Dans les cas d'états dépressifs chroniques et récurrents, il était plausible d'attendre que l'état dépressif une fois amélioré, la motivation puisse revenir. Mais là aussi, c'était sans compter sur l'absence de désir, le non engagement dans des activités devenues répétitives ou vides de sens. Il ne s'agissait plus alors d'état dépressifs pathologiques aigus ni même chronique, mais plutôt d'une difficulté à vivre seul. Dès lors, il semblait légitime de se poser la question de savoir si ce n'était pas la motivation qui posait le plus problème et pas uniquement l'âge des personnes. Notre réflexion s'est donc élargie à d'autres populations, pouvant "s'installer" psychiquement et physiquement à l’hôpital, dans un ancrage parfois vigoureux...
Être chez soi
En thérapie corporelle, les personnes sont souvent invitées à entrer dans leur espace intérieur, leur lieu sûr (hypnose), leur paysage corporel, leur moi ou leur soi profond et intérieur....bref être bien dans sa peau et dans son corps, c'est déjà être dedans. L'espace corporel et psychique personnel est souvent projeté dans son intérieur, si bien nommé, ainsi qu'en témoignent de nombreux écrits, poèmes et jardins secrets, inscrits dans une terre natale ou d'adoption. Notre sentiment d'être et identitaire s'enracine dans notre corps propre et l'habitat en devient l'une des expressions dans la réalité. Le jeu de la maison a été co-créé avec des patients et des thérapeutes, dans l'intention de favoriser une expression autour de la maison comme métaphore de l'espace psychique personnel.
"La maison ou l’appartement ne sont pas de simples lieux qui devraient être propres et bien “tenus”. Ces lieux se présentent aussi comme chargés de nos histoires personnelles, de nos souvenirs et de nos interactions avec ceux et celles qui y habitent. Ils sont de véritables métaphores de l’espace psychique personnel, venant soutenir notre enveloppe psychique. (Anzieu et al., 2013). « L’étymologie du verbe “habiter” et, notamment, ses racines communes avec le verbe “être֨” permet d’envisager l’habiter comme une manière d’être. En grec, les verbes se rapportant à l’habitat : oikein, naein, demein, etc., renvoient au fait d’exister » (Agneray et al., 2016)."
"L’outil d’expression à créer devait donc permettre d’imaginer un « chez soi » qui soit investi ou réinvesti, en termes de souvenirs, d’idées, d’images, afin d’étayer le sentiment d’un espace sécurisant, contenant, dans la mesure où la maison vient se proposer comme un dedans protecteur du dehors. (Dreyer, 2016 ; Flamand, 2004 ; Mutis et Kahn, 2005). À partir de ce sentiment de sécurité intérieure, personnelle, psychique et environnementale, l’habitat devient aussi une interface avec le monde, tout comme le Moi-peau (Anzieu, 1985). L’habitat s’inscrit comme « un point d’ancrage pour une ouverture sur le monde » (Agneray et al., 2015)."
(Article sur le jeu de la maison, revue ANFE 2020, co-écrit avec Charline Pichon et Romain Picherit)
Cet "être chez soi", protecteur, contenant et investi, semble donc faire défaut à certaines personnes, mais là aussi ce constat ne nous semblait pas suffisant. La solitude, le sentiment d'inutilité sociale, l'isolement géographique, le sentiment de ne pas avoir de compétences ou de ressources se présentent comme autant de causes intriquées, au delà de toute pathologie psychiatrique avérée. Nous avons pu constater lors de l'année 2020 à quel point l'habitat ne suffisait pas en tant que contenant protecteur et que les liens sociaux étaient fondamentaux. Or l’hôpital vient proposer ces liens sociaux comme un lieu de rencontre d'autres personnes, un lieu où des personnes prennent soin, un lieu où des activités sont possibles.
Des intentions
Les questions qui se posaient alors étaient de savoir:
- s'il fallait inciter les personnes à ré-investir leur espace personnel réel, en proposant des permissions et des mises en situation écologique, de type ré-entrainement à des capacités dans les activités de vie quotidienne. Cette piste de réadaptation étant le plus souvent mise en échec, nous avons donc exploré d'autre pistes.
- S'il fallait plutôt proposer aux personnes de re-créer un espace personnel intra-psychique pour retrouver une forme de liberté et de conscience d'eux-mêmes leur permettant d'avoir un sentiment de sécurité intérieure et de pouvoir vivre à l'extérieur. Ce type d'intention repose sur la psychothérapie, sur la relaxation et les auto-massages pour renforcer le sentiment de sécurité interne. Ces interventions sont proposées et ne suffisent pas toujours.
- A trouver ou retrouver des ressources personnelles internes et externes, ou des ressources extérieures. C'est donc sur cette troisième voie que nous nous sommes engagés, pour offrir de nouvelles perspectives à nos patients.