Introduction
L'étude de l'évolution de la thérapie par le travail est souvent intriquée avec la progression du mouvement de psychothérapie institutionnelle. Au début, il y a eu le travail comme thérapeutique possible en pathologie mentale, puis progressivement va en émerger la notion de psychothérapie institutionnelle, reléguant l'ergothérapie au rang d'un phénomène satellite. Au moment du déclin du courant institutionnel,, l'ergothérapie vidée de son sens, persista, prête à assurer un nouvel étayage à d'autres théorisations. Une réflexion théorique sur notre métier, ne peut être faite sans être resituée à un niveau plus global, historique, culturel, et dans les divers mouvements de psychiatrie et de psychologie.
Lien quasi-mythique entre le travail et la symbolisation
Cette jonction primordiale apparaît à Sumer entre 3500 et 3000 avant Jésus Christ, là où naquit l'écriture.Déjà dans l'antiquité Hérodote insistait sur l'importance du travail organisé pendant quelques heures par jour. Les malades mentaux égyptiens bénéficiaient de concerts, danse, peinture, promenades en bateaux, etc…Les prémices de l'écriture (écriture cunéiforme) servaient à dénombrer par des pictogrammes le nombre d'objets contenus dans une urne d'argile, ainsi que le type d'objet contenu. C'est de cette façon que se liait l'échange, fruit d'un travail et d'une symbolisation.Les symboles venaient représenter au dehors, ce qui étaient au dedans.L'ergothérapie, qui propose une concrétisation dans la matière, est aussi un des moyens d'accès à un système symbolique, en collaboration avec la psychothérapie institutionnelle.
1800 : Avec PiNEL, le travail acquiert une valeur morale
Progressivement les malades mentaux à qui étaient promis les fers et les travaux les plus durs, comme aux criminels, vont voir se réformer les asiles qui les internaient. Pinel est un des novateurs en la matière, aux environs de 1800. Grâce à lui, le travail sera tout d'abord, une pratique ayant une valeur morale. Il sera une règle morale pure, sans valeur de production, limitant la liberté par la soumission à l'ordre et à une responsabilité retrouvée. On passe d'un monde de réprobation et de contraintes physiques, à un univers de jugement.
Avec Pinel, à l'hôpital de Bicêtre, le "fou" va accéder au domaine médical. (1793). Il affirme que la guérison n'est autre que la stabilisation de l'individu dans un type social moralement reconnu et approuvé. On doit donc maîtriser la folie. Et uniformiser les patients selon des valeurs primordiales de travail et de famille. Ce n'est que progressivement que l'effet thérapeutique des guérisons plus rapides et plus nombreuses, sera repéré. La loi du 30 Juin 1838 institue l'obligation d'un établissement de soins spécialisés aux aliénés, dans chaque département et contribue à répandre de plus en plus l'utilisation d'un travail utile aux aliénés.
1900 : Freud analyse le travail comme une forme de sublimation
Aux environs de 1900, on parle de plus en plus aux Etats-Unis de psychothérapie de groupe (March) et de psychothérapie individuelle grâce aux découvertes de Freud, Lacan, Jung. Ainsi Freud, dans son ouvrage "Malaise dans la civilisation", décrit le travail comme indispensable pour l'existence d'un individu dans une société, mais aussi, comme lieu de transfert des composantes narcissiques, agressives et érotiques, ainsi: "S'il est librement choisi, tout métier devient source de joie particulière en tant qu'il permet de tirer profit, sous leur forme sublimée, de penchants affectifs et d'énergie instinctive". (1929).
Progressivement, le travail se dégage de ses caractéristiques de moralité pour ouvrir la voie de la thérapie occupationnelle, aux bienfaits multiples. Il s'agit de lutter contre trois problèmes, secrétés par l'institution même: (Simon) :L'inaction, l'ambiance défavorable de l'hôpital et le préjugé d'irresponsabilité du malade lui-même. La thérapie consiste alors à "analyser et soigner " l'hôpital même et à mobiliser des choses de façon active pour observer et analyser les difficultés et les interactions. La guerre ralenti le processus qui reprend ensuite. On commence alors aux environs de 1940 à observer l'hôpital comme un endroit de vie, où circulent des liens sociaux, personnels, groupaux, et l'on commence à réfléchir sur la relation soignant soigné.
1952 : Le travail devient soutien aux thérapeutiques biologiques et psychologiques
1952 voit l'évolution des sociothérapies et des psychothérapies et Lebovici, avec d'autres, introduit la dimension psychanalytique au niveau du groupe. P.Sivadon invite à une grande diversification des techniques et rappelle les caractéristiques d'un groupe de travail: densité, homogénéité, leader, etc. Il propose: "D'utiliser toute une gamme de niveaux d'activités allant du jeu individuel au jeu collectif, du travail égoïste au travail social, des activités courtes et des groupes de travail homogènes et restreints aux groupes hétérogènes vastes. Parallèlement le sens de la responsabilité doit être rééduqué par les thérapeutiques dites de club et particulièrement la gestion des ateliers."
En 1964, Tosquelles dresse un bilan et constate que l'ensemble de ces théorisations techniques et notamment l'ergothérapie, ont permis l'accès des deux participants soignants et soigné au statut de sujets. Ce tissu d'échange est la trame même de l'institution et de la thérapie, tissu qui devient l'armature du symbolique où vont pouvoir s'investir fantasmes, identifications, projections, préparant l'interprétation. Parallèlement est introduit dans les ateliers intra-hospitalier le critère de productivité restituant un statut social, d'argent et d'éventails élargi et plus souple. On commence aussi à évoquer la politique d'extériorisation et de projection à l'extérieur de l'hôpital.
Progressivement, l'ergothérapie sera vue non pas comme un aboutissement, c'est à dire redonnant un statut social moralement acceptable, mais comme un soutien aux thérapeutiques biologiques ou psychologiques, un lieu où vont se dérouler des expériences, analysées ensuite sur un mode de thérapie institutionnelle, au même titre que les expériences de vie quotidienne avec les autres soignants. Le travail n'est plus un but en soi, il convient maintenant de le regarder comme porteur d'un autre message.
1970 : Le travail thérapeutique intègre la créativité
C'est à partir des années 1970 que va commencer à se développer un courant plus créatif, où l'objet ne sera plus uniquement à but de production et de réadaptation, mais entendu comme l'expression médiatisée d'une parole de l'imaginaire. On entre là dans l'ouverture progressive du métier d'ergothérapeute aux courants psychanalytiques, d'art thérapie, de psychologie. La dimension d'adaptation à la réalité peut s'élargir au jaillissement de l'imaginaire. Cette dimension de créativité utilisée en thérapie ouvre alors le champ de recherche à l'art thérapie qui se développe dans de nombreuses pistes: dessin, peinture, photo, vidéo, théatre, marionnette, corps et image du corps, musique, techniques mixtes, etc...
Ces pratiques nécessitent une expérience et une pratique artistique personnelle avant toute chose et des formations , le plus généralement rassemblées en semaines d'expérimentation personnelle, réparties sur deux ou trois ans. Les ergothérapeutes peuvent tout à fait bénéficier de ces formations si le besoin s'en fait sentir. L'utilisation des médiations sera alors abordée sous un angle mois pragmatique et rationnel, mais plus sous la forme de vécu. Selon les écoles, les références cliniques, les objectifs thérapeutiques , le cadre thérapeutique, seront plus ou moins développé. Néanmoins, ce type de travail thérapeutique, créatif, peut être exploré et exploité sans une telle formation. En effet, la formation initiale en ergothérapie, permet d'utiliser des médiations de façon créative. Toutefois, il sera nécessaire d'approfondir la dimension projective, l'impact de la création, aussi bien sur soi que sur autrui. Une supervision peut être l'occasion d'un tel approfondissement personnel, ainsi qu'une élaboration et une analyse du travail thérapeutique.
Années 2000...Les TCC s'affirment
Depuis les années 2000, nous assistons à une modification progressive de l'ergothérapie en psychiatrie et le terme de santé mentale est de plus en plus facilement utilisé. Le souci de compréhension des modèles conceptuels sur lesquels nous nous appuyons est de plus en plus important dans la bibliographie et l'enseignement. L’émergence du modèle cognitivo comportemental est de plus en plus forte, souvent vécu comme plus simple, plus efficace et surtout plus rapide en apparence. Les notions de bilans validés sont de plus en plus prégnants, parfois au risque de s'inscrire dans des protocoles au détriment d'une créativité personnelle de chaque ergothérapeute dans sa pratique et au détriment de la place de sujet du patient, qui devient, parfois, un objet de soin entrant ou pas dans des protocoles, des catégories du DSM V de plus en plus normées voir même chiffrées. Notre capacité à penser par nous-même peut être mise à mal par ce souci de validation souvent appuyé sur un besoin de reconnaissance de la valeur de notre thérapie.
Années 2010...Le diplôme d'état fait peau neuve
La réingénierie du Diplôme d’État d’ergothérapeute a été concrétisée par l’arrêté du 5 Juillet 2010, modifiant ainsi le contenu de la formation initiale et la reconnaissance du diplôme d’État au grade de licence, soit Bac+3. Pour préparer cette réingénierie, des groupes de travail se sont développés dans toute la France. Ce long travail a abouti à la création d’un nouveau référentiel de textes définissant 10 compétences. Cette étape de redéfinition cruciale est désormais perceptible dans l’enseignement, sous des formes diverses. Elle va permettre aux élèves et futurs ergothérapeutes, d’avoir accès à cet état d’esprit et de pouvoir entrer dans un sentiment d’appartenance à un métier un peu mieux défini et plus reconnu. Le guide du diagnostique en ergothérapie fait son apparition, contribuant à redéfinir nos objectifs.
Le sentiment d'identité professionnel des ergothérapeutes continue à être interrogé, par eux-même et par d'autres. Ainsi en 2015, il nous a été demandé de répondre à la question: "Que devient l'ergothérapie?", ce que nous avons fait dans un article collectif. (voir article VST). Les sciences de l'occupation pointent de plus en plus, le bout de leur nez...avec toujours une certaine réticence des ergothérapeutes en psy. Ainsi lors de l’écriture d'un article en 2018 , des ergos travaillant en santé mentale ont préféré que le mot activité occupationnelle n’apparaisse pas , car ils avaient le sentiment que cela pourrait nuire à l'image de thérapie de notre métier. (voir article).
Années 2020...à suivre...
Les écrits de ce site sont la propriété intellectuelle de sa créatrice, Muriel Launois, et n'engagent qu'elle.
Il est possible d'utiliser tout ou partie des élaborations proposées, en citant vos sources.
Merci d'avance d'en respecter l'esprit.
|
|