"Toute technique est une technique du corps" M. Merleau-Ponty ("L'oeil et l'esprit")
Les expériences sensorielles proposées par les jeux vont inciter la personne à se centrer sur le moment présent, éveiller des ressentis nouveaux ou en faire resurgir d'autres, anciens. Selon le canal sensoriel préférentiel de la personne, différents jeux pourront être employés. C’est l’analyse des informations sensorielles, leur décodage et leur interprétation qui nous indiquera les capacités perceptives de la personne. La dimension sensorielle du jeu va permettre aussi de confronter la personne à des éléments de réalité, contribuant à rétablir le principe de réalité.
L'instant présent
Le fait d'être dans le ressenti du moment présent peut poser problème aux personnes en souffrance psychique. Par exemple, une personne dépressive va avoir beaucoup de mal à accepter d'être en pleine conscience de son ressenti car ce vécu est douloureux, pessimiste, triste, teinté parfois de désir de mort, de pulsions destructrices. Une personne psychotique aura également beaucoup de mal à être dans son ressenti corporel et sensoriel puisque la dimension de la réalité n'est pas intégrée et que la dissociation psychique ne leur permet pas d'analyser les éléments venus de l'extérieur de façon objective. La plupart du temps l'extérieur, source de sensorialité, est vécu comme intrusif ou susceptible de déborder la fonction de pare-excitation de la personnes.
L'utilisation d'un jeu va permettre à la personne de se centrer sur l'instant présent et de vivre pleinement les ressentis d'une manière ludique, légère, distanciée. Tout notre corps et aussi notre esprit vont être engagés dans le jeu, s'il est agréable et suffisamment intéressant. Cet engagement va nécessiter que nous soyons présent à nous-même, à nos sensations, à notre corps, à notre ressenti et tout cela se passe dans le moment présent. Notre façon d'être a des liens avec notre passé et notre histoire et vise à aller vers un futur, rêvé, pensé, imaginé, mais dès que nous sommes dans un jeu, nous ne pouvons plus être que dans cet instant présent. C'est ce sentiment d'être là, présent et en pleine conscience de soi-même, à travers l'action et la sensation, que nous proposons avant tout à nos patients. C'est le sentiment d'être entièrement "pris" par le jeu et immergé(e) dans le vécu qui peut se révéler, selon les patients, comme un vécu agréable d'oubli de son histoire, tout en étant pleinement présent au jeu ou comme un sentiment de perte de conscience de soi, au sens d'être ris dans une histoire avec un passé, présent et futur. Le jeu propose un temps hors temps.
Quelques questions à se poser:
- Le jeu est-il centré sur le vécu du moment présent où fait-il appel à des souvenirs?
- Le jeu permet t'il de se projeter dans un futur proche ou lointain?
- Le jeu permet-il une immersion totale dans l'instant du jeu?
VAKOG
L'utilisation d'une matière concrète à travailler et à transformer, de façon artisanale ou créative, va être accompagnée d'une palette très riche d'expériences sensorielles variées. En hypnose, on parle de développer le VAKOG, c'est à dire l'utilisation de tous les canaux sensoriels: Visuel, auditif, kinesthésique, olfactif et gustatif. Tous les canaux sensoriels sont en effet, susceptibles d'être sollicités lors d'un jeu, avec une préférence pour tel ou tel canal selon le jeu proposé. Il est important de savoir respecter, voir reconnaitre, le canal préférentiel de la personne à qui nous allons proposer d'entrer en contact avec un jeu..
A la base, un jeu classique n’est pas une matière transformable, du moins pas autant qu'une matière souple et malléable. Il ne pas va donc pas renvoyer les mêmes expériences sensorielles qu’une matière sur laquelle on travaille, symbole d’une métamorphose possible de soi. D’où l’importance d’une palette assez riche d’expériences sensorielles à apporter soit par des jeux du commerce déjà très sensoriels (Type jeu Cranium incluant du modelage, du mime, du dessin) soit par des jeux impliquant la sensorialité. (type reconnaissance d’objets, de tissus, de textures, etc..) Il existe en effet des jeux qui vont s’adresser à la reconnaissance tactiles (petits objets à reconnaitre), à la reconnaissance sonore (loto sonores), olfactives (loto olfactif). Plus rares sont les jeux gustatifs et le canal visuel est souvent le plus présent. Il faut donc se demander quelles sont la nature et l'étendue du contact sensoriel présent dans le jeu proposé. Le fait de devoir s’approprier le jeu plus ou moins par la construction du plateau va permettre aussi d’exercer ses sens. (voir jeux sensoriels )
Quelques questions:
- Quel canal sensoriel privilégié est-il proposé dans le jeu?
- Reste t-il une "simple" stimulation sensorielle?
- Permet t-il de passer d'un canal sensoriel à une verbalisation, une mentalisation?
Perception
La perception est ce qui va nous donner notre lecture du monde, notre interprétation de ce qui est passé par nos sens et nous permet d'appréhender le monde extérieur dans lequel nous évoluons. Des capacités sensorielles et perceptives, seront nécessaires pour prendre en compte la dimension de la réalité du jeu. Il faudra donc que les capacités d'intégration sensorielle requises soient bonnes. Pour l'activité, il conviendra de savoir si elle nécessite des capacités de proprioceptions, de kinesthésie, de stéréognosie, de perceptions auditive et tactile, de perceptions des couleurs, de constance de la forme et de l'objet. Il est également nécessaire de savoir dans quelle mesure l'activité dépend d'une intégration bilatérale, d'un schéma corporel cohérent ou de fonctions vestibulaires (équilibre).
Il faut savoir si le jeu nécessite une différenciation figure-fond, le repérage de coordonnées spatiales, une orientation temporo-spatiale. La façon de percevoir la réalité du jeu sera également dépendante de l'imaginaire personnel, capable d'un décodage plus ou moins riche, de faire des liens avec des perceptions déjà vécues et ré-activées par l'activité. L'histoire de la personne, lui permettra d'intégrer et de décoder plus ou moins aisément, ces dimensions sensorielles pour les transformer en perceptions. Cela dépendra essentiellement de la manière dont elles ont été plus ou moins valorisées à travers la façon de percevoir le monde, qui lui a été transmise par le premier filtre parental, filtre joueur ou non.
La dimension perceptive fait partie des fonctions cognitives élémentaires dans la mesure où il est nécessaire de pouvoir interpréter sur le plan cérébral, les sensations qui ont été reçues. Mais cette dimension perceptive, s’appuie aussi sur le sensoriel et le corps, où s’est inscrit l’histoire inconsciente de la personne. Elle engage donc aussi, une dimension subjective, psycho-affective. Les expériences sensorielles vont donc éveiller différentes traces et empreintes issues de l’histoire personnelle. Les expériences sensorielles et leurs « traductions » perceptives proposées par les différents jeux seront variées à l'infini et chaque personne va y réagir selon son imaginaire, son histoire personnelle, son vécu. Il est donc possible de se demander si le jeu est plus centré sur les stimulations sensorielles ou sur les capacités perceptives dans leurs dimensions cognitives et affectives.
Quelques questions:
- Le jeu permet-il d'utiliser, de stimuler, de mettre en évidence les capacités perceptives?
- Le jeu permet-il de remettre en question notre perception des choses pour intégrer que les autres perçoivent les choses autrement?
- Le jeu permet-il un échange sur la vision du monde de chacun?
- Permet-il un échange sur les représentations sociales et personnelles?
Le principe de réalité et le principe de plaisir
Dès qu'une personne entre en action, elle le fait dans le monde extérieur sur lequel elle va pouvoir impacter, en laissant plus ou moins de traces concrètes. L'action nous met en lien avec l'espace extérieur, la réalité, le monde qui nous entoure. De ce fait, lorsque nous entrons en action, nous sommes rapidement confrontés à nos capacités réelles, parfois fruits d'une dé-illusion cruelle quant à nos espérances ou parfois fruits porteurs d'agréables surprises, quand à nos capacités d'action sur ce qui nous entoure. Dans tous les cas, l'action va nous confronter aussi aux limites que nous impose la réalité extérieure. Il est important de bien comprendre la différence entre la réalité extérieure, le monde qui nous entoure, et le principe de réalité, l'un des régulateur du fonctionnement psychique. C'est à travers les limites du monde extérieur, et en ergothérapie il s'agira des limites imposées par le cadre et les médiations, que nous allons pouvoir proposer à la personne de retrouver en elle ce principe régulateur, de l'étayer s'il fait défaut, de le faire découvrir et expérimenter pour le conforter, donc de l'intérioriser.
Le principe de plaisir et d'immédiateté qui régit le ça cède petit à petit devant des identifications successives, des limites, des acceptations de délais, des frustrations. Le principe de plaisir est lié à la recherche de la décharge de la tension. L'énergie pulsionnelle cherche à s'écouler dans une recherche de plaisir immédiat, au sens d'une satisfaction des besoins primaires (oralité, sexualité, instinct de conservation). Les jeux plus libres et plus créatifs, permettant une mise en forme concrète (type squiggle de Winnicott) vont être plus proches de ce principe de plaisir.
En établissant progressivement son contrôle, c'est le Moi qui va lier cette énergie dans des représentations mentales grâce au processus de pensée. Cet état lié correspond au processus secondaire. L’intérêt du Moi se porte alors, sur les liens, sur les voies de liaison entre les différentes représentations. Ainsi, le principe de plaisir est progressivement canalisé, tempéré par le principe de réalité. Les jeux qui viennent imposer des règles vont contribuer au rétablissement du principe de réalité. Les « games », jeux avec règles seront donc les plus appropriés dans ce cas. C’est donc en partie dans cette expérience concrète, sensorielle, matérielle, que va pouvoir s’exercer le principe de réalité. C’est cette conscience et cette nécessaire intégration, adaptation au principe de réalité qui va aider les sujets, en particulier psychotiques, à lier une énergie psychique, libre et chaotique. En effet, certains patients psychotiques sont tout à fait capable d’imaginer qu’ils vont pouvoir transformer une carte de Mémory par la seule force de leur pensée et l’épreuve de la réalité est donc un passage nécessaire pour limiter ce fantasme de toute-puissance et d'omnipotence.
Le jeu vient imposer des règles qui vont contribuer au rétablissement du principe de réalité. C’est cette conscience et cette nécessaire intégration, adaptation au principe de réalité qui va aider les sujets, en particulier psychotiques, à lier une énergie psychique, libre et chaotique. Mais dans un atelier de jeu, les limites imposées par les jeux en eux-mêmes ne suffisent pas. La structure proposée l'atelier en lui-même et la relation thérapeutique, sont les moyens pour permettre l'existence d'une loi extérieure symbolique, qui va pouvoir s'intérioriser en un principe régulateur interne, le principe de réalité. (voir cadre et médiation )
Quelques questions à se poser
- La nature du jeu est-elle: concrète (objet, dessin..), identifiable, permanente, abstraite (action, expression verbale...)
- Dans quelle mesure le jeu fournit des opportunités pour reconnaître la nature de la réalité, pour observer et tester la perception cohérente de la réalité ?
- Est-ce que les règles sont bien établies et surtout bien comprises? Y a-t-il remise en question des règles et des codes ?
- Dans quelle mesure l'objectif du jeu peut être bien perçu et le résultat prédit?
Les écrits de cet article sont la propriété intellectuelle de Muriel Launois et n'engagent qu'elle.
Il est possible d'utiliser tout ou partie des élaborations proposées, en citant vos sources.
Merci d'avance d'en respecter l'esprit.
(article écrits en 2016 pour préparer les stages ANFE ayant eu lieu de 2017 à 2021)
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