elle et surtout, elle ne pouvait pas l'intégrer car n'étant pas sienne. Le lien de confiance n'avait pas été préalablement assez travaillé avec une personne aussi méfiante. Malgré cela, le travail sur l'espace personnel a mis en évidence son besoin de sécurité et à la suite de ce jeu, elle a demandé que la décoration mise sur sa porte de chambre soit changée, car elle n’aimait pas le rose. Donc, la dimension de la re-construction de l’espace personnel a tout de même eu un impact.
- Le patient mégalomaniaque était tout à fait capable de participer aux discussions et d'apprécier d'être en relation avec les autres personnes, de manière cohérente lorsqu'il s'agissait d'évoquer des souvenirs ou de proposer des solutions aux petits tracas du quotidien. L'espace personnel ne l'a guère intéressé, car il considérait que c'est lui qui avait construit un bon nombre de bâtiments de la ville. Ces petites maisons de tissu lui semblaient donc plus proches d'un jeu pour enfant qu'un jeu pouvant l'aider. L’intérêt pour ce patient, a été de pouvoir être avec les autres et surtout de travailler sur des questions concrètes autour de certains aspects de vie quotidienne, le ramenant à un principe de réalité souvent difficile à intégrer pour lui.
Test avec deux patientes, une infirmière, une stagiaire ergothérapeute et une ergothérapeute
En secteur fermé: Une patiente présentant un début de démence et une jeune patiente état-limite, dont les pulsions suicidaires avaient nécessité un passage en milieu fermé. Le jeu était proosé dans une version mixant le jeu des habiletés sociales et le jeu "Être (chez) soi".
- La jeune patiente, durant le temps de décoration de son espace personnel, a découvert qu'elle n'avait pas mis de cuisine et de salle de bain dans sa maison. Elle a ainsi pu évoquer le fait qu'elle ne prenait pas soin d'elle, ni en termes nourriciers, ni en termes d'hygiène. Elle était à la fois surprise de cet oubli, mais a pu lui donner du sens, en lien avec son histoire et avec sa façon d'être. Cette patiente avait clairement des capacités d’introspection qui lui ont permis de faire des liens associatifs. L'aspect décoration de l'espace personnel n'est pas celui qui a le plus retenu son attention. Le temps d'échange verbal était plus investi.
- La patiente en début de démence a pu apprécier la partie d'habileté sociale, favorisant la discussion, l'évocation de souvenirs. Elle s'est sentie à l'aise et en capacité de participer à cette partie du jeu. De ce fait, elle choisissait presque à chaque fois, lorsque c'était à elle de choisir, la discussion. Lors du temps de décoration de son espace personnel, elle était à chaque fois en difficulté, ayant du mal choisir le nom des 6 pièces dans lesquelles elle voulait jouer, ayant du mal à les organiser. Lorsqu'elle choisissait un objet, elle avait ensuite du mal à se souvenir que cet objet pouvait symboliser une pièce et semblait désemparée de ne pas savoir quoi faire de ce qui se trouvait devant elle. Elle avait beaucoup de mal à passer de l'espace collectif à l'espace personnel. Dans la réalité, sa maison était dans un état d'incurie et de désorganisation, qui faisait bien écho à sa petite maison de jeu.
Test avec deux patientes et une ergothérapeute
En secteur fermé: Une patiente psychotique et une patiente présentant des troubles du comportement et un état hypomaniaque. Le jeu est proposé ce jour, avec les deux parties, habiletés sociales et être (chez) soi.
- La patiente psychotique a été très troublée par le fait que le choix des 6 pièces de la maison ne correspondait pas à sa maison réelle. Elle répétait sans cesse que cela ne correspondait pas à la réalité, même si elle semblait apprécier de choisir des éléments de décoration. Elle regrettait de ne pouvoir choisir qu'un seul élément symbolisant la pièce, car elle aurait voulu y mettre tous les meubles et accessoires nécessaires. Les temps de parole étaient investis et pouvaient l'aider à se centrer sur autre chose que son souci de non correspondance entre sa maison et celle du jeu. Le travail avec ce jeu lui a permis d'éprouver un sentiment de difficulté en lien avec son lieu de vie, et elle a pu constater qu'elle n'était pas tout à fait prête encore, à cette sortie qu'elle réclamait depuis son début d'hospitalisation.
- La patiente hypomane a apprécié le jeu, dans ses deux dimensions. La discussion était bien investie et canalisée par la présence des cartes questions qui lui évitaient de se noyer dans un flot de paroles. Le temps de décoration était lui aussi très investi, avec des choix réfléchis et posés, un gout esthétique et des souvenirs agréables venant se greffer sur ses choix. L'attention est focalisée par le jeu, mais les idées restent accélérées. Le temps de jeu lui a permis de parler d'elle, d'évoquer des souvenirs agréables avec son fils et de se poser la question de son lieu de vie à sa sortie. Elle a demandé à rencontrer l'assistante sociale pour refaire le point sur tout cela et notamment sur ses droits au logement.
Test avec 5 patients psychotiques, une stagiaire ergothérapeute et une ergothérapeute
En secteur ouvert: le jeu est proposé avec la seule partie des habiletés sociales à 5 patients schizophrènes, tous issus d'un long temps d'hospitalisation et en voie de recherche d'une solution pour un lieu et un projet de vie. Les patients se connaissaient et avaient déjà eu de nombreuses séances d'ergothérapie, certains en individuel, d'autres en groupe mouvements (gym douce) et d'autres en atelier découvertes (atelier manuel) ou en écoute musicale.
Il a été rapidement constaté que 5 personnes était un trop grand nombre pour qu'ils puissent maintenir leur attention durant l'expression verbale des autres personnes. Ils sont resté en mode répondant aux questions de l'ergothérapeute. Pour la majorité de ces patients, le rapport à la mère, comme celle qui organise et gère l’espace de vie, était teinté de dépendance et d'ambivalence. De ce fait, l'ergothérapeute qui pouvait tout à fait être porteuse d'une position maternelle, surtout en proposant un jeu autour de la maison, est demeurée animatrice, ne participant pas au jeu en plaçant un pion sur le plateau.
- L'un des patients était parmi les premiers créateurs du jeu. Il a souligné la différence et l'évolution. Il se souvenait avoir été très centré sur "les patates" lors de ce temps, parlant de cela dans les questions cuisine et jardin. Le souvenir lui permet de retrouver une familiarité et une place différenciée de celle des autres personnes. Les questions tirées ce jour, tournent beaucoup autour de la chambre d'enfant. Il laissera échapper que pour jouer à cache-cache, il aurait fallu avoir des amis. Sa participation demeure moyenne et comme il est brouillé avec un autre patient, il ignore ostensiblement sa présence.
- L'un des patients était celui qui a testé le jeu en individuel et participé à sa création. Il a été l'un des plus investi, appréciant la position haute que lui donnait des réponses cohérentes et faisant référence à un savoir technique (distance des prises électriques des points d'eau, comment faire en cas de fuite d'eau). Les réponses sont aisées car la confiance relationnelle était déjà établie et l'habitude de parler en groupe avait déjà été travaillée. Il est très acteur dans la démarche d'autonomisation en vue de sa sortie, après un très long temps d’hospitalisation en milieu fermé.
- L'un des patients ne connaissait que très peu l'ergothérapeute animatrice du jeu et il lui a été très difficile de s'engager dans les interactions sociales. Il répondait "oui, non, pas tellement", de façon laconique à chaque invitation à parler, même sur des questions très ouvertes. L'investissement potentiel dans les différentes pièces était très pauvre et a mis en évidence que, vivant avec sa mère récemment décédée, il n'avait jamais vraiment investi par lui-même un espace de vie, organisé par cette dernière. Il ne faisait pas grand-chose en termes de vie quotidienne, à part être dans sa chambre et écouter de la musique. Et même là, lorsque les autres patients évoquaient la présence de posters de groupes de musique, ce n'était pas le cas pour lui. Le jeu n'a pas semblé lui apporter grand-chose, mais une seule session ne suffisait sans doute pas.
- Un des patients, plus jeune et en voie d'autonomisation d'avec sa mère par une recherche actuelle d'appartement personnel, a manifesté une grande ambivalence. A la fois, il a semblé a apprécier les interactions durant les discussions et à la fois il a trouvé le jeu un peu trop long (durée une heure). Il n'a eu aucun souci dans les discussions autour des petits tracas de la vie ou autour des capacités à s'occuper du ménage, linge, etc..Le temps de jeu a mis en évidence ses capacités à se débrouiller, soulignant que sa difficulté était plutôt dans la séparation 'avec sa mère, inquiet pour sa santé psychique.
- Un autre jeune patient, en mode d'entrée dans la psychose, n'était pas du tout dans la démarche de trouver un espace de vie personnel, vivant avec sa mère et n'ayant pas terminé ses études. Actif et impliqué, il a donné de nombreuses réponses, avec le sourire et de l'humour. L’intérêt pour ce patient, devenu patient ressource pour les autres, a été d'être dans une dynamique avec les autres patients et l’intérêt a été encore plus important pour les autres, car il est en HDJ et apporte une bouffée d'air extérieur aux autres, rappelant la vie hors de l’hôpital.
Test avec deux patients psychotiques, une stagiaire ergothérapeute et une ergothérapeute
En secteur ouvert: Le jeu a été proposé avec sa seule partie de décoration de l'espace personnel. Les thérapeutes ont participé, du fait du petit nombre de personnes et du fait que chacun et chacune pouvait s'occuper de son espace personnel sans confusion. C'est a la partie du jeu "Être (chez) soi".
Les maisons de tissu ont donc été décorées progressivement, en proposant à chaque personne, à tour de rôle, de déterminer soit une pièce soit un élément de décoration (type papier peint ou autre) qui pouvait être choisi, exploré et ensuite explicité en discussion groupale. Les discussions se sont rapidement révélées riches et porteuses de sens. Le choix des couleurs et des matières était investi positivement, les patients prenant le temps de se déterminer. l'un d'eux parlait de couleur claire, pour donner une impression de lumière et ne pas se sentir étouffé. Il a évoqué une idée qui lui était venue, de peindre sa chambre en noir, avant de se dire que cela faisait tout de même un "peu boite fermée". La décoration de la chambre a donné lieu à des discussions sur l'état des matelas de l’hôpital, qui s'avèrent peu confortables.
Les échanges entre patients et thérapeutes ont révélés l’intérêt des patients envers les gouts et choix des thérapeutes. Ils se sont révélés curieux de ce qui pouvaient motiver nos choix. Un échange a ainsi eu lieu sur le type de réveil utilisé pour s'éveiller le matin. Lorsque nous jouons ainsi, dans un domaine aussi personnel qu'une maison, métaphore de notre moi, il est important pour les thérapeutes, de demeurer dans des choix authentiques, mais tout de même relativement neutres, en sachant que notre inconscient se projette. C'est aussi dans ce partage que des identifications peuvent se faire pour les patients, comme si nous pouvions, en quelque sorte, leur "louer notre psychisme" selon les mots d'une de mes collègues, une belle expression qui va bien au jeu de la maison.
Ce jeu a été créé de façon collective en 2016, sur une idée de Muriel Launois
puis re-travaillé encore et encore avec Romain Picherit et Charlène Pichon
Vous pouvez vous en inspirer ou même le télécharger