Une silhouette
S dessine à grands traits rapides et sans réfléchir, la structure centrale du dessin, avec quelques éléments autour. Il contemple les traits et y découvre un cygne, s'appuyant sur mon regard pour confirmer que je le vois bien aussi. Nous nous mettons d'accord sur les zones qui, effectivement semblent donner forme à cet oiseau. La confusion règne encore entre dedans et dehors. Il nomme les éléments qu'il souhaite réaliser et nous travaillons à structurer le dessin ensemble.
Il nomme les éléments qu'il souhaite réaliser. Durant toute cette séance où nous tentons d'organiser la structure de fond, S.sortira souvent, bougeant beaucoup, en grande difficulté à se poser un peu. le travail de lien entre la forme et les mots permet de donner du sens et de stabiliser la pensée, ce qui finira par l'aider à se poser sur une chaise en fin de séance. Il est intéressant de pour lui, noter qu'il peut se calmer et se poser. Il le dira d'ailleurs lui-même. "J'ai pu me détendre". Il est important qu'il puisse intégrer de tels éléments pour les rechercher seul ensuite.
Nous achevons la séance, par le travail de la zone en bas à droite du dessin, élément dont il dira que c'est une feuille. Il me demande d'y mettre du vert, des nervures et reste plutôt à distance, observateur, tandis que le lui fais remarquer que c'est tout de même moi qui en fait le plus...ce qui le fait sourire. L'illusion d'omnipotence sur l'autre jamais très loin.
Une tête
A la séance suivante, Je lui demande quel secteur il souhaite que nous travaillions ce jour." C'est la tête", me dit-il. Il choisit les couleurs et me charge de "solidifier" la tête du cygne. Tout un travail se noue dans cette zone Il me donne les indications de couleur, de formes et de zones. Il me demande de mettre une auréole (dessin 1 ci-dessous) au-dessus de la tête du cygne et cette auréole le fait penser à un ange gardien. Nous parlons donc des anges gardiens. Nous évoquons le fait que, pour la plupart des gens croyants, ce sont des figures de protection. Je souligne que pour moi c'est imaginaire, lui insiste sur le fait que c'est tout à fait réel, comme Belzébuth. Il me demande d'ailleurs de transformer, à gauche et à droite du cou du cygne, des formes qu'il nommait des larmes, pour en faire des c½urs. (dessin 2, ci-dessous).
Lui, de son côté, retravaille une autre zone que j'avais démarrée la fois précédente. Je note qu'il respecte les éléments graphiques que j'avais commencé, à sa demande, en les respectant. Contrairement aux premières séances de dessin sur la cruche, durant lequel il pouvait recouvrir tout ce que j'avais pu dessiner, sans jamais se demander où est l'autre et s'il a une place. Il travaille à côté de la feuille verte, en rouge et bleu. il me demandera ensuite, ce que cela m'évoque et lorsque je parlerais de fougères qui se déroulent, pour donner du sens, il est tout à fait d'accord. Même si les couleurs ne sont pas tout à fait réalistes, ce dont il ne se préoccupe pas du tout d'ailleurs. Il y a toujours des hésitations entre dedans et dehors lorsqu’il colorie. (dessin 3, ci-dessous).
Lorsque la tête est solide et auréolée, il me demande alors de tracer, à l'intérieur de la gorge du cygne, une échelle permettant de monter et de descendre vers la lune, vers le ciel..(dessin 4,ci-dessous). Il me parle de l'échelle de Job, une histoire de la bible et des anges qui parcourent cette échelle. Comme il pense communiquer directement avec Dieu, nous avons visiblement là, approché son délire. Il parle même d’aller « chercher là-haut des choses », d’éclairer et d’illuminer. Tout un programme…Il est à remarquer que cet élément lié au délire, trouve sa place à l'extérieur de la forme centrale, perturbant pour le moins, la logique rationnelle...Mon questionnement s'est alors articulé sur la pertinence de l'accompagner ainsi dans des éléments signant son délire.
Je me suis donc tournée vers René Roussillon pour m'appuyer sur la notion de médium malléable et sur le fait que cette malléabilité nécessite pour lui de s’appliquer au thérapeute. Il nous dit en effet, que pour lui, le thérapeute devrait être dans « un accompagnement (en) s’ajustant en permanence au besoin du développement de l’illusion » et ainsi « il doit rendre une partie de lui-même plastique et transformable en fonction du processus transférentiel auquel il est soumis ». Je reconnais facilement cette capacité de malléabilité dans la situation de dessin avec S. et me voilà donc rassurée…
|
|