Une séance de création collective...
Des craies grasses...
Une forme aérienne de papillon..
Une association d'idées...
Une réalisation concrète délicate...
Une fragilité corporelle...
L'envol
        Dans   un service d'addictologie, une séance de créativité collective avec   papier et craies grasses, nous permet de réaliser des œuvres groupales,   porteuses de titres imaginaires. Ces dessins et ces titres nous   propulsent dans l'imaginaire groupal. L'un de ces dessins reçoit le   titre de l'envol, venant nommer une forme qui ressemble à un papillon   volant vers le ciel, avec une longue queue. Après le temps des   réalisation collectives, un temps de recul et de paroles nous permet   alors de mettre quelques mots qui viennent témoigner de la création d'un espace psychique groupal.Après cette séance, l'un des participants s'exclame: "Ah justement, j'aimerais bien faire un papillon pour ma femme,   la prochaine fois". En effet, après la séance d'expression groupale du   vendredi après-midi, une présentation de la séance de la semaine   suivante est proposée. Cette présentation permet aux patients de   commencer à imaginer, a se représenter ce qu'ils aimeraient réaliser de   manière personnelle et concrète, à travers un objet. Cette prévision à   l'avance, peut s'appuyer sur les objets présents dans la salle, sur un   classeur d'activités proposé à la consultation entre les deux séances,   ou encore sur les productions des patients dits de semaine 2, ayant   vécue cette séance la matin même. Pour M. c'est l'association d'idées issue de la première séance collective, qui sera le starter de sa décision.  
Se séparer
        Le passage du collectif au personnel va permettre aux personnes d'éprouver leur capacité à se séparer du groupal pour   s'affirmer comme différent. Il est à remarquer que, souvent, des petits   groupes se constituent, permettant à 2 ou 3 personnes de réaliser un   même objet ou de pratiquer une technique commune. Comme si cette   séparation renvoyait certains d'entre eux, justement, à leur difficulté à   vivre cette autonomie. M. manifeste   lui, cette capacité à s'affirmer d'emblée, à annoncer, en premier, ce   qu'il désire faire. Il patientera une semaine. Dès son arrivée, il   évoque son projet, demeuré le même. Certains patients changent   d'objectifs, parfois rebutés par ce qui leur semble trop compliqué ou   trop long, d'autres font "comme les autres", sans pouvoir faire un vrai   choix. 
M. demande quelles sont les possibilités de l'atelier autour de cette thématique du papillon.   Il est possible de reproduire et colorier un papillon de papier,   semblable à ceux qui sont posés, en groupe, derrière la porte de   l'atelier, dans un envol délicat. Il est également possible de plier du   papier en origami. 2 Pliages différents existent, l'un ressemblant à un   éventail et l'autre à quelque chose de plus plat. La troisième   possibilité est de réaliser un papillon en tissu, avec un système de   plaques de plastique et de couture (kanzashi), puis de le mettre en   place sur un fil de fer aérien, planté dans un socle d'argile. M. trouve   les deux premières solutions en papier, trop fragiles et s'engage dans   le travail du tissu. L'ergothérapeute lui montre 3 papillons qu'elle a   réalisé à titre d'essais, pour évaluer le temps et la complexité de   cette technique. Une demande, alors, émerge...
Please help
        M.   demande à l'ergothérapeute s'il peut utiliser l'un de ces essais   qu'elle a fait, afin de lui permettre, lui qui est si maladroit, de   pouvoir achever son objet qu'il doute pouvoir finir en 2h30, anticipant   par avance un risque d'échec. Les activités de l'atelier sont pensées   pour être réalisables dans le temps imparti, mais là il s'agit d'une   nouvelle proposition et je me mets à douter moi aussi. Ne vais-je pas le   mettre en échec? La fameuse peur de mettre l'autre en échec qui peut   nous pousser à des prises de position particulière, selon notre façon de   gérer ce ressenti. Je me laisse donc convaincre, glissant le long de ma   pente naturelle d'aidante, de le laisser utiliser l'un des papillons.   Il choisit celui qui est le plus ample, le plus développé. Et, d'emblée,   M. pose une question qui va se poursuivre tout au long de la séance:   "Comment fixer ce petit être léger et très souple, sur le fil de fer? ",   phrase qui sous-tend très nettement, regard à l'appui, "allez-vous   m'aider?". 
J'ai découvert, au fil des années, combien mon désir, ou mon besoin d'aider l'autre   pouvait être générateur de dettes et de sentiment d'incapacité à se   débrouiller seul. Bon nombre d'objets ont ainsi déclenchées des phrases   du type: "Ah oui, c'est joli et bien réussi, mais je ne l'ai pas fait   tout seul"...D'autres patients, au contraire, vont voir dans cette aide,   l’intérêt de l'ergothérapeute pour eux et avoir ainsi un sentiment   d'existence renforcé. Certains réclament de l'aide et d'autres la   refusent. Chaque situation est porteuse d'un sens à travailler. Il ne   s'agit pas de décréter une position péremptoire et définie à l'avance,   la décision d'aide ou de non aide, d'intervention ou de non intervention   mais de se donner les moyens de penser et pas uniquement de "panser",   avec un sentiment de fierté professionnelle d'avoir fait quelque chose,   quelque chose de bon mais surtout pour notre narcissisme personnel le   plus souvent. 
La non directivité est l'apanage des   psychanalystes et peut, parfois, être ressentie de façon violente comme   un abandon lorsque nous l'utilisons à mauvais escient. Pourtant, elle   est aussi la garantie que nous laissons à l'autre son espace, son désir,   ses capacités à être. La directivité prônant techniques et objectifs se   situe, elle, du côté du surmoi, mais elle est souvent attendue et plus   rassurante. Il est important de savoir trouver, en fonction de chaque   patient, un savant dosage entre les   deux. Fondamental aussi, la nécessité de toujours se demander si la   demande vient du patient et sur quoi elle est enracinée. Est-ce un   besoin réel en raison d'une méconnaissance ou d'une maladresse   technique? Est-ce un désir infantile de demeurer en position d'enfant ou   d'apprenant? Est-ce une manière de demeurer l'enfant favori du parent   qui prend soin? 
Et puis de notre côté, il est tout aussi nécessaire de se demander et de tenter de mettre au clair le fait de savoir pourquoi veut-on aider?   Cette toute petite question peut nous conduire à des remises en   question profondes de tout notre être professionnel. Au-delà de la   blague bien connue du soignant qui peut devenir un soi-niant, c'est   toute notre philosophie d'être que nous pouvons ainsi interroger,   jusqu'à même creuser le désir d'être thérapeute. Mais bon, nous étions   juste en train de nous demander comment le papillon allait bien pouvoir   tenir sur son fil de fer...
Papillon vole
        Comme   j'ai opté, dans ce cas, pour la non intervention, estimant que j'en   avais déjà fait assez, je laisse donc M. se débrouiller, lui indiquant   où se trouve le matériel et lui laissant ouvertes plusieurs pistes   techniques possibles pour permettre à ce papillon d'être posé sur son   socle. M. travaille à la   customisation de son papillon avec ardeur. Il met en place des antennes   un peu démesurées en fil de fer fin, avec des perles de rocailles   enfilées dessus. 
        
        Une séquence particulière a eu lieu au sujet de ces   fameuses perles. M. me demande comment enfiler les perles...Je   lui explique donc que la rigidité du fil de fer va permettre un   enfilage plus facile, tout en ayant bien conscience du sens métaphorique   possible, en termes de libido, que cette phrase peut avoir. Habituée   aux plaisanteries très présentes dans le service d'addictologie, sur le   retour des potentialités sexuelles après l'arrêt de l'alcool, je   m'attendais à des réactions du groupe, mais qui ne viennent pas. M.   insiste sur sa demande de démonstration d'enfilage de perles et je   finis par y accéder, bien consciente qu'il peut y avoir autre chose   derrière ce simple geste. Décidément, il y a de la libido dans ce   papillon destiné à sa femme et réalisé avec une autre femme...
Le   socle est peint, le fil de fer de soutien posé et le papillon   s'installe au-dessus, flottant avec légèreté dans un premier temps,   jusqu'au moment où il dégouline par manque de tenue...Les antennes sont   trop lourdes par rapport au corps. M. fait le constat, dépité que "tout cela est bien trop mou".   Il se tourner vers moi et mes compétences techniques supposées pour   trouver une solution. Je lui suggère l'utilisation de fil de fer pour   solidifier le corps de tissu du papillon. Il réalise plusieurs   tentatives, soulignant que c'est bien difficile de faire rentrer le fil   de fer dans le corps car ça ne passe pas...Quand on se souvient que   c'est l'ergothérapeute qui a réalisé le papillon à titre d'essai, tout   ce jeu de pénétration ou non du fil de fer prend tout de même un peu de   sens pour moi. M. n'y arrive pas et me demande à nouveau de l'aide. 
Je tente d'autres suggestions techniques qui ne fonctionnent pas. Lorsque M. annonce que "bon et bien tant pis, c'est fichu",   il réussit à éveiller mon instinct de "sauveuse". J'ai eu beau lire le   très intéressant texte de Bourreau (Extrait de victime des autres,   bourreau de soi-même, dans le chapitre sur la triade "Bourreau, victime et sauveur"   qui parle de la tendance naturelle de chacun de passer de l'un à   l'autre et le fait que demeurer en position de sauveur n'aide pas   l'autre à se débrouiller), je ne résiste pas à cet appel au secours...
      
      Je   consolide alors, le corps du papillon par un enveloppement  extérieur ,   proposant ainsi , au lieu d'une colonne vertébrale interne, une sorte   de cuirasse externe, située plutôt du coté de la contenance. Tout de   même, je ne vais pas tenter d'introduire le fil de fer...Le papillon est   consolidé, à la fois léger et aérien et avec une tenue efficace, il   flotte au dessus de son socle, tout aussi fièrement que M., très satisfait de son objet. 
De   mon côté, je fais taire la petite voix en moi, qui a une légère   tendance à analyser les événements et à chercher du sens, car les   perspectives signifiantes ouvertes par l'enfilage de perles et le fil de   fer me donnent juste envie de retourner en supervision pour déposer   tout cela quelque part...Et lorsque M. me   dit qu'il se sent comme un petit garçon qui aurait fait un collier de   pâtes à sa mère (au lieu de sa femme), alors là, je préfère me boucher   les oreilles! 
Un simple papillon est parfois porteur de toute   une histoire...et Freud doit se retourner dans sa tombe , affolé par   toute cette libido qui papillonne...
                                  Les écrits de cette section s'apparentent à ce qui peut se dérouler lors d'une analyse de
type supervision, qui permet de tenter de comprendre ce qui se passe lors d'une thérapie.
Il ne s'agit en aucun cas, de trucs thérapeutiques reproductibles, mais de la nécessité
d’une réflexion permanente sur l'effet de notre attitude envers le patient. 
                
			
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