Entre les deux séances, ma formation à l'hypnose Ericksonnienne, me conduit à tenter d'utiliser une histoire de transformation, c'est à dire, la re-formulation des éléments proposés par la patiente, sous une forme d'histoire métaphorique afin de lui proposer un message symbolique d'évolution possible. Ce récit nécessite alors de redonner cette histoire à la personne, en mode hypnotique, afin de ne pas s'adresser à la conscience volontaire mais plutôt au sub-conscient, voir à l'inconscient de la personne. J'ai donc écrit un conte que je lui ai raconté durant la séance. (voir conte ).
Je lui raconte donc cette "jolie histoire" comme elle l'a nommera elle-même, pour m'entendre dire que c'est bien gentil tout cela, mais totalement imaginaire...Malgré l'enseignement qui m'a été donné en thérapie brève, (indiquant que la métaphore thérapeutique, pour être efficace, doit uniquement suggérer et ne pas expliquer), je lui demande si, tout de même, cette histoire n'a pas un lien avec elle...Mais, fine mouche, elle m'a vue venir! Elle me dit que, bien sûr, elle reconnait de ci delà, des éléments de sa vie, mais que la "ficelle est un peu grosse tout de même". Et elle achève de me signifier mon échec cuisant, en remarquant qu'elle ne voit pas du tout comment cette histoire va pouvoir l'aider...Du fond de ma position basse, si basse que je suis probablement sous la moquette ou le bout de tissu, je souligne, qu'en plus, j'ai imaginé une fin au lieu de la laisser imaginer toute seule. Elle me dit que, de toute façon, elle n'aurait pas pu imaginer une autre fin. Je constate, qu'une fois encore, j'ai travaillé à la place de la patiente...
Mais je ne m'en tiens pas là et je lui dis que, ayant conscience que la fin proposée était la mienne, je lui dis que j'avais tenté de trouver trois fins possibles afin qu'elle puisse choisir. Curieuse, elle m'encourage (malgré mes maladresses thérapeutiques et touchée de mes piètres efforts à vouloir l'aider), à lui délivrer mes trois pistes de fin. "Dans ses rêves, elle pense parfois à ses 3 princes. Tour à tour, elle rêve qu'elle dépouille l'un de son armure, tache les vêtements de l'autre ou offre de petits morceaux de tissu miroir au troisième pour lui permettre d'apprivoiser la lumière des éclairs. Elle ne sait pas bien encore qu'elle sera la meilleure des solutions pour son avenir, ni même si son avenir sera avec l'un de ses trois princes, mais pour le moment, elle se sent...."
Ces trois idées la font bien rire et elle reconnait sans peine son mari affublé d'une armure rigide, qui tente de la stimuler sans cesse et à qui elle voudrait bien dire non...Elle aime d'ailleurs beaucoup ma bague "Zut" où ce mot un peu provocateur s'étale en noir sur fond blanc. Elle l'a rapidement remarquée. Elle refuse de choisir une fin entre les trois rêves et ne complète pas la phrase qui dit comment la princesse se sent. Elle me demande plutôt à moi, comment je ressens le fait que, décidément, je ne sais pas comment l'aider dans la réalité et elle repart dans une plainte fort réaliste. Elle doit, en effet, assurer des choses pour permettre un événement familial important, à savoir l'anniversaire de sa belle-mère, dont elle sent bien qu'elle va tout gâcher par sa maladie et son mal-être. Je rate l'occasion de lui raconter comment Cendrillon s'est débrouillée avec sa belle-mère et je lui suggère, un peu abruptement, que ce n'est pas son problème, mais celui de son mari...Surprise par ma réaction fort peu empathique envers son mari qui doit, selon elle, la supporter, elle reste un peu perplexe et nous nous séparons sur ces mots: Elle m'invite à trouver autre chose que des "jolies histoires" si je veux l'aider à se mobiliser pour aller mieux pour la fête....
Il est tout de même à remarquer que, durant toute la première partie de la séance, tandis que je m’efforçais à faire quelque chose pour elle, elle avait le sourire...Il est intéressant de constater que, pour une fois, celle qui n'y arrive pas, c'est moi et pas elle. Ce travail de permettre au patient de reprendre la position haute, nécessite que nous puissions accepter d'être réellement en position basse. Il ne s'agit en aucun cas de faire semblant mais d'offrir à la personne la vision de notre capacité à continuer à tenir bon et à essayer, malgré le sentiment d'échec qui peut se dégager de la situation. C'est à ce prix qu'elle a pu intégrer qu'il y a un moyen de supporter l'échec.
Elle commence à aller en permission, à sortir marcher un peu avec son mari et envisage de retourner participer à l'écoute musicale groupale car, dit-elle, elle s'ennuie.
Séance 5 Les cartes
Le lendemain, je reviens la voir et nous nous déplaçons dans la petite pièce qui sert de bureau de consultation polyvalent, car des patients rient et jouent bruyamment dans la salle occupationnelle. Je suis venue avec un jeu Dixit, fait de cartes centrées sur des représentations très imaginaires. Elle regarde cela, en soulignant que, décidément, je suis obstinée et que je continue sur la piste de l'imaginaire. Je lui rappelle que lorsque j'avais suggéré de l'aider dans la réalité à aller choisir des vêtements, elle avait elle-même constaté que ce n'était pas une solution efficace pour elle. Tout de même, elle n'est pas psychotique et peut s'arranger de ses problèmes réels et concrets à sa façon. Elle m'annonce qu'elle ne va surement pas pouvoir trouver d'histoire à raconter sur ces cartes dont elle se souvient que nous avions joué avec, en groupe, lors d'une séance de jeux thérapeutiques. "Je n'arriverais jamais à trouver des titres comme nous l'avions fait", me dit-elle, m’ôtant tous les doutes concernant sa mémoire dont pourtant elle se plaint.
Je l'invite à trouver la carte qui se rapproche le plus de ce qu'elle ressent actuellement. Elle choisit une carte, avec un personnage assis, de dos et qui semble contempler des papillons attirés par une lumière. Elle s’apprête à me raconter pourquoi elle a choisit la carte, bien rodée aux attentes habituelles des thérapeutes et je l'invite à choisir une autre carte, indiquant comment elle aimerait être, comment elle souhaiterait se sentir, plus tard. Le choix est tout aussi rapide que le premier et à peine a-t-elle ouvert la bouche pour m'en donner les raisons, que je lui demande déjà de choisir la carte qui lui permettrait de passer d'une carte à l'autre. Elle prend plus de temps pour contempler les cartes une à une, puis se décide. Sa carte ressource ou solution, celle qui peut permettre selon elle le changement, est la seule sur laquelle je vais tenter de la re-centrer. L'idée de cette structure d'utilisation des 3 cartes m'a été donnée par l'une des participantes à la formation d'hypnose et je lui en suis reconnaissante.
Cette carte représente un enfant, assis sur le canon d'un char d'assaut, avec des fleurs autour de lui. Elle trouve cette image fascinante par la conjonction de l'innocence de l'enfant et la noirceur des armes. l'enfant a un air triste. Nous évoquons, successivement, Tian'anmen, la guerre et la paix, l'enfance et l'enfant intérieur, dans une discussion qui semble un peu décousue et sans intention particulière. Elle finit par évoquer sa petite fille, avec le sourire, parlant des instants qu'elles passent ensemble, de ses joues si douces et des câlins bien agréables de cette enfant. Il est important de ne surtout pas lui indiquer que cette carte est porteuse des solutions et ressources qui sont les siennes et que le simple fait d'en parler, la reconnecte avec cela. La séance s'achève, elle range les cartes avec les autres, semblant avoir un peu de mal à lâcher sa carte solution et parlant alors, de la carte vers laquelle elle souhaiterait aller. Des livres pour satisfaire son gout de la lecture, une bibliothèque tranquille mais où coule une cascade imaginaire, en plein milieu des livres et dont elle dit qu'elle lui évoque les promenades qu'elle fera avec son mari dans l'avenir quand elle ira mieux...
Séance 6 Le jeu
Elle ne m'avait pas demandé ce que nous allions faire durant la séance suivante, se contentant de me demander quel jour et à quelle heure j'allais revenir la voir. Je reviens avec un jeu que j'ai réalisé, en tissu, pour lui demander son avis sur l’utilisation de ce jeu. Il s'agit d'un jeu alliant reconnaissance tactile et discussion à partir de métaphores en lien avec cette matière souple. Elle teste la partie de reconnaissance tactile en soulignant que cela est bien trop compliqué...Mettre la main dans le sac l'a fait bien rire et elle souligne le jeu de mots. Je reconnais, qu'effectivement, cette partie de reconnaissance tactile est probablement trop complexe. Elle me suggère de permettre aux gens de toucher déjà les tissus sur le patchwork formant le plateau de jeu, puis de sortir les petits tissus des sacs pour les associer en visuel ET en tactile. Je souligne que sa proposition est très pertinente et que je vais la retenir, notamment en proposant le jeu en deux temps bien séparés afin de simplifier la séance. Pendant que nous parlons de cela, je remarque qu'elle touche le plateau de jeu, constatant à quel point mes capacités de couture en patchwork sont rudimentaires, car les carrés ne sont guère réguliers...Elle ne dit rien, mais je sens bien qu'elle trouve ce travail pour le moins bâclé et qu'elle n'aurait surement pas accepté cela de ses élèves.
Nous évoquons alors la seconde partie du jeu qui est l'utilisation des métaphores autour du thème du tissu, comme prétexte à une expression personnelle ou groupale. "Nouer des liens", "tisser des relations" , "dénouer ses muscles" en sont quelques exemples. R. regarde les cartes, me donne à chaque fois l'explication de la métaphore, indiquant ainsi qu'elle comprend le sens premier de la phrase. Ce qui me semble important à remarquer, c'est que cette femme a tout à fait accès à la métaphore, sur un plan intellectuel en termes de compréhension. Par contre, sur le plan de l'imaginaire, la métaphore ne semble pas avoir un effet de sens dans sa vie. Elle les comprend, mais cela ne lui offre pas de pistes de compréhension d'elle-même, d’introspection, comme si le lien avec sa propre histoire ne pouvait pas se faire. Sur aucune des cartes elle ne fera de liens avec sa propre histoire, demeurant dans l'explication rationnelle. Cela confirme ce qui s'était passé durant les séance précédentes et elle a tout à fait raison de dire qu'elle n'est pas en lien avec son imaginaire. Sa pensée reste rationnelle, centrée sur la compréhension et la cognition, comme si son imaginaire et son inconscient ne lui était guère accessibles.
Je la remercie de son aide et souligne que je vais pouvoir utiliser ce jeu avec les personnes du groupe de jeux thérapeutiques. Elle me suit dans la salle quand je vais ranger le jeu. Une fois dans la salle, elle constate qu'elle-même préfère des jeux de type rami, jeux qu'elle pratique avec son mari. Je lui montre les jeux de cartes qui sont dans la salle, l'invitant à proposer à d'autres personnes de jouer si elle le souhaite.
Suite
Nous ne nous fixons pas de rendez-vous, puisqu'elle ne le demande pas. Je vais la voir un jour, mais elle est chez son médecin. Je la croise une autre fois, où elle reçoit la visite de son mari. Elle continue à aller en séances d'écoute musicale, en permissions et elle commence à aller plus volontiers dans la salle occupationnelle, avec les autres personnes. Lorsque je vais la voir un après-midi pour prendre de ses nouvelles, elle m'annonce qu'une infirmière lui a proposé d'aller acheter avec elle des vêtements pour la fameuse fête d'anniversaire de sa belle-mère. Je me retiens de lui dire que je lui avais proposé et qu'elle avait refusé...Sans doute qu'à présent, elle est prête à le faire et avec quelqu'un d'autre que moi. Nous plaisantons sur le choix d’une super robe de cocktails, mais elle opte pour un tailleur pantalon plus adapté à la saison et à son âge. Tandis que nous "papotons" dans sa chambre, (puisque cette fois je n'ai rien amené du tout pour lui proposer quelque chose à faire), un aide-soignant vient proposer une partie de rami. Nous avions repris en équipe, le fait qu'elle apprécie ce jeu et cette discussion a été suivie d'effets comme je le constate. Elle refuse dans un premier temps, mais je la regarde en lui disant" ON y va? Et vous me montrez comment ON joue à ce jeu?". Elle accepte cette idée et nous voilà parties. Une fois le jeu lancé, je laisse les patients, les stagiaires ASH et l'aide-soignant, poursuivre cette séquence occupationnelle.
Tout ce travail progressif avec cette patiente, a mis pour moi en lumière plusieurs choses: