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Une décision personnelle

Une décision personnelle Zoom sur Une décision personnelle



Lors du temps de reprise de la semaine passée dans une séance du groupe AP (Autonomie et projets) , R, d'habitude passif et en attende de solution venue des autres, évoque le fait que sa semaine s'est déroulée comme d’habitude, sans grande modification. A la fin de son temps de parole, il nous annonce, avec le ton désinvolte qui le caractérise comme si peu de choses pouvaient l'émouvoir, qu'il a entrepris des démarches pour la recherche d'un appartement dans une ville le rapprochant de sa s½ur.






N'en croyant pas mes oreilles, je le fais répéter. Il confirme qu'il a entamé par lui-même, sans l'aide de l'assistante sociale et même sans en avoir parlé avec son médecin, il a téléphoné dans une agence de location, appris ce qu'il fallait comme papiers et demandé à sa s½ur d'aller les chercher dans l'administration concernée...Je sais qu'il a des compétences qui vont lui permettre d'être seul dans un appartement sans difficultés, du moins d'un point de vue de la réalisation des taches de la vie quotidienne. Car du point de vue de sa pathologie psychotique, intriquée avec une addiction à la drogue, l'autonomie ne nous semblait guère possible, voir pertinente avec la peur de retrouvailles avec des dealers. Et voilà que, de lui-même, il choisit un lieu de vie relié à sa famille et éloigné des tentations de la ville où il a des habitudes.

Ce patient participe au groupe AP depuis sa création, c'est à dire environ 6 mois. Il s'est progressivement inscrit dans une identité sociale liée au groupe, l'identité d'une personne connaissant l'histoire, aimant lire, ayant de l'humour. Ses capacités et ressources lui ont permis d'être le "monsieur bus", montrant fréquemment à d'autres personnes comment faire pour repérer les arrêts, lire un plan ou un horaire de bus. Il est identifié comme "un bon marcheur, plutôt rapide". Au fil des séances, ces facettes de lui-même ont été mises en évidence et en valeur, lui conférant ainsi une existence sociale particulière, au lieu d'être juste un patient présentant des troubles. Il deviendra aussi, "monsieur histoire-géographie", face à ses compétences plus qu'efficaces dans ces domaines, lors de sorties ou de ballades, ou encore de préparation de sorties sur cartes.

Nous n'avons jamais travaillé directement sur les activités, au sens d'un entrainement des capacités autour des activités de vie quotidienne, si l'on excepte une séance de cuisine assez particulière. A la demande des patients, après avoir joué à reconstituer trois recettes mélangées et discuté longuement autour de l'activité cuisine, nous sommes donc entrés dans une activité cuisine réelle. "Il serait temps qu'on fasse de la vraie cuisine", dira l'un des patients du groupe. Le principe de ce groupe est que la demande doit émaner d'un patient qui propose quelque chose, ce quelque chose est soumis au groupe et si ce projet présente un intérêt pour la majorité, il sera réalisé. L'étonnement des patients était intéressant, lors des premières séances, lorsque je leur disais que tant qu'ils n'auraient pas de demandes ou de projets, c'est moi qui allait leur proposer des choses à faire, généralement des jeux, mais que je ne ferais pas des projets à leur place. Avec de l'humour, je leur rappelle à intervalles réguliers que s'ils veulent faire des choses un peu plus "rigolotes" que les jeux autour de l'autonomie, il faut qu'ils se mobilisent...

Lors de cette séance de cuisine, je me souviens de l'étonnement d'un collègue aide-soignant qui nous voyait contempler à plusieurs, une crêpe dans sa poêle. J'étais en train de demander aux patients quand, à leur avis il allait falloir retourner la crêpe qui commençait à brunir sérieusement. Intimement persuadée du fait que le plus de choses possibles doivent partir du patient, j'avais donc opté pour une méditation crêpière, dont a (heureusement) réchappé cette première crêpe. Le souci de rendre l'autre autonome peut parfois passer par une crêpe brûlée, un mince prix à payer. Et c'est R qui avait fini par se décider à retourner la crêpe, motivé par une promesse d'oralité chocolatée.

Cet épisode m'en remet un autre en mémoire, celui d'un égarement dans la ville. Nous avions décidé d'accompagner un patient pour l'aider à reconnaitre un itinéraire nécessaire à connaitre pour un RV important pour lui. R était, ce jour là notre "monsieur bus" et marchait devant tout le groupe avec ardeur. La stagiaire présente, un peu étonnée du fait que nous ne nous engagions pas dans la bonne rue, m'a demandé s'il fallait corriger cette erreur. Là encore, l'état d'esprit du travail d'autonomie nécessite que nous ne posions pas comme les détenteurs ou détentrices de la bonne marche à suivre. Toutefois, ce jour là, je dois avouer que j'avais tout de même demandé, l'air de rien, le nom de la loooongue rue que nous étions en train de parcourir...

Ces deux vignettes ne doivent pas donner à penser qu'il s'agit de laisser les patients se débrouiller seuls au sens d'un abandon, car une présence reste nécessaire, solide, permettant de nommer le fait que des erreurs sont toujours possibles. Elles ne doivent pas non plus donner à penser qu'il suffit de laisser les personnes faire tout par elles-mêmes une ou deux fois, pour que tout à coup elles deviennent autonomes. En effet, il faut une certaine répétition de cette attitude , un vécu suffisant du fait que quelqu'un nous fasse confiance, pour permettre un ancrage. Il faut aussi remarquer qu'il y a une nette différence entre répéter un exercice de manière cognitive pour l'apprendre (changement de comportement par apprentissage) et être dans une relation qui laisse l'autre exister, faire des essais-erreurs et se débrouiller (changement de vision de soi-même, de positionnement possible dans la confiance en soi). Il ne faut pas non plus oublier que nous ne sommes pas les seuls thérapeutes et que le travail est le fruit d'une équipe et que nous ne savons pas toujours très bien qu'elle est la part réelle de notre action potentielle. Il n’empêche que cette façon de faire porte parfois ses fruits. (ne boudons pas une petite satisfaction narcissique, même illusoire ou infime).

Un petit quelque chose qui change...Comme R qui, tout à coup, prend les choses en main. R que j'invitais régulièrement à aller faire une "manif" devant chez le médecin ou l'assistante sociale, lorsqu'il me disait "je ne sais pas où çà en est...Je ne sais pas trop quoi faire.." et qui trouvait cette idée pour le moins étrange. Cette proposition d'une manifestation imaginaire, avec une pancarte de réclamation, était devenue une sorte de blague rituelle que je lui offrais, dès qu'il se montrait à nouveau passif, désabusé, ou en mode "marmotte" dans le fond de son lit. Il faut garder à l'esprit que le maniement de l'humour ou du paradoxe (réclamer d'être passif!) doit venir avec respect et avec une "bonne" intention. Il ne s'agit en aucun cas de se moquer du patient. L'humour était l'une des modalités relationnelles de R, parfois un peu noir et c'est pour cela que j'ai pu utiliser ce registre avec lui.

Cette décision personnelle, prise sans avoir été poussé, tiré, incité de façon directe, vient témoigner qu'à tout moment des capacités et des ressources peuvent se réveiller chez "nos" patients, à leur rythme et à leur façon.

Parfois, il est bon d'attendre un peu.





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