La création collective s'est donc faite au fil des temps de jeux. Ce premier exercice de mémoire, (avec un partage oral des idées pour ne pas avoir 10 chiens ou chats....) et de brainstorming, permet aux patients d'entrer dans une dynamique de création collective. Les cartes se sont enrichies au fil du temps, l'atmosphère de réincarnation a été évoquée de plus en plus souvent et le nom de Karma s'est imposé. Les autres éléments de décoration (cases dessinées en groupe, pierre amenée par la thérapeute) ont enrichi le jeu petit à petit. Une fois qu'il a été achevé dans cette forme, lorsqu'il est proposé, il est rappelé aux patients que ce sont d'autres patients qui y ont contribué. Des anecdotes peuvent alors émailler le jeu, ainsi ce patient qui a mis Coluche, dans la catégorie des humains mais aussi dans la catégories des sages, ou encore celui qui a mis "Moi" dans la catégorie des sages....Ce simple mot, humour ou narcissisme, lorsqu'il surgit entre les mains d'une autre personne et qu'elle se trouve dans la situation de lire "Moi" et d'imaginer ce petit moi chez les grands sages, est une source de discussion toujours pleine de surprise, d'humour ou d'émotions. "Mais je ne suis pas sage" , phrase qui revient souvent, est l'occasion de longs débats sur la sagesse et la vision de soi-même.
Jeu
A tour de rôle, chacun joue le dé, avance son pion en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre. Lorsque la personne parvient sur une case R, elle pioche une carte de la couleur correspondant à l’étape où elle se trouve et ceci dans l’ordre chronologique d’une évolution imaginaire, allant du non vivant au vivant, du plus minéral statique au dynamique de l'humain, du sans esprit ou sans âme, aux sages reconnus. Les couleurs de cartes proposées sont donc: Grises pour le minéral, vertes pour le végétal, jaunes pour l’animal, bleues pour l’humain et violettes pour les sages. (Toutes les adaptations sont possibles...)
Lorsque la personne est passée par toutes les étapes et a donc récupéré les 5 cartes rondes de couleur, son pion est placé au centre du jeu, près de la pierre de sagesse. Elle continue alors, à son tour, de lancer le dé, mais offre son aide à une personne qui « traine » dans son évolution. Donc, lorsque la première personne a achevé son cycle, elle gagne le droit...d'aider les autres. Et dans ce domaine aussi, les perceptions de soi-même comme incapable d'aider les autres, de donner quelque chose, ou les sentiments d'inutilité sont fréquents. Mais c'est le jeu...Il est donc possible de demander à une personne d'en aider une autre.
Lorsque que tout le monde a accompli son cycle d’évolution et chaque personne a 5 mots en sa possession, il est alors possible de proposer la mise en lien de ces mots par une petite phrase ou une petite histoire, en insistant sur le fait que l’histoire peut avoir un sens logique ou être totalement imaginaire et même farfelue. L’invention de cette phrase/histoire peut se faire également de façon groupale si la personne éprouve des difficultés à le faire, pour éviter un sentiment d'échec d'une personne.
Processus thérapeutiques
Ce jeu propose aux personnes de vivre des expériences, centrées autour des notions de transformation et d’évolution cyclique. Cette notion d'une transformation potentielle, ce passage par différentes étapes de plus en plus évoluées, permet d' indiquer aux personnes qu’il est possible de changer et de faire évoluer des situations. Nous sommes dans une métaphore de métamorphose possible. La plupart du temps les personnes sont assez peu satisfaites de l'étape minérale, sauf s'il s'agit de pierres ou de métal précieux, ayant une valeur financière ou esthétique. L'étape végétale nous rapproche du vivant et de la possibilité de "rendre racine", de "grandir", de "pousser", de "porter de fruits", autant de métaphores porteuses de sens. Les patients qui n'ont pas accès à la dimension symbolique, vont alors parler de ce qu'il aiment manger, ou de la fragilité des branches de cerisier, de souvenirs dans leurs jardins ou de créations culinaires. A partir de l'étape animale, il devient possible de proposer un "comme si". "Et si vous étiez un cheval? " est une question qui devient plus acceptable que d'avoir un côté poireau. Le fait de parler de la dimension animale d'un être humain est une voie offerte pour parler de soi. Il est possible aussi de parler d'une partie de soi un peu "langue de vipère" ou de son côté chat ou chien. Un patient a ainsi fait rire tout un groupe, et lui-même, en annonçant qu'effectivement, parfois, il pouvait être un véritable blaireau...unes distance inattendue, un regard humoristique sur soi.
Un autre message symbolique s’articule autour de la nécessité d’intégrer en soi des aspects vécus comme positifs ET négatifs. Ainsi, même si l’une des cartes propose une incarnation qui dérange, elle est tout de même conservée et intégrée, non seulement durant le temps de jeu et mais aussi ensuite dans l’invention de la phrase. Il n'est pas possible d'en changer, il faut faire avec...C'est un message soulignant qu'une étape jugée comme négative, peut s'inscrire comme un passage vers autre chose. Les protestations vont bon train généralement, quand le requin, la vipère ou le crocodile pointe le bout de son nez. A nous, thérapeutes, de proposer de voir aussi l'autre facette de ces éléments jugés négatifs et péjoratifs. L'expression de ce rejet des patients de la dimension négative, souligne leur fantasme souvent très présent, de se débarrasser de ce qui gène ou dérange. Or l'illusion de la tabula rasa, du retour à un retour à un avant, de l'effacement de l'ardoise pour repartir à zéro, ne favorisent pas l'intégration des aspects de soi-même jugés négatifs, dont nous sommes tous porteurs et porteuses.