Dans un groupe en 2021, la problématique des toxiques, alcool, cannabis, tabac et sucre était très présente pour quasiment tous les participants à l'exception de l'un d'entre eux. Nous nous sommes donc engagés dans un travail de mise en paroles autour de ces addictions, travail nécessitant plusieurs séances.
L'oralité est globalement très valorisée dans le groupe A, mais encore plus dans ce groupe de patients très addictés et toutes leurs demandes s'enracinaient dans des dégustations sucrées et festives. Nous avons eu ainsi les crêpes de la chandeleur, le gâteau au chocolat d'un anniversaire, le gâteau au chocolat d'un bilan d'autonomie d'une des patientes, une sortie glaces et gaufres à la pépinière. Certes ces séances venaient en alternance avec d'autres séances plus "sérieuses" mais cette oralité restait très marquée, intiment imbriquée avec des addictions plus ou moins nocives.
3 séances ont été proposées, non pas l'une derrière l'autre mais à distance, au fil de l'évolution du groupe et des demandes des personnes. La première séance est restée centrée sur le plaisir, mettant en évidence le besoin de plaisir immédiat de la psychose, la seconde s'est ancrée dans une partage d'expériences, avec un plaisir encore trop présent pour mettre des addictions à distance. La dernière séance s'est alors centrée sur les effets néfastes des différents produits. La position surmoïque et éducative, s'est révélée intéressante en termes d'informations, mais sans grand effets non plus sur la motivation d'arrêter, en tout cas exprimée dans l'instant par les personnes.
Il est à noter que nous ne pouvons pas attendre un arrêt d’une addiction sans une prise en charge longue et en équipe-pluri-disciplinaire. Le groupe "autonomie et projets" s'affirme, dans ce type de séance, comme une plateforme de découvertes permettant à des personnes de mettre en lumière certaines de leurs difficultés et d'aller éventuellement les travailler dans des groupes de thérapie (nutrition, addictions). Les partages de savoir et de stratégies sur le plan des comportements favorisent ces potentielles prise de conscience et orientations thérapeutiques.
Atelier du goût
Une première tentative s'est inscrite dans un atelier du goût, pour inciter les patients à prendre du plaisir à déguster lentement et tranquillement leurs aliments. Ce jour là deux infirmières souhaitant proposer un groupe autour de la nutrition sont venues pour participer à l'atelier et nous étions donc en grand nombre ce qui n'a pas facilité la possibilité de se centrer et d'être à l'écoute. Les patients connaissant les infirmières ont demandé des nouvelles d'autres personnes et l'atmosphère était plus au plaisir de revoir des personnes connues qu'au silence méditatif...de plus l'un des patients en HDJ, dont nous apprendrons ensuite qu'il avait pris du cannabis, dormait sur sa chaise, faisant sourire les autres personnes.
La préparation de cette séance avait consisté à proposer une petite boite individuelle, contenant un grain de raisin, un carré de chocolat noir et une amande, pour permettre un choix aux personnes entre ces trois aliments à explorer en pleine conscience. Les boites ont été proposées aux différents participants. Le temps que j'indique qu'il fallait choisir l'un de ces aliments pour engager le travail du goût avec, l'un des patients avait déjà...tout avalé avec grand plaisir et d'une seule bouchée!
Une fois l'hilarité générale apaisée nous avons enfin pu commencer l'expérience. La vision, le toucher, le son, l'odeur de cet aliment ont donc déjà été explorés durant quelques instants, invitant les personnes à considérer la forme, le contact, le poids et toute autre sensations permettant de ce centrer sur les sensations du corps. En hypnose, nous utilisons le VAKOG (visuel, auditif, kinesthésique, olfactif et gustatif) pour solliciter tous les sens et c'est dans ce sens que la séance a été abordée. L'étape suivant est gustative, mais il s'agit de prendre tout son temps pour faire rouler l'aliment dans la bouche. Cette expérience est également proposée dans les sessions de méditation de pleine conscience et favorise un éveil gustatif global et lent. Et il donc a fallu insister pour que les aliments ne soient pas rapidement avalés...
Certains patients ont ainsi découvert que le chocolat était très amer, un autre qu'il y avait un léger gout de framboise. Le croquant de l'amande a été apprécié, mais la dimension caoutchouteuse du grain de raison sec l'a été beaucoup moins. Un temps de discussion sur l’intérêt de manger lentement et de déguster le plaisir en pleine conscience a suivi ce temps d'expérience. Ces ateliers du goût sont souvent utilisés dans le milieu scolaire mais aussi par des diététiciennes pour inciter les patients ayant des troubles alimentaires (côté obésité) à pouvoir reprendre pleinement conscience de leurs sensations de plaisir à manger, et pour retrouver sensation de faim et de satiété. Les deux infirmières présentes ont profité de ce moment pour parler de leur groupe nutrition et l'un des participants, en surpoids, rejoindra ultérieurement leur groupe, co-animé avec une diététicienne.
Partage d'expériences Une seconde tentative de travail s'est déroulée autour d'un partage d'expériences spontané lors d'une séance, autour des addictions. Dans ce groupe de nombreuses plaisanteries autour de l'alcool ou des toxiques étaient présents. certains patients se présentaient en mode quasi identitaire comme celui qui "se bourre la gueule" ou celui qui fume et plane tout le temps. Puisque ces sujets étaient sans cesse abordés sur un mode ludique et dans un déni total des conséquences possibles, un temps de parole a donc été consacré à ce sujet, lors d'une séance du groupe AP, en lieu et place du jeu prévu ce jour là, pour rester au plus près des expériences signifiantes pour les personnes.
Nous avons donc ainsi échangés autour des expériences de chacun, sur l'alcool, les toxiques, le tabac.La dimension de plaisir demeurait très présente pour la plupart d'entre eux, mais certains ont pu évoquer l'arrêt d'une substance et les raisons qui l'ont poussé à cela. Malgré les thérapeutes qui tentaient de soutenir l'idée d'un arrêt possible et la nocivité potentielle de ce type de mésusage, la force du groupe et du plaisir ressenti est demeurée la plus forte. Même lorsqu'un patient a partagé avec nous son expérience d'avoir fumé du géranium, il l'a fait de façon si humoristique que le fou rire a été général et il a été très difficile de faire entendre la gravité de son expérience qui l'a conduit aux urgences pour empoisonnement. En constatant que ce patient était donc devenu le "fumeur de géranium" dans l'imaginaire du groupe, sans conscience des conséquences, il nous a fallu réfléchir à autre chose....
Éducation à la santé
Une séance de type éducation à la santé à donc été préparée par un étudiant de 3ème année, Virgile Annequin. L'intention de cette séance était donc clairement d'aborder les conséquences néfastes des addictions, mais sur un mode interactif et raisonnablement attractif pour que les patients ne vivent pas cela comme une présentation trop interdictrice ou menaçante. La préparation a été longue et plusieurs étapes ont été proposées:
- Personnalité, histoire et addictions: Des mots ont été choisis par l'ergothérapeute concernant tout ce qui peut conduire à utiliser une addiction (anxiété, personnalité dépendante, traumatisme, phobie sociale, difficulté à gérer les conflits, besoin de plaisir et de récompense...). Les petites cartes réalisées à partir de ces possibilités très nombreuses, ont été distribuées au hasard aux patients. Il leur a été demandé ensuite de choisir le mot qui leur parlait le plus et de trouver les conséquences qui pouvaient en découler. l'étudiant ergo écrivait alors les mots sur un tableau pour pouvoir les reprendre ensuite. Le mot choisi par chacun les ayant conduits à une parole plus personnelle et surtout plus alourdie des situations les ayant amenés aux toxiques, les plaisanteries ont peu à peu cessé. Les mots ont été peu à peu réunis en catégories: tabac, alcool, toxiques, nourriture et prostituées (argent). Et la thématique commune a été ainsi dégagée: les addictions.
- Quizz: Un petit quizz a ensuite été proposé par l'étudiant ergothérapeute qui a animé la séance. Les patients ont très bien intégré cet outil, ayant le sentiment de pouvoir gagner lorsqu'ils donnaient la bonne réponse ajoutant une prime de plaisir. le quizz revenait à intervalles réguliers et il suffisant de voir à ce moment les patients se rapprocher physiquement de la table pour entendre leur intérêt.
- Des outils à manipuler: d'autres outils ont été préparés, permettant des manipulations concrètes de mots ou d'images pour engager physiquement les participants et leur donner un rôle actif.
- Imaginer le trajet de l'alcool dans le corps à partir d'une image anatomique simplifiée et sous forme de dessin
- Comparer un foie sain et un foie alcoolique également sous forme de dessins
- Remettre des mots sur un personnage coincé dans une bouteille pour indiquer où des pathologies peuvent s’installer, dont certaines inconnues des patients (varices ½sophagiennes, goutte, polynévrites)
- Remettre en ordre des images montrant les étapes de l'ivresse, avec les grammes d'alcool dans le sang
- Découvrir le circuit de la récompense et l'effet du cannabis, qui doit être augmenté pour avoir de plus en plus d'effets, et qui détruit au fur et à mesure les récepteurs synaptiques responsables du fonctionnement du circuit de la récompense.
L'atmosphère générale de cette séance a été globalement détendue, avec certains moments un peu plus "lourds" dans des partages de vécus personnels. La durée limitée de la séance ne nous a pas permis de travailler sur tous les mots, s'inscrivant comme causes potentielles des addictions, sinon il aurait fallu consacrer toute une séance à cela, en mode introspectif pour relier mots et histoire personnelle, afin d'aider les patients à identifier la ou les origines de leur(s) addictions(s). Ce type de travail s'approche plus des groupes de travail proposés en addictologie et n'est pas celui attendu dans ce groupe. Il s'agissait plus d'une éducation à la santé.
Le vécu de cette séance a été très différent selon les patients:
- L'un des patients qui devait justement s'inscrire dans une prise en charge en addictologie a ainsi pu constater à quoi il pouvait s'attendre. Malheureusement, c'était le patient le moins engagé dans la séance et surtout le moins en capacité de relier les causes et les effets. Il pensait, en effet, que c'est l'arrêt du cannabis qui avait provoqué sa psychose.
- Le patient qui a le plus réagit, en soulignant que "'cela fait peur" était celui...qui n'avait aucune addiction!
- Lorsque nous avons posé la question de la peur aux autres ils ont répondu "même pas peur". Mais...l'un d’eux a demandé si 15 ans après avoir arrêté le cannabis, "le cerveau s'est réparé?". Et un autre a admis avoir peur de la douleur et se poser des questions sur ses consommations.
- Un des patients en a profité pour nous dire qu'il avait diminué le cannabis, un autre qu'il ne souhaitait pas arrêté de fumer malgré les risques.
- Enfin, l'un des participants, plein d'humour, a annoncé aux autres que c'était "à cause de lui" qu'ils avaient eu droit à cette séance...
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