Comment ce groupe a t'il pris naissance et quelles ont été ses évolutions au fil des mois? L'évolutivité de ce groupe est une nécessité, même si parfois cette mouvance peut sembler plus difficile à proposer, voir même à supporter, qu'un protocole préparé à l'avance.
En effet un tel type de travail nécessite une analyse de pratique quasi constante, une remise en question, la capacité à supporter le doute, les critiques et les freins qui peuvent surgir à tout moment. L'énergie demandée est plus grande que dans l'application d'un protocole, mais offre des satisfactions de pouvoir ainsi co-créer un espace de thérapie avec les patients eux-mêmes.
L'un des éléments qui s'est révélé en effet, le plus intéressant dans cette expérience qui se poursuit, a été d’impliquer les patients le plus possible, y compris dans des positionnements de critique et de méta-analyse des outils proposés ou même de la démarche globale, prise dans son ensemble. L'étonnement de leur part de se sentir ainsi interrogés dans leurs sens critique, dans leurs rôles de citoyens, dans leurs compétences, reste pour moi, le moteur de ce travail. La notion d'empowerment est un concept qui vient prendre de plus en plus sa place dans nos pratiques et se révèle porteuse d'une dynamique de travail permettant d'impliquer le plus possible la personne au c½ur de son évolution. Nous passons de la notion de "prise en charge" (où c'est bien souvent le ou la thérapeute qui vient se "charger" du poids de la pathologie) à une action commune et conjointe, coopérative et collaborative, dans le cadre d'un projet de vie. Ne pas réduire la personne à une pathologie est une perspective naturelle en ergothérapie, dans la mesure où nous sollicitons d'emblée les ressources et les capacités.
L'état d'esprit du départ
Le groupe "Autonomie et projets" a donc vu le jour dans le cadre d'une démarche institutionnelle d'amélioration du travail auprès des patients psychotiques chroniques ayant des difficultés à vivre seuls à l'extérieur. Il s'agit d'un groupe hebdomadaire de discussion et de jeux d’habiletés sociales, pour aider les patients à faire émerger leurs projets personnels (de vie, de loisirs, d’interactions sociales, etc…) et à les concrétiser, dans la mesure du possible, grâce à des actions groupales et coopératives. Ce groupe s’inscrit comme l’un des moyens possibles à utiliser dans le cadre d’une prise en charge plus globale et pluridisciplinaire autour de l’autonomie des patients psychotiques, chroniques, hospitalisés au long cours. Il est proposé soit dans une salle servant également à l'activité cuisine, soit en milieu écologique.
Au niveau du cadre temporel, il a été fixé à une séance hebdomadaire d'une heure, pour une période d'essai. Une seule séance hebdomadaire pouvait sembler insuffisante au départ mais elle s'est révélée largement suffisante. De même, la durée de la séance était fixée au départ à 1 heure de manière à pouvoir tester les besoins, s'est révélée aussi, tout à fait suffisante. Ce sont les patients eux-mêmes qui ont donné leur avis sur cette question. En effet, la spécificité de ce groupe est de proposer un travail en co-création avec les patients. Dans cet état d'esprit, lors de la mise en place de ce groupe, les patients étaient tenus au courant du contenu des réunions des thérapeutes. Ainsi, ils pouvaient suivre le questionnement des thérapeutes, réagir, donner leur avis et proposer des pistes de changement, d'amélioration ou exercer leur esprit critique. Cette façon de travailler a un peu surpris les patients au départ, visiblement peu habitués à ce qu'on leur demande leur avis sur ce que faisaient les thérapeutes et sur des décisions qui pourtant les concernent. Je n'ai pas compté le nombre de "c'est comme vous voulez" ou "c'est vous qui savez" que j'ai du contourner pour que les personnes hospitalisées donnent leur avis sur la façon de travailler. Eladeb a ainsi été présenté comme outil d'auto-évaluation et un patient qui ne l'avait pas passé a demandé à le faire. Les jeux ont été testés et co-créés le plus possible, permettant ensuite de faire un choix éclairé durant les séances.
L'engagement dans ces séances est soutenu par une prescription médicale "musclée" au sens où, contrairement à d'autres groupes de thérapie où nous pouvons laisser le choix de l'activité à des patients. Lorsqu'une personne demande si ce groupe est obligatoire, nous nous appuyons alors sur le principe de réalité, au sens où le désir de pouvoir se débrouiller seul(e) à l'extérieur va devoir en passer par différentes étapes progressives. L'illusion fréquente des patients psychotiques chroniques de pouvoir se débrouiller seuls, se lit souvent dans les écarts entre l'auto-bilan Eladeb sur les compétences qu'ils estiment avoir et les bilans des professionnels, souvent moins optimistes. Il ne s'agit pas, dans ce cas, de confronter de façon frontale les différences entre les deux bilans, au sens où ce seraient les professionnels qui auraient raison ou pour prouver au patient qu'il s'illusionne, mais de tenir compte de cette illusion pour travailler en la respectant, en la contournant, en l'utilisant.
A 3 mois