Dans le groupe "Autonomie et projets", la méthode d'animation reste au plus proche de celle proposée en éducation thérapeutique. Dans le service d'hospitalisation libre où se déroule cet atelier, il n'y a pas de parcours d'ETP validé par l'ARS, mais du fait d'une formation réalisée par ailleurs pour un parcours en chirurgie bariatrique, cette méthodologie a progressivement infiltré ma façon d'animer un groupe. C'est dans cette formation que j'ai donc entendu parler, de la notion de "patient ressource".
Patient ressource, expert ou co-thérapeute?
Souvent, dans les groupes en psychiatrie et psychologie médicale, il nous est possible de constater que des patients se situent ou tentent de se situer comme co-thérapeutes. Il est important, dans ce cas, de se demander quel est le sens de cette attitude. Et les réponses sont multiples, nombreuses et imbriquées: Une certaine empathie naturelle? Un besoin de position fantasmée comme haute? Un sentiment de valorisation narcissique à être en situation d'aider l'autre? Une façon de se décentrer de soi? Une sublimation de pulsions? Un désir de prendre la place du ou de la thérapeute? Une fonction parentale suractivée? Un sentiment de culpabilité trop intense? Et il y a en encore bien d'autres....En particulier, découvrir et utiliser de nouvelles compétences et surtout une méta-position, c'est à dire une distanciation de la pathologie ou souffrance psychique.
Garder une oreille et un ½il attentif au sens de cette attitude est important, mais nous ne serons jamais assuré que nous détenons la "bonne" réponse...Pouvoir utiliser au mieux cette disposition que l'on repère parfois, semble une piste plus orientée vers une action-solution, permettant à la personne d'engager des capacités de résilience et à nos séances de gagner en qualité et en efficacité. Nous pouvons, dans ce cas, devenir "utilisationniste" et permettre à la personne, non pas d'être co-thérapeute, ce qui serait une confusion des rôles, mais de devenir une personne-ressource pour les autres.
Actuellement, la tendance générale à utiliser le mode d'animation de type ETP est de favoriser de plus en plus la parole des patients et l'intégration de leurs savoirs dans les parcours de soin. En addictologie, j'avais déjà pu rencontrer cette notion, dans les groupes de parole où des patients venus de l'extérieur venaient témoigner de leurs expériences de sevrage et de maintien de l’abstinence. Dans le parcours de chirurgie bariatrique où j'interviens du fait de mes pratiques psy (hypno-relaxation et groupe de parole de "gestion" des émotions), des patients déjà opérés viennent témoigner dans une table ronde avec des diététiciennes. La notion de patients experts commence également à apparaitre et des formations viennent peu à peu donner une reconnaissance professionnelle à ces patients. (voir site université des patients).
En ce qui concerne le travail avec le groupe AP, nous sommes donc dans une tentative de repérage des patients qui peuvent devenir des patients ressources pour pouvoir tenter de les soutenir dans une telle démarche, sans pour autant entrer dans une confusion des rôles de chacun, car la confusion, dans le domaine de la psychose, reste toujours plus dommageable qu'autre chose. Les questions qui peuvent donc se poser sont : quels sont les éléments repérables et sur lesquels nous allons pouvoir nous appuyer ou que nous aurons intérêt à soutenir pour soutenir la dimension de ressource d'un patient, sans négliger de le considérer comme une personne en difficulté et non pas un co-thérapeute? Pour y répondre, je vous invite à entrer un peu, dans l'histoire de J.
Histoire de J.
Un patient d'une trentaine d'année, intégré depuis quelques mois dans le groupe AP dans le cadre d'hospitalisation de jour. Il se situe clairement dans ce champ de patient ressource et s'inscrit comme un moteur du groupe. L'analyse des éléments que J. propose est possible, pour nous permettre une réflexion sur l'apport des patients "ressources".
- La première de ses actions située dans ce champ est d'être force de proposition permanente. J. a beau souffrir de schizophrénie, il n'en a pas moins de nombreuses envies que son apragmatisme ne lui permettent pas de faire seul. Lorsque nous sommes en recherche d'idées pour réaliser ensemble soit un jeu, soit une sortie, il est souvent le premier à parler et à avoir des idées.Il reste important, dans ce cas, d'être vigilant sur le fait que le groupe ne devienne pas le lieu où il puisse réaliser uniquement ses envies personnelles...Soutenir l'avis des autres personnes et les aider à exercer leurs capacités à dire oui ou non est une voie à ne pas oublier. Une seconde piste qui le situe comme patient ressource est sa capacité à aller chercher des références extérieures sur son téléphone durant la séance. Il propose ainsi aux autres personnes, une référence sociétale, qui reste toujours à moduler selon son origine, mais qui a l'avantage d'inscrire les personnes dans une parole sociale qui passe de plus en plus par internet. C'est souvent l'occasion de proposer aux personnes d'entrer dans une méta-analyse des informations et de se poser la question des fameuses fake news.Il est également l'un des rares à faire des recherches entre les séances.
- L'humour est également l'une de ses caractéristiques et influe largement sur l’atmosphère générale du groupe. Dans le cadre de ses plaisanteries, il propose souvent des hypothèses farfelues, des provocations permettant de faire passer des messages, des situations impromptues. L'inconvénient d'une telle attitude est de ne pas permettre un discours introspectif et d'évacuer les émotions de tristesse potentielle. Mais dans la mesure où ce groupe ne se situe pas dans le domaine du soin psychique, cet inconvénient devient un constat dont il s'agit de tenir compte. Il reste en effet, important de pouvoir, du côté du ou de la thérapeute, redevenir sérieux très rapidement, si la situation l'exige, lorsqu'une personne exprime un ressenti difficile. L'humour est une excellente sublimation de pulsions (agressives, destructrices mais aussi souvent d'une tristesse cachée) qui trouvent ainsi un chemin d'expression. Toutefois cet humour ne doit pas devenir une source de résistance, de frein, de masque. Chacun et chacune connait aussi le clown triste...Pour avoir participé à une séance de thérapie par le rire et pour y avoir vu bon nombre de personnes finir en larmes, submergés par une émotion qui était bien cachée derrière leur humour, je reste persuadée que l'humour en thérapie est un travail subtil à utiliser.
- Lors des sorties, J. reste toujours très vigilant en ce qui concerne les autres personnes, prenant soin d’eux à la montée ou à la descente du bus. Lorsque nous sommes allés à la journée sur la prévention en santé mentale, il avait souhaité y participer, ce qui n'a malheureusement pas pu se faire. Après cette journée, j'avais fait un compte-rendu aux patients des différentes interventions, en insistant sur la notion de patients-ressources et de patients-experts, qui commencent pour ces derniers, à recevoir des formations pour intégrer des équipes afin d'aider d'autres patients en soin. Le simple fait pour les patients du groupe AP d'entendre l'existence de ces deux concepts avait déjà été surprenant. Imaginer qu'ils pourraient être considérés d'une autre façon que dans leurs "rôles" de patients leur a semblé difficile à concevoir. Savoir que des patients étaient intervenus dans ces journées, pour témoigner autour de bénévol'intérim (initiative d'Espoir 54)ou d'une intégration dans une pension de famille de l'association d'usagers Ensemble, leur a fait l'effet d'un coup de tonnerre, comme si leur parole à eux aussi, pouvait tout à coup, acquérir une valeur. C'est J. qui avait le plus rebondit et réagit, en trouvant cette initiative très intéressante et valorisante pour les personnes, mais en soulignant "qu'il faut déjà aller bien, ou tout au moins mieux, pour soi-même, avant de penser à se tourner vers les autres". J'ai moi-même souligné qu'il me semblait avoir déjà de bonnes capacités d'empathie. Dans la mesure ou nous travaillons en groupe, il reste difficile de trop valoriser une personne au détriment des autres...Néanmoins, dès que cela est possible, je souligne l’intérêt de ses interventions pour valider ses compétences et ses habiletés sociales et relationnelles.
Voir un petit guide pour bien intégrer un pair aidant:
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