« Savoir habiter » ou être « chez soi » ?
Dans son article sur les significations symboliques de la maison, Pascal Dreyer, auteur de livre sur le bénévolat et qui a été directeur d’handicap international, nous donne quelques pistes étymologiques. Il nous apprend ainsi qu’habiter trouve son origine dans le mot latin : habitare, qui signifie, « avoir quelque chose souvent ou de manière fréquente ». Il souligne que le verbe latin habitare est également la racine d’autres mots tels que habitus, qui nous renvoie à nos habitudes et habit, qui nous renvoie lui à notre besoin « d’enveloppe protectrice contre les agressions ». Il nous parle aussi de la maison comme étant « le lieu où vit l’homme » et nous rappelle qu’en français, la maison « désigne à la fois le lieu physique (La construction), et l’espace psychique construit par les gestes et les représentations des habitants ». Il met également en lumière la notion de « chez soi », qui se rapproche de la notion latine de domus, désignant « la maison au sens de famille », un dedans qui vient s’opposer à ce qui est dehors. (Dreyer, 2016).
Jean-Paul Flamand, professeur en architecture, dans son abécédaire de la maison, propose une définition du terme « habiter » en développant les notions d’espace, de limites et de vide. Il souligne que le fait d’habiter, c’est « occuper le vide à l’intérieur des limites », s’installer dans un creux. (Flammand, 2004). Ces notions ne sont pas sans évoquer celles d’espace intérieur et d’espace extérieur (Mutis, Kahn, 2005). Ces deux espaces sont reliés par celui que Winnicott met en évidence, évoquant la notion d’espace transitionnel dans son ouvrage bien connu, « Jeux et réalité » (Winnicott, 1999). Cet espace transitionnel ou intermédiaire permet de créer un lien qui sépare et relie le dedans et le dehors.
Le « chez soi » se situe très clairement du côté d’une enveloppe protectrice qui trouve un écho dans la notion d’enveloppe psychique dont D. Anzieu et ses collaborateurs nous parlent dans leur ouvrage collectif (Anzieu et Al, 2000). D. Anzieu développe cette notion d’enveloppe psychique à partir de son concept de Moi-Peau et de fonction contenante (Anzieu, 1995). La maison ou l’appartement ne sont donc pas que de simples lieux qui devraient être propres, bien soignés et bien "tenus". Ces lieux se présentent aussi comme des métaphores de l’espace personnel. Être chez soi, c'est aussi être en soi-même, dans son corps, dans son espace psychique. Être chez soi, dans un environnement externe, dans un lieu concret devient alors, une métaphore de cet espace psychique interne. La maison vient se proposer comme un dedans protecteur du dehors. L’outil d’expression devait donc permettre d’imaginer un « chez soi » qui pourrait être investi ou réinvesti, en termes de souvenirs, d’idées, d’échanges de savoirs, afin de contribuer à créer le sentiment d’un espace sécurisant, contenant.
Le fait de choisir la maison comme thème du jeu vient situer cette notion d’espace contenant et sécuritaire comme l’un des pivots des intentions thérapeutiques. L’évolution progressive du jeu, oscillant entre des plateaux collectifs et des petites maisons personnelles en tissu, témoigne de ce souci d’inscrire le jeu dans une dimension symbolique d’un espace de vie. L’espace collectif est passé d’une version utilisant des plans d’appartements ou encore la vue extérieure d’une maison, à un plateau plus classique, qui propose une spirale de cases à l’intérieur d’une structure de maison. Les petites maisons personnelles en tissu, sont devenues paradoxalement, une version plus optionnelle, à utiliser ou pas en fonction des populations concernées et des intentions thérapeutiques.
L’être « chez soi » se situe donc très clairement du côté de l’enveloppe protectrice, tandis que le « savoir habiter », autre pivot de la création du jeu, se situe du côté d’une action. Il propose en effet un champ de possibles autour de différents verbes, tels que : aménager, décorer, entretenir, meubler, organiser, ranger, se sentir bien, se reconnaitre dans des choix de couleurs ou de matières, bref autant d’actions permettant de mettre en scène notre façon d’habiter. Jérôme Legrix-Pagès, chercheur en géographie, évoque la notion de « patrimoine émotionnel individualisé » (Legrix-Pagès, 2016), qui vient mettre en lumière comment notre histoire personnelle va pouvoir resurgir et se tisser dans le visible, à travers nos choix conscients et inconscients, notre façon de nous approprier notre habitat. Alberto Eiguier, psychiatre et psychanalyste, parle du corps de la maison, des aménagements et des appropriations, évoquant comment nous organisons ce territoire avec nos objets, reflets de notre inconscient. (Eiguier, 2013).