L'utilisation d'un jeu, permet à la personne d'entrer dans la peau d'un joueur. Le temps du jeu, nous sommes à la fois nous-même, mais aussi nous un joueur ou une joueuse. Nous entrons dans un rôle dont les codes sont que ce qui va se dérouler là, durant le temps du jeu, met entre parenthèse notre réalité quotidienne, tout en s'y enracinant, dans la mesure où notre identité de base, de fond, demeure la même et nous en avons conscience.
Il n'en va pas de même pour des patients psychotiques pour qui l'identité n'est pas une donnée très fiable, sûre et avérée. Ainsi certains jeux de rôles, qu'ils soient de plateaux ou vidéos, avec un virtuel qui tend de plus en plus à gommer la frontière entre réalité et imaginaire, va interroger le sentiment d'identité de ces personnes. Le phénomène geek est maintenant bien connu.
Lors de la création du jeu, nous avons donc été amené à interroger cette notion d'identité personnelle, de rôle social, du fait d'être une personne distincte ou un pion manipulé...Les brèves considérations développées dans cet article, ne sont que quelques pistes d'une réflexion philosophique sur l'être qui gagne à ne pas être trop vite oubliée au profit de l'utilisation d'un outil ludique. La question est, en effet, qui joue?
Être soi ou jouer un rôle?
L’une des idées de départ, donnée par une collègue ergothérapeute, était de proposer aux patients de jouer le rôle d’un personnage prédéfini à l’avance, afin de ne pas entrer dans un questionnement trop intrusif et personnel. Il avait été en effet remarqué, dans le jeu des couleurs proposés par un laboratoire, que certaines questions trop directes, pouvaient donner à certains patients le sentiment d’être intrusés dans leur espace personnel. Cette idée, rejoignant les jeux de rôles ou le théâtre, nous avait semblé une piste intéressante à développer.
La création de personnages types et donc caricaturaux s'est révélée complexe. Il nous fallait, en effet, tenter de construire des personnages imaginaires dont il aurait fallu déterminer les besoins (meubles, pièces de vie, activités professionnelles et/ou de loisir, etc...). Si nous demandions aux patients, ils ne pouvaient imaginer que leurs besoins à eux (et parfois avec difficulté) et pas ceux des autres. Nous avions proposé cette réflexion à un patient schizophrène utilisant l'écriture auto-biographique pour parler de son histoire. Il avait pu tracer le portait d'un écrivain, avec un bureau bien meublé et à même d'accueillir une personne très peu soucieuse de se faire à manger ou de ranger. Et si nous demandions aux thérapeutes, nous obtenions des représentations sociales, certes plus cohérentes, mais les propositions et les visions de chacun/chacune sur la ménagère de 50 ans, l’artiste, le jeune adolescent un peu geek ou le SDF (un comble pour un jeu autour de la maison) donnaient lieu à des débats certes intéressants, mais assez peu utilisables de façon concrète.
Plutôt que de proposer des personnages "clefs en main" nous avons donc glissé vers une autre piste qui était la création d’une fiche, réalisée avec une collègue infirmière, pour favoriser l’invention d’un personnage imaginaire. Tout un ensemble de questions permettaient à la personne de faire naitre un personnage. Cette proposition a rapidement tourné cours, lorsqu’un patient schizophrène, testant cette version, nous a fait remarquer qu’il lui était déjà bien difficile de se centrer sur ses ressentis, de les nommer, et qu’il était donc utopique de penser qu’il serait possible « à des gens comme nous d’imaginer la vie et les besoins d’une autre personne. » Ce patient nous a clairement expliqué que « l’empathie n’était pas une qualité » aisément praticable pour eux, avec une conscience étonnante de ses difficultés. Ce patient avait des capacités de verbalisation importantes et a pu nous faire part de cet état de fait, manifestant finalement, bien plus de capacités d’empathie qu’il ne le pensait…Nous avons donc abandonné cette idée, car la plupart de nos patients n’ont justement que très peu de capacités de mise en mots, contrairement à ce patient précis.
Nous avons donc, finalement aboutit au fait que la personne qui joue, le fait en son nom propre et avec ses idées, besoins, et mots à elle. Ce temps de travail, même s'il a été assez long, a permis de commencer à créer une communauté d'idée autour du jeu, pour impliquer patients et thérapeutes. Ce temps d'incubation, qui m'a souvent paru long, est le garant que ce jeu a du sens pour les personnes qui vont l'utiliser. J'ai pu faire, en effet, l'expérience de jeu proposés dans le commerce ou par les laboratoires, qui reflètent le plus souvent, les attentes de la société sur les personnes en souffrance. Même des jeux qui peuvent sembler très intéressants, s'ils aboutissent à l'idée que la personne doit bien comprendre sa pathologie pour bien prendre ses médicaments, auront une intention, parfois à peine voilée, de maintenir aussi une "paix sociale". Une réflexion sur les rôles sociétaux que l'on attend de nous ou sur les rôles que nous sommes prêts à jouer (ou pas), est importante. Il faut en effet être conscient de ce que nous proposons et ne pas en être dupes nous-mêmes.
Pions, dé et déplacements
La création des pions en pâte Fimo a été un moment très ludique et très agréable pour tout le monde…Il a même été difficile de limiter le nombre de pions, tant les amateurs étaient présents pour créer ces petits objets concrets. Ce temps de création a semblé très facile aux patients et ils ont été très valorisés de pouvoir réaliser cela. Même les stagiaires présents se sont pris au jeu. La cuisson des pions a été faite en dehors du temps d’atelier. Certains, trop fragiles, n’ont pas résisté à leur utilisation, mais dans l’ensemble, les pions se sont révélés solides à l’usage. Dans l'idéal, créer soi-même son propre pion de jeu, a un intérêt symbolique évident. Dans ce cas, nous ne sommes pas qu'un simple pion, tel que proposé par le jeu. Il est aussi possible de proposer des pions de jeu très différenciés, ou de souligner qu'ils ont été créés par d''autres participants au jeu. Il devient alors possible de se distinguer par ce choix et de sortir de la conformité ou de l'uniformité. Il est important d'entrer en conscience du sens de ce que nous proposons et jouer avec un pion ne doit pas conduire à en être un.
Un dé normal permettait de déplacer les pions sur le plateau et de faire le choix d'aller dans telle ou telle pièce. Puis un dé plus original, à 12 faces, a été utilisé, proposant désormais un déplacement plus lié au hasard. Se déplacer vient se proposer, comme dans nombre d'autres jeux, comme une métaphore du fait de pouvoir avancer, aller de l'avant, faire quelque chose. Le fait de s'en remettre uniquement au hasard peut renvoyer la personne à un sentiment de ne pas avoir de prise sur sa vie et d'être dépendant de quelque chose d'extérieur. Les patients d’ailleurs, protestent parfois de ce hasard qui peut devenir répétitif et les renvoyer toujours au même endroit. Le principe de réalité pose parfois problème...
Les déplacements se faisaient d’une pièce à l’autre, avec des dessins de porte permettant la circulation. Dans la version initiale, le passage d’une pièce à l’autre était peu réaliste, dans la mesure où il fallait faire un mouvement circulaire autour du centre du plateau, donc passer d’une pièce à l’autre, sans distinction suffisante. La dernière version a proposé un plateau avec une façade de maison. Le jeu se faisait en tout premier lieu au dedans, dans un plateau collectif, puis s'est situé plus au dehors, plus à distance.
Ce jeu a été créé de façon collective en 2016, sur une idée de Muriel Launois
puis re-travaillé encore et encore avec Romain Picherit et Charlène Pichon
Vous pouvez vous en inspirer ou même le télécharger
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