Dès qu'une personne entre en action, elle le fait dans le monde extérieur sur lequel elle va pouvoir impacter, en laissant plus ou moins de traces concrètes. L'action nous met en lien avec l'espace extérieur, la réalité, le monde qui nous entoure. De ce fait, lorsque nous entrons en action, nous sommes rapidement confrontés à nos capacités réelles, parfois fruits d'une dé-illusion cruelle quant à nos espérances ou parfois fruits porteurs d'agréables surprises, quand à nos capacités d'action sur ce qui nous entoure. Dans tous les cas, l'action va nous confronter aussi aux limites que nous impose la réalité extérieure.
Il est important de bien comprendre la différence entre la réalité extérieure, le monde qui nous entoure, et le principe de réalité, l'un des régulateur du fonctionnement psychique. C'est à travers les limites du monde extérieur, et en ergothérapie il s'agira des limites imposées par le cadre et les médiations, que nous allons pouvoir proposer à la personne de retrouver en elle ce principe régulateur, de l'étayer s'il fait défaut, de le faire découvrir et expérimenter pour le conforter, donc de l'intérioriser.
Le principe de réalité, régulateur du fonctionnement psychique
La notion de principe de réalité, mise en évidence par la psychanalyse, est l'un des principes régulateurs du fonctionnement psychique. Ce principe permet de mettre un frein à l'exigence pulsionnelle et permet de différer la satisfaction pulsionnelle. Le principe de réalité forme un couple avec le principe de plaisir qu'il modifie. Ainsi si le principe de réalité parvient à s'imposer comme principe régulateur, la recherche de la satisfaction ne s'effectue plus par les voies les plus courtes de l'immédiateté ou du passage à l'acte. Le principe de réalité permet un renoncement au plaisir immédiat, ce qui se révèle important pour ne pas se laisser submerge par des pulsions qui pourraient être, ensuite, à l'origine de conséquences péjoratives et de souffrances.
La recherche de la satisfaction peut alors emprunter des détours en fonction des conditions imposées par le monde extérieur. En effet, respecter le principe de réalité consiste à prendre en compte les exigences du monde réel, et les conséquences de ses actes. Le principe de réalité est la possibilité de s'extraire de l'hallucination, du rêve, dans lesquels triomphe le principe de plaisir et d'admettre l'existence d'une réalité,qui n'est pas toujours satisfaisante ou conforme à nos désirs. Le principe de réalité est donc un mécanisme d’adaptation de l’individu à l’environnement extérieur.
L'intégration du principe de réalité est l'un des garants possibles de l'émergence du moi de la personne. En effet, la prise en compte de la réalité est l'une des fonctions que le moi assure, c'est à dire faire avec les exigences intérieures (pulsions, désirs, etc...) et les exigences extérieures et/ou liées à l'existence d'une loi de référence commune à tous(ce que l'on peut faire ou non). (voir dans la théorie des pulsions de Freud principe de plaisir et de réalité)
En ergothérapie
En ergothérapie, les limites imposées par les activités/médiations en elles-mêmes, la structure proposée par le dispositif global ou l'atelier en lui-même et la relation thérapeutique, sont les moyens pour permettre l'existence d'une loi extérieure symbolique, qui va pouvoir
s'intérioriser en un principe régulateur interne, le principe de réalité.
A travers la médiation
Le matériau, la technique et l’objet lui-même, viennent imposer des règles de réalité qui vont contribuer au rétablissement du principe de réalité. C’est cette conscience et cette nécessaire intégration, adaptation au principe de réalité qui va aider les sujets, en particulier psychotiques, à lier une énergie psychique, libre et chaotique.
Les activités manuelles sont des activités clefs pour l'intégration de cette dimension. les critères de réalité et d’apprentissage y sont importants et parfois contraignants. Elles peuvent être très structurées, faire appel à la logique, l’esprit de synthèse, à des connaissances techniques préalables ou acquises lors de la thérapie. (poterie, sculpture sur bois, sur béton cellulaire, peinture sur soie, plâtre, macramé, tissage, vannerie, etc…). Elles peuvent aller jusqu’à devenir des activités de contrainte, semi-professionnelles ou à visée de réinsertion professionnelles.
La nécessité d'un apprentissage technique, parfois long et difficile, limite l'utilisation de ces activités dans le cas de séjours courts. Il convient de tenir compte des effets secondaires de certains médicaments (vue trouble, tremblements, etc...) pour adapter les techniques manuelles. Voir aussi les expériences perceptivo-sensorielles)
Nécessité d'un cadre
Pour permettre la confrontation au principe de réalité, il faut un cadre, des règles, des références, une structure solidement posée et respectée, aussi bien par les patients que par les autres thérapeutes que par l'ergothérapeute.
Le thérapeute est garant des règles de l'atelier, qu'elles soient sociales, thérapeutiques, institutionnelles. Il ou elle est responsable de l'expression et du respect de ces différentes règles. Il ne s'agit pas de poser un cadre rigide où le souci principal du ou de la thérapeute serait de faire "obéir" le patient aux règles, mais d'avoir conscience que la dimension de la loi doit être présente et que les transgressions doivent être nommées et travaillées psychiquement. La sanction ne peut être la priorité en psycho-dynamique. La pensée et la mise en mots doit toujours la précéder et à tout le moins l'accompagner.
Pour les personnes psychotiques, les références sont loin d'être les mêmes et il va falloir les rappeler fréquemment, sans agressivité. En effet, c'est à la toute-puissance fantasmatique de la personne que l'on va rapidement se heurter lors du rappel des règles et les risques de passage à l'acte demeurent présents. Ce rappel à la règle, à la réalité est souvent vécu comme une contrainte insupportable, une persécution supplémentaire, une intrusion personnelle. Il est d'autant plus important de reformuler sans cesse qu'il s'agit d'une règle commune à tous et à toutes et que l'ergothérapeute y est soumis également. En effet, cela n'est jamais à considérer comme acquis pour le patient psychotique. Le respect de la parole donnée vient donc comme élément fondamental. Cela a, en effet, une dimension structurante. C'est la nécessité d'une loi symbolique nous inscrivant comme individu différencié et non tout-puissant.
Grâce à la relation thérapeutique
L'ergothérapeute doit donc être garant, aussi bien dans l'utilisation de la médiation que dans le maintien du cadre, d'une référence à une loi extérieure en tant que symbolique d'un certain ordre du monde s'affirmant, en particulier, face au chaos psychotique. Empathie mais aussi fermeté dans la relation sont donc nécessaires. L'ergothérapeute est également souvent vécu (e) comme une référence possible en ce qui concerne le savoir faire technique et le savoir être relationnel. L'ergothérapeute contribue lui ou elle aussi à l'intégration du principe de réalité en tant qu'autre, porteur d'une parole, la plus authentique et marquée par le sceau de la loi commune à tous.
Le thérapeute est donc un soignant(e), mais il est aussi un individu, se proposant comme un "autre" que le patient, avec ses forces et ses faiblesses, avec son histoire dont il doit être le plus conscient possible pour ne pas trop infiltrer la relation thérapeutique. La supervision permet alors de proposer un travail sur soi, qui permette de comprendre comment aider une personne à intégrer le principe de réalité, en proposant une attitude juste quand au respect de la loi, ni trop rigide, ni trop laxiste.
Les écrits de cet article sont la propriété intellectuelle de Muriel Launois et n'engagent qu'elle.
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Merci d'avance d'en respecter l'esprit. (texte écrit en 2010)
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