Une séance du groupe AP (Autonomie et projet) me conduit à proposer aux patients une écriture collective sur le thème de la maison. Nous sommes 4 personnes, ergothérapeute comprise et je demande aux patients si je peux écrire avec eux. Le fait de participer ou non au temps de jeux d'expression est en effet, également soumis à la discussion groupale et à la décision des patients, dans la mesure où mon intention est de leur permettre progressivement, de reprendre une place de décision dans des situations les concernant au premier chef, à savoir leur thérapie. Une fois passée la surprise de se voir demander leur avis sur des outils de thérapie, sur des orientations ou sur ma participation, la plupart du temps la réponse est positive, dans la mesure où une certaine "obéissance" est à l’œuvre dans le positionnement des personnes en soins.
La notion de choix à exercer est un fondamental de ces séances. Mais cela rend les choses parfois complexes! Progressivement, la notion de vote s'est installée, inscrivant un principe de démocratie qui amène un principe de réalité groupale. Cela pose parfois une difficulté lorsque des patients psychotiques intègrent ce groupe à partir d'une hospitalisation en milieu fermé. L'épisode aigu est alors encore très proche, et la notion d'un choix personnel à exercer est encore plus crucial pour ses patients qui, en hospitalisation sous contrainte, n'ont , momentanément, plus guère la possibilité d'exercer des choix de façon libre, pleine et entière.
4 feuilles et des stylos sont donc le seul matériel nécessaire à cette écriture collective et la consigne est la suivante: "vous commencez un texte sur l'histoire d'une maison, de type "il était un fois une maison" ou tout autre formulation de départ, pour créer une phrase permettant de commencer la description d'une maison. " Des stylos de couleurs différentes sont proposés et chacun, sans que je le propose, se débrouille pour avoir sa couleur, ce qui permettra ensuite, de mieux identifier qui a écrit quoi même si ce n'était pas le but de cette proposition. Cette dernière a, en effet, été acceptée par le groupe, mais avec quelques bougonnements d'un patient qui écrit déjà par lui-même et qui semble un peu dérangé par cet exercice le sortant de son écriture personnelle.
Les textes ont été écrits en 25 à 30 minutes environ, même s'ils ne sont pas très longs, chacun et chacune prenant le temps de lire avant, le texte qui est déjà écrit. Ils sont donc centrés sur un lieu de vie et la phrase initiée par la première personne, donne le ton du texte. Certains textes tirent un peu à hue et à dia, alternant des prises positions parfois opposées et qui ont du mal à co-exister. Mais dans l'ensemble, les textes offrent un minimum de sentiment de cohérence et de continuité. La personne qui commence le texte le termine également, après deux tours d'écriture. C'est également la même personne qui met un titre à la création collective.
Les textes
La maison du bonheur
C'est une maison blanche, avec des rideaux aux fenêtres. Les pièces sont petites et donnent sur la rue, une rue animée, remplie de magasins. Cette maison blanche a deux étages et en haut, on entend moins les bruits de la rue. Il y fait très clair et on entend les bruits agréables de la forêt environnante, qui surplombe une colline sombre remplit d'oiseaux de nuit tels que les hiboux et les chouettes qui font entendre leurs cris effrayants toute la nuit. D'un coté, il y a la ville bruyant et animée et de l'autre côté il y a la nature plus sauvage...Ainsi, on a le choix.
Ce texte a été initié par une patiente qui est un peu étonnée de retrouver l’image d'une maison correspondant étrangement à la sienne, côté rue et côté nature. La difficulté qu'il est possible de rencontrer quand le hasard nous amène de telles coïncidences, est la tentation de la pensée magique ou de l'inquiétante étrangeté. Ce jour là, dans un groupe où la psychose demeure majoritaire, nul ne semble étonné de ce curieux hasard et le texte est plutôt bien vécu. La dernière phrase qui tente de réunir les opposés de la rue et de la nature, est signée par l'ergothérapeute, soucieuse de créer du lien dans ce double face positif et négatif qui, là aussi, ne semble déranger que moi...
L'appartement vert
C'est un appartement ensoleillé avec plein de plantes. La soleil envoie ses rayons sur un petit palmier vert et il fait bien chaud. Nous prenons le déjeuner sur le balcon, vu la douceur. Le déjeuner est composé de corn-flakes, d’œufs au bacon et de jus d'orange. C'est l'été et il fait bon sur ce balcon. Je ferme les yeux pour savourer cet instant où les oiseaux chantent, où les rayons du soleil entrent dans la pièce et illuminent les nombreux de l'appartement situé au 2ème étage. Les gens vivent et dorment au premier étage, où sont présentes des fleurs par dizaine. Ils sont heureux dans cet appartement.
Le titre a été donné par le patient qui a initié le texte, avec beaucoup d'humour, chantonnant "c'est une maison bleue" qu'il transforme en appartement vert. Dans ce texte, il y a unanimité autour du plaisir et du bien-être ressenti dans cet appartement. Il est à noter que le patient qui a commencé le texte, l'a conclu et lui a mis le titre, est le patient qui a finit par trouver son appartement tout seul, comme un grand, sans nous. Il me dira, en souriant, qu'il a finit par trouver son appartement vert...
La forteresse C'est un antique château, abandonné au milieu de nulle part, un ancien château-fort, détruit par les forces Françaises en 1531. J'avais décidé de le visiter un soir de pleine lune, mais c'est alors que...Le mauvais temps se lève et qu'il faut remettre la visite à plus tard. Puis, j'ai entendu un loup hurler au loin. Mauvais signe! Le bruit féroce semblait proche. Alors que le loup, proche et loin, se rapprochait de moi, je retournais dans le château-fort. Je croyais y trouver une protection, mais il y avait un gros trou dans le mur...c'est sûr, le loup allait me suivre. J'ai du courir vite et me réfugier dans un endroit plus peuplé pour ne pas me faire piéger par la créature assoiffée de sang.
Ce texte a été initié par un jeune patient qui écrit des textes et qui reste fasciné par loups garous, vampires et compagnie. Il nous a proposé de nous confronter à une créature assoiffée de sansg, et il est possible de voir les stratégies de chacun, fuir, se planquer, ou compter sur les autres personnes...Il a été plutôt satisfaisant de voir que le patient ayant initié le texte, a accepté de le conclure sans qu'il y ait un bain de sang. Et cette forteresse construite à 4 mains , n'est pas sans faire écho a des sentiments de persécution bien présent pour ce patient.
Le grand nettoyage C'est une maison ouverte et qui n'a pas de vitres aux fenêtres, qui n'a pas de lumière au plafond. Il y a des toiles d’araignées un peu partout. Les araignées sont grosses et velues et se promènent un peu partout durant la journée. Heureusement, les propriétaires aiment les animaux et même, ils collectionnent les mygales. Je décide alors, de la nettoyer et d'en faire un bel endroit. Les araignées sont donc exterminées par dizaines. Les propriétaires décident alors de libérer leurs propres araignées, de virer tous les insectes et de mieux isoler leur maison.
Ce texte a été initié par l’ergothérapeute, autrement dit par moi-même. La description d'une maison non sécure a été rendue possible par ma connaissance du groupe, comme une proposition d'essayer de faire quelque chose de ce sentiment d'insécurité. Et effectivement certains des patients ont proposé une piste de nettoyage et de transformation possible. Ma conclusion est donc allée aussi dans ce sens d'amélioration possible et de meilleure isolation. Cette notion d'une meilleure isolation vient faire écho à la notion de contenance. "La contenance est la capacité d’un objet à recevoir les identifications projectives d’une autre personne, à en faire l’expérience et à s’en servir en tant que communication, à les transformer et à les renvoyer au sujet sous une forme modifiée". (Bronstein 2012). L'idée de ce type d'intervention et de participation de ma part, est de permettre au patient d'introjecter ma façon d'être, dans ce cas la capacité de contenance. C'est se laisser utiliser au sens de DW Winnicott (1975) ou être médium malléable au sens de R.Roussillon (2013). C'est une façon de prêter au groupe mon appareil psychique.
Analyse de la séance
L'utilisation du jeu de la maison avait préalablement été proposé avant cette séance. Plusieurs temps de partage des conceptions de chacun, de petites histoires ou souvenirs avaient donc déjà permis au groupe, de se constituer une base d'informations sur chacun et chacune des participants. En effet, une difficulté existe, c'est l'absence de représentations communes avec les autres personnes. Préparer la séance avec le jeu de la maison a donc permis cette première base commune.
L'utilisation du jeu compatibility qui permet de travailler sur la distinction entre les représentations collectives et le représentations personnelles, montre justement la grande difficulté de ces personnes à posséder un fond commun de représentations. Lors de séances de jeux thérapeutiques, il s'avère que ces patients ont, le plus souvent, des représentations très personnelles et souvent étonnantes, voir étranges. J'ai cessé d'ailleurs, d'utiliser ce jeu lorsqu'un patient psychotique isolé participe à la séance. En effet, ce patient se retrouvait alors dans la situation d'être si différent des autres que cela en devenait trop évident et inquiétant pour le patient concerné. Dans un groupe de patients plus homogènes dans leur pathologie et la façon d'être, ces difficultés n'ont pas été retrouvées. J'ai donc proposé ensuite, un temps de jeu avec compatibilty lors d'une séance avec ce groupe. Les mots à illustrer avec les photos étaient des mots choisis par les patients eux-même, autour du thème de la maison. Les représentations communes existaient, mais dans une moindre proportion que dans d'autres groupes. Par contre, les représentations personnelles différentes pouvaient être ressenties comme acceptables, dans la mesure ou chacun en possédaient, à part à peu près égale.
Après ces deux temps de préparation, la séance d'écriture collective a pu avoir lieu. La difficulté principale, avec des patients psychotiques est l'indistinction du moi et du non moi qui ne leur permet pas de se reconnaitre comme une personne bien distincte, dans une relation claire avec une autre personne. Dans une vison psycho-dynamique, ces patients n'ayant pas de Moi clair et bien distingué, c'est un peu comme si leur inconscient était à ciel ouvert, comme s'ils étaient submergés par leur çà, leurs pulsions. Un travail autour de la création d'un inconscient groupal ne semble donc pas aisé à proposer à de telles personnes. L'écriture collective de cette séance était pour moi, une sorte de test, afin de voir s'il était possible, dans un groupe de personnes psychotiques, de pouvoir proposer un tel type de travail. L'écriture de ces textes m'a permis de constater qu'il était malgré tout possible de tenter de partager ensemble, des expériences communes, des façons de voir les choses, des possibilités de "gérer" les éléments dangereux, négatifs.
La lecture des textes s'est révélé un moment fort, plein d'humour et de complicité. Même le patient marqué par des sentiments de persécution a bien ri lorsque nous avons évoqué notre difficulté à savoir quoi dire et quoi écrire pour se tirer du danger. Ce travail collectif de transformation d'éléments dangereux, d'éléments vécus comme négatifs, permet à l'individu de pouvoir s'appuyer sur le "nous" groupal pour pouvoir intégrer un quelque chose autour des représentations communes. Ce travail de "gestion" par le groupe d'éléments négatifs, dangereux, persécutifs donne à chaque personne, une sorte de "modèle" de stratégie possible. Ce type de travail groupal est assez aisé avec des patients dépressifs, névrosés ou addictés et permet la constitution d'un inconscient groupal. Ce sont surtout R.Kaës et D.Anzieu qui ont mis en évidence de telles capacités groupale. (voir squiggles collectifs).
C'est donc la notion de la fonction de contenance de l'ergothérapeute mais aussi groupale qui peut trouver ici sa place pour nous permettre d'analyser ce qui s'est joué durant cette séance. En l’occurrence dans ce cas il s'agit de la contenance comme capacité de transformation des éléments Béta (éléments psychiques bruts non élaborés de type destructeurs) en éléments Alpha (éléments psychiques élaborés par la capacité de rêverie et d'imagination). Pour l'enfant, c'est la mère qui va assurer cette désintoxication des éléments Bétas, en les supportant et en les nommant. C'est Bion qui a principalement théorisé cela, prolongeant les travaux de M.Klein. La transformation des ces éléments destructeurs (araignées, loup ou encore nature sauvage) a pu être réalisée par l'écriture. La mise en mots est en effet l'aboutissement de la fonction de symbolisation.
Article cité : Bronstein, C. (2012). "Bion, la rêverie, la contenance et le rôle de la barrière de contact". Revue française de psychanalyse.
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