(Suite de l'article)
Les associations collectives
J’ai mis le titre «jardins collectifs» parce qu’on dirait un ensemble de parcelles de jardins. En haut dans la zone orange, c’est une récolte, très bonne, pour tout le monde. Mais chacun a son propre jardin.
C’est comme nous à l’hôpital, une bonne moisson mais chacun notre coin.
On dirait une carte, des parcelles vues du ciel. Il y a un c½ur en haut.
C’est parce que tout le monde peut avoir sa parcelle à lui.
Oui, mais le c½ur était percé. Çà n’empêche pas que la récolte est bonne.
Et puis c’est chacun chez soi, comme demain quand on va partir.
La moisson sera bonne, c'est la grosse tache orange là-haut.
Illusion groupale...
Un autre dessin semble alors apporter une prime de plaisir et de réparation. Une satisfaction générale suit cette phrase et visiblement la « moisson qui sera bonne » fait plaisir à tout le groupe. D. Anzieu a mis en évidence que «chaque groupe tend à se constituer son enveloppe narcissique » . Nous parlons de ce dessin en avant dernière position et cette idée d'une bonne moisson me semble s'inscrire là comme une réparation de nombreuses choses qui se sont exprimées préalablement. Un sens qui les satisfait car il leur donne le sentiment qu'ils sont capables de faire ensemble et de s'apporter un soutien mutuel, qui va conduire à une réparation narcissique de chacun des membres.
Cette modalité de fonctionnement groupal se prolonge aussi dans ce que D. Anzieu nomme l'illusion groupale. Et chaque semaine, immanquablement, les « semaines 2 » m'annoncent qu'heureusement qu'ils se sont retrouvés ensemble, car ils sont un bon groupe, solidaire et compréhensif. « Dans l'illusion groupale, le groupe prend la place du Moi idéal de chacun des membres » . Cette illusion s'installe plus ou moins rapidement, mais s'installe presque systématiquement. Il serait sans doute fort intéressant de travailler spécifiquement cette dimension de l’illusion groupale pour favoriser une sortie plus consciente de cette illusion, qui ne soit pas juste assujettie à la sortie de l’hôpital. Peut-être pourrait-on alors, limiter les hospitalisations qui sont, parfois, organisées autour du besoin de revenir dans un bon ou un mauvais sein hospitalier.
...dont il faudrait sortir
Ce dessin des jardins et surtout le scénario élaboré par J. qui l’a nommé, mettent en scène le passage du collectif positif à l'individuel, le passage du groupe à l'individu, du « nous » au « je ». Cette distinction semble être importante pour J. et se trouve confirmée ensuite dans les discussions du groupe. Chacun son espace. Est-ce la séparation qui se prépare ? Comment aider un individu à se sentir singulier, différencié, quand il lui est proposé de s'inscrire dans une identité groupale : les « futurs abstinents », les « semaines 1 ou 2 », les « addictés » ? Cette identité groupale qui leur est ainsi offerte est clairement rassurante pour eux, mais comment les aider aussi, à exister comme un individu distingué du groupe et individué ?
C'est ce questionnement qui m'a conduite à proposer la structure de la séance, comme un passage par le groupal et une séparation ensuite, lors de la réalisation de projets personnels, même si certains, parfois, restent dans une identification rassurante à l’autre et font la même chose que l’un ou l’autre des participants. Sans compter l’utilisation de la colle, (souvent entendue dans un « lapsus auditif » comme l’alcool) qui pose toujours la question cruciale de savoir si « cela va tenir ou non » et si la colle est bien « la bonne » pour ce matériau-là. Parfois, lorsque que je regarde les patients, par petits groupes de 2 ou 3, collés l’un à l’autre dans une proximité physique, réalisant le même objet et partageant le même pot de colle, je me dis que nous avons bien du travail pour les aider à se décoller d’une relation adhésive avec un « identique » qui les rassure.
Les écrits de cet article sont la propriété intellectuelle Muriel Launois et n'engagent qu'elle.
Il est paru dans : Clinique et médiation (Regards croisés sur les médiations thérapeutiques)
Ouvrage de groupe, sous la direction de Florence Klein, préface de Pierre Delion, L'Harmattan, Paris, Août 2016
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