Après le dessin du cygne, S fait une pause     durant quelques séances. Il fera à nouveau une demande pour dessiner     ensemble. Je l’invite à patienter un peu, occupée avec d’autres patients     et de ce fait, il dessine seul la structure de base du dessin, hors   de   ma présence à ses côtés. Il est désormais capable « d’être seul en     présence des autres », une notion chère à D. Winnicott. 
                              
                              
Il dessine un   visage de face, avec   les yeux et des ondulations en haut de la tête dont   il dit que c’est   le cerveau. Durant quelques séances, nous travaillons   ce dessin dont   la caractéristique principale sera l’oscillation autour   de l’identité. Quelque chose qui prend corps dans le dessin, mais pas seulement. 
                                      
                                            
                                            
                                                                  
Prendre corps
                                              La question du corps ne s'inscrit pas que dans une trace dessinée. Je propose des séances de "mouvements" , d'une durée de 40 mn. Ces séances proposent des exercices de gymnastique douce, en groupe. Des auto-massages et des mouvements lents et doux, alternant travail de bout et assis sur le support solide d'une chaise, invitent à une reprise en compte de son corps propre, dans sa sensorialité et sa solidité. S.y participe régulièrement et apprécie ce travail. Il a pu, progressivement s'inscrire dans cet atelier, proposé en auto-prescription et y devenir de plus en plus régulier dans sa présence. Le travail de conscience de soi grâce à une meilleure conscience du corps est fondamental, dans la psychose. Il ne s'agit pas uniquement de l'amélioration du schéma corporel, mais d'un retour au corps solide et incarné. 
                                        
                                        Même en dehors de ces séance du groupe "mouvements", tout un jeu de position corporelle s’inscrit dans les séances d'ergothérapie. S. choisit généralement toujours la même table ronde pour installer le matériel, à sa façon. Je le laisse toujours s’installer en premier et je me positionne ensuite. La proximité corporelle était très dangereuse pour S. au départ, qui avait même refusées des séances individuelles avec l'une de mes collègues. L'utilisation commune des boites de craies grasses a donné lieu, elle aussi, à des mouvements des boites sur la table et à des échanges de craies entre nous. Tout un ballet de mouvements, de positionnement des corps et de la feuille qui pouvait, elle aussi, bouger et changer de sens selon les zones à travailler. 
                      
                      Au fil des séances, un rituel s'est donc installé, rassurant. Progressivement, J’ai pu alterner entre des temps de présence et d’absence, au sens où j'allais m’occuper d’autres personnes, et ceci de plus en plus souvent. Lui-même de son côté, venait parfois me dire qu’il préférait aller se balader un peu dehors plutôt que de dessiner, s’autorisant une séparation devenue moins dangereuse. Je suis là quand il revient, comme il vient souvent le vérifier après ses sorties. Tout un jeu de présence et d'absence qui inscrit la permanence de l'objet. (voir expériences identitaires) 
                                                                 
          
          Retrouver un visage
                S dessine un visage de face, avec les   yeux et des ondulations en haut de la tête dont il dit que c’est le   cerveau. Il me demande de m’occuper de   cela, en   vert, non rouge, puis bleu. Moi même, au bout d'un moment, je finis   par ressentir un grand sentiment de flou en ce qui concerne le dedans et   le dehors, et je me concentre sur la réalisation des bulles bleues de   façon un peu obsessionnelle, pour qu'au moins quelque chose tienne un   peu. Il relie   ces bulles bleues à   la forme du cerveau. Le dedans et le dehors sont confondus. Il   réalise   pendant ce temps là le cou et le bas du visage. Il  revient  travailler sur   la   moitié gauche du cerveau, en orange, puis me demande de faire le     centre en rouge.  Je tente de dire que toutes ces formes ondulées, frisées, de couleurs différentes, m'évoquent des cheveux, mais non, dit-il "c’est le cerveau"…Finalement il me   demande de refaire une sorte de chevelure rouge et frisée, au   dessus du cerveau. « Mais pas partout, dégagé sur les côtés, comme moi   ». La projection de soi est donc bien présente dans ce dessin et le cerveau a retrouvé sa place, quelque part, sous les cheveux. 
      
      Pour les yeux, il me demande d'y ajouter du vert. Lui les avait faits au préalable en rouge, comme tout le dessin de base. Il me demande ensuite de gérer les oreilles de ce personnage, en vert, tandis qu'il réalise un chapeau. Pendant que j'achève les oreilles, avec des nuances comme il l'a précisé, il met en forme la bouche du personnage qui ressemble à un bec. Quand je le lui demande s'il s'agit effectivement d'un bec, il me dit que non, "c’est quelqu’un d’en haut…"Je m'interroge et quand je demande de qui il s'agit, c’est Dieu bien sur, qu’il ne nomme pas, m’indiquant le ciel avec un index complice. Ce personnage sera tour à tour Dieu ou le diable, avec ses yeux rouges et verts, un lutin   facétieux ou lui-même, selon les séances. Une fois le dessin du visage achevé, il proposera alors, de s'occuper du bas du dessin. 
      
                                                      
                                                                  
			
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