...A la parole.
Le groupe d’expression des émotions va plutôt se centrer sur la parole mais aussi la créativité groupale, alternant des échanges autour des stratégies personnelles et des temps de découverte de médiations expressives. Selon les groupes, le travail sera plutôt cognitif ou projectif en priorité, mais en gardant à l’esprit que la complémentarité de ces deux approches reste nécessaire dans une démarche intégrative ou holistique selon le nom que nous pouvons lui donner. Quelques étapes sont identifiables, dont l’utilisation est variable selon les groupes et les séances. Tout d'abord les personnes vont se présenter. Ensuite il sera important de proposer un travail de définition de l'émotion, selon leurs propres termes. Un travail groupal en méta-plan sur le nom des émotions et une réflexion personnelle sur les émotions leur posant problème , seront la base du temps de parole. Un temps créatif et imaginaire est alors proposé pour terminer la séance.
Des présentations variées
Proposer à des personnes de se présenter peut se faire d’une façon très classique, ce que font le plus souvent spontanément les patients. Mais la proposition de se décaler, d’emblée d’une présentation classique, indique aux personnes que nous existons avec plusieurs facettes, que des éléments de compréhension de l’autre sont possibles à travers l’imaginaire et la métaphore. C’est une façon d’aborder la dimension signifiante, symbolique et projective, de façon ludique.
Il est donc également possible de proposer une présentation plus imaginaire de type portrait chinois (si vous étiez un animal, une couleur, un paysage, en terminant par une émotion). L’utilisation d’une ou plusieurs cartes symboliques (jeu dixit) peut favoriser une parole plus métaphorique, plus imaginaire, plus associative.
Une autre présentation possible s’articule autour de la façon de s’occuper de ses émotions : s’agit-il de les gérer, de les canaliser, de les refouler, de les exprimer, de les cacher, de les ressentir, de les gérer, ou encore d’autres façon d’être ou de faire ? Ce type de présentation permet d’emblée de savoir comment les personnes se débrouillent avec leurs émotions. Cette réflexion peut également se faire en fin de séance, dans une intention de comparaison.
Des définitions cognitives
Un travail autour de la définition des émotions peut alors être proposé. Une proposition d’expliquer ce que sont les émotions à un extra-terrestre qui les ignore est une proposition ludique souvent très appréciée. Il est aussi possible de chercher une définition collective de la notion d’émotions, en reformulant les propositions des patients, sans leur donner le sentiment qu’il existe une bonne réponse et encore moins que nous, les thérapeutes, la connaitrions.
Les idées les plus souvent proposées sont le fait que « l’émotion est un ressenti dans le corps », que « l’émotion est une réaction à quelque chose d’externe ou d’interne ». Les idées qu’il y aurait des émotions ressenties comme « négatives ou positives », ou qu’elles sont « plus ou moins intenses » sont également assez fréquentes. Ce qui demeure important c’est le savoir des patients sur les émotions et sur ces tentatives de définition. C’est le fil conducteur de l’ETP. La position dite basse du thérapeute, chère aux thérapies brèves, se révèle très pertinente dans ce type d’animation, .
Emotions primaires et secondaires, intrications avec les sentiments peuvent ainsi être débattus, nommés, définis…Si les patients ont des difficultés à nommer les émotions, dans un sens cognitif, des jeux de rôles à partir de cartes (jeu Uméo) peuvent permettre aux personnes de s’entrainer à reconnaitre et identifier les différentes émotions. Plusieurs séances peuvent alors être nécessaires pour ce type de travail et il a été abandonné progressivement dans le cadre d’une séance d’ETP souvent unique.
Une ballade entre nous et je
Du côté du nous
Un brainstorming est ensuite proposé sur le nom des émotions, de façon collective, permettant d’inscrire ces noms sur des post-it. Ces post-it sont ensuite disposés sur une « rosace des émotions ». Elle comporte 8 pétales, portant le nom de 8 d’entre elles : joie et tristesse, peur/anxiété et plaisir, colère et excitation, fierté et honte. Ces émotions ont été progressivement définies lors des séances de groupe avec les patients eux-mêmes. Une fois les post-it installés sur la rosace, de nombreux constats sont possibles : pétales plus ou moins vides, plus ou moins remplis, hésitations entre deux pétales pour certaines émotions…
Le travail autour du « nous » est important et va permettre d’installer un sentiment de communauté important pour ces personnes qui se sentent souvent isolées, différentes, stigmatisées. Un sentiment de sécurité groupale va s’installer, favorisant un narcissisme groupal. Le sentiment d’une écoute mutuelle, souvent baignée par un sentiment de compréhension mutuelle, est la base de la constitution d’une illusion groupale. Ce concept, issu de D.Anzieu et R.Kaës, permet de soutenir les compétences collectives, mais il faut aussi pouvoir le repérer et aider les patients à ne pas y demeurer.
Cette rosace du jour est retranscrite sur papier, photocopiée et donnée aux participants, avec la date et les prénoms des personnes présentes. Elle devient ainsi une trace visible de ce qui s’est passé dans le groupe. Cette empreinte souvenir est très demandée par les participants et c’est grâce à leurs demandes que ce rituel s’est instauré.
Du côté du je
Une feuille porteuse de 3 questions, est proposée, permettant d’inscrire 2 ou 3 émotions posant problème à la personne, ainsi que ses moyens habituels de « gérer » ces émotions. Ces feuilles, que nous ramassions au départ, donnant ainsi une connotation pour le moins scolaire, ont peu à peu été laissées aux personnes, comme témoignages de ce qui s’est joué durant la séance. L’ergothérapeute recueille ensuite, sur une feuille, le nom des émotions posant problème, en face des prénoms de chaque personne.
Temps de parole
Un fil conducteur structure alors la séance : - L’émotion qui pose le plus de problème à plusieurs personnes est nommée.
- La ou les personnes est/sont invitée(s) à évoquer ses/leurs stratégies personnelles autour de cette émotion.
- Les autres personnes sont invitées à donner des idées, des stratégies et évoquent souvent des souvenirs personnels, des situations autour de ces émotions.
- L’ergothérapeute évoque des pistes données par d’autres patients dans d’autres séance, en priorité, puis éventuellement si nécessaire, des pistes proposées par les thérapeutes.
La verbalisation va alterner entre le nous et le je, entre les pétales de la rosace et la feuille personnelle. Cette alternance entre groupal et personnel nécessite une animation parfois directive, pour ne pas laisser le groupe se perdre dans des histoires trop longues ou qui s’éloignent du sujet. Des souvenirs, ressentis et vécus personnels sont exprimés, des stratégies sont échangées, des idées sont partagées. Une fois les émotions personnelles de chaque personne du groupe travaillées, s’il reste du temps, le parcours d’une émotion à l’autre, se fait selon le choix des patients : Vont-ils décider de parler des pétales vides ou remplis de mots? Comment vont-ils rebondir d’une émotion à l’autre ? Quel lien est fait entre une émotion et une autre ?
D’autres questions se posent, venant s’inscrire comme autant d’éléments d’observation possibles concernant les stratégies des personnes : Les personnes sont-elles actives et forces de proposition ? L’écoute des autres est-elle possible ? La personne a-t-elle le sentiment de pouvoir agir et changer ? Ces questions, qui ne sont pas posées directement, mais restent présentes dans l’esprit de l’animatrice, sont importantes. En effet, le travail sur les stratégies potentielles est l’intention principale, du moins en apparence, de ce temps de groupe.
Une transformation possible des émotions peut ainsi être découverte lors des séances grâce à différentes méthodes: petits trucs, façons d'être, loisirs et plaisirs, communication non violente, expression verbale ou créative...Ce travail est proposé afin d’aider ces personnes à découvrir d’autres stratégies de régulation des émotions, qu’elles soient perçues comme positives (dans le fait de retrouver d’autres plaisirs que les plaisirs nourriciers) ou négatives (dans le fait de pouvoir exprimer les émotions posant problème au lieu de manger). Ce type de travail peut aussi être proposé comme une thérapie à plus long terme pour permettre à des patients de retrouver des capacités d’expression personnelle ou groupale.
Des temps centrés sur l’imaginaire
Enfin, le temps final de créativité collective (squiggle) ou l'utilisation d'images symboliques (cartes du jeu dixit), va permettre d’expérimenter in situ, des possibilités de transformations créatives, projectives, imaginaires.
Les cartes de dixit peuvent être proposées comme des supports de parole plus imaginaires et symboliques. Dans ce cas, en début de séance, avant toute autre discussion, un choix est proposé aux personnes. Le fait de choisir une carte en lien avec une émotion s’est révélé trop long à utiliser en séance de groupe et trop mental, au sens où la conscience (au sens du cerveau) venait en donner une explication cognitive et rationnelle, bien souvent éloignée du choix initial de la représentation. Il est donc proposé de choisir 1, 2 ou 3 cartes maximum, centrées sur les émotions. La consigne reste volontairement la plus floue possible : « des cartes qui vous parlent, qui disent quelque chose de vous ou de votre histoire, qui vous plaisent… ». Ces cartes sont ensuite utilisées au fil de la séance, posées au centre de la table.
Winnicott, psychanalyste anglais, proposait à ces jeunes patients une technique créative nommée le squiggle. Cette alternance de dessins, entre patient et thérapeute, permet d’entrer dans un dialogue graphique. Il est possible de proposer ce jeu du squiggle en groupe, en utilisant des craies grasses. La consigne est donnée de ne pas chercher à dessiner quelque chose de représentatif. Les dessins passent d’une personne à l’autre. Les dessins collectifs peuvent ensuite être affichés pour favoriser des discussions à partir de l’idée : « et si ce dessin était une émotion ? ». Ils peuvent également, en revenant entre les mains de la personne qui l’avait initié, devenir comme un message symbolique que la personne pourrait recevoir et sur lequel elle peut alors, méditer, s’interroger, associer…
Toute possibilité de transformation de l’émotion grâce à une médiation expressive, va ainsi permettre aux personnes d’expérimenter le changement possible. L’émotion qui conduisait auparavant à l’utilisation de la nourriture comme « doudou », « compensation », « anti-ennui », ou encore « anti-frustration », va pouvoir être reconnue, nommée, exprimée d’une autre façon. Ainsi, l’utilisation de la nourriture qui venait obturer la capacité de parole va, peu à peu, reculer. Ce travail de mise en représentation et de mise en mots, se nomme en psychologie, l’élaboration psychique. Il ne s’agit pas pour des ergothérapeutes de proposer une psychothérapie, mais de permettre à ces personnes de retrouver le chemin d’un changement possible. Cette notion de transformation d’une matière extérieure à soi qui donne corps à une transformation de soi, va, peu à peu, permettre aux patients de gagner une liberté face à l’addiction alimentaire.Il est toutefois à noter que pour entrer dans une véritable transformation intra-psychique en profondeur, ce type travail thérapeutique nécessiterait de nombreuses séances pour devenir une véritable thérapie et pas une séance unique d'ETP.
Cet article témoigne d'un protocole créé
par Marie-Josée Alix et Muriel Launois, ergothérapeutes
Il est donc leur propriété intelectuelle (article datant de 2017)