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Expériences motrices et gestuelles

Expériences motrices et gestuelles Zoom sur Expériences motrices et gestuelles "Ce que je fais m'apprend ce que je cherche"
P.Klee


Les expériences gestuelles et motrices ne sont pas, dans la réalité, séparées des expériences perceptivo-sensorielles. Elles sont ici distinguées de manière artificielle. En fait l'interaction entre les deux peut se concevoir comme une boucle circulaire. Varella en propose une description : « Les activités motrices ont des conséquences sensorielles et les activités sensorielles ont des conséquences motrices. Il y a une interdépendance de ces deux processus: perception et action». (Autonomie et connaissance, 1989)

Chaque jeu va proposer le vécu d’une expérience particulière, en fonction des gestes qui vont être nécessaires. Les jeux vont permettre de bouger plus ou moins, de se mettre en scène, de mouvoir son pion, de mettre en place des éléments divers, de dessiner, de modeler, etc…Autant de verbes et d’action qui vont renouer avec des pulsions intérieures du sujet, d’une façon détournée et hors du champ de contrôle de la rationalité. L'analyse d'un jeu, sur le plan moteur, en fonctionnel, va nous mener sur des pistes musculaires, articulaires, d'installation, d'amplitudes, etc...Autant de mots clefs fonctionnels et cognitifs, qui ne sont pas les priorités dans un travail en psychiatrie. Il va donc nous falloir nous pencher sur la dimension motrice du jeu, mais en termes de significations potentielles de ces mouvements impliqués par l’acte de jouer. Ainsi, nous allons plus nous intéresser à la nature des mouvements sur un plan signifiant.

Il faudra donc entendre mouvements non pas uniquement en termes corporels mais aussi en termes psychiques. Il s'agit donc de tenter de découvrir ce que chaque geste va pouvoir permettre à la personne de vivre comme expérience signifiante et mobilisatrice de changements, sur un plan symbolique et métaphorique. Toutes les découvertes potentielles à travers les différents gestes nécessaires au jeu vont venir éveiller des vécus anciens ou inconnus. C’est l’émergence de ces vécus et leur transformation potentielle qui est intéressante à analyser. Globalement, nous pouvons constater que les mouvements proposés dans les jeux, qu'il s'agisse d'agir sur du matériel (pions, plateau, matières,etc...) ou sur une matière concrète (dans des jeux créatifs), vont s'organiser autour de deux grands pôles, un pôle destructif et un pôle constructif.


Pôle destructif

Les pulsions d'agressivité sont inhérentes à l'être humain, pas uniquement malade. Généralement, nous apprenons à utiliser cette énergie dans le sens d’un passage à l’acte et nous apprenons à faire avec d’une façon sublimée. Notre surmoi est assez efficace pour nous contraindre à ne pas mordre notre voisin s'il nous dérange... Cette dimension est présente en psychiatrie et même encore plus souvent un potentiel de destructivité de soi ou d’autrui, lié à la pulsion de mort. Il est donc important d'avoir conscience de ce qu'un jeu va permettre d’utiliser en termes de potentiel d'agressivité.

Lors du travail de la matière, comme par exemple la peinture en grand format, projetée, en particulier en position debout, ou dans du pétrissage d’argile, tout le corps va être engagé dans des mouvements amples, ce qui va permettre de libérer plus facilement une énergie pulsionnelle. Ce type de mouvements va permettre à la personne d'utiliser des pulsions d'agressivité, donc de les ressentir, de les défouler, de les décharger. Ces pulsions, si elles portent atteintes à l’intégrité de la matière proposée, risquent alors d’éveiller la pulsion de destructivité la plus archaïque.

En ce qui concerne les jeux, les mouvements agressifs sont peu sollicités et les mouvements destructifs encore moins, sauf dans des jeux dits de vertige ou dans des jeux nécessitant des mouvements corporels très intenses. Dans des jeux moteurs purs, sportifs, corporels, une décharge motrice et pulsionnelle est possible et va soulager la personne en termes de quantité d'énergie. De telles activités, avec des excitations trop intenses, peuvent déborder les capacités de pare-excitation de certaines personnes. La dimension pulsionnelle n’est donc pas à solliciter de façon importante, dans un atelier de jeu à visée thérapeutique, car ces énergies demeurent difficiles à canaliser dans une dimension ludique, surtout groupale.

Les jeux thérapeutiques  ne vont pas proposer uniquement une décharge pulsionnelle en termes de quantité, mais une transformation possible en termes de qualité. Plusieurs pistes:

  • Une canalisation des pulsions d’agressivité, par exemple sous forme d'autorisation à voler quelque chose à un autre participant (voir jeu de pierres) ou d'exclure un pion du jeu (Cette possibilité mérite d'ailleurs, que l'on y réfléchisse à deux fois avant d'utiliser des jeux de ce type dans le cadre d'une thérapie) ou encore d'utiliser l'énergie pulsionnelle dans des dessins en craies grasses, nécessitant une certaine énergie. (Voir Des squiggles )
  • Une sublimation des pulsions d'agressivité, par exemple sous la forme de jeux d'expression, permettant de raconter une histoire à partir d'images, incluant des images dites négatives ou destructives (voir speech) ou des jeux  dits de "gestion" des émotions permettant d'échanger autour d'émotions dites négatives comme la colère. (Voir Volcano )

Quelques question possibles:
  • Quels est la nature et l'étendue de l'agressivité directe et symbolique proposées par le jeu? Importante en durée, en quantité?
  • Quelles caractéristiques des mouvements, des actions va permettre l'expression de l'agressivité? par exemple par des gestes vigoureux, amples ou rapides, ou par des actions sur la matière nécessitant d’utiliser force, affirmation intensité, etc..
  • Quel est le potentiel de sublimation de l'activité? Est-il possible d'accéder à la réalisation d'un objet témoin de la transformation de ces pulsions?


Pôle constructif

L'aspect constructif des gestes proposés dans un jeu sont très nombreux. Le jeu va permettre, par exemple, de réunir des morceaux épars, de construire quelque chose (type petit objet symboliques ou création groupale), de rassembler des morceaux de phrase ou de mots, (voir Troquons) d’apprendre une nouvelle technique. Le plus souvent , il s'agit d'aller de l'avant, de passer par différentes étapes, de gagner différents éléments, d'avoir plus (rarement moins) ou de se construire un coin, une maison (voir jeu de la maison), un personnage, etc...Le jeu permet de contenir et d’organiser, sur le plan gestuel, et ensuite sur le plan psychique.

La plupart du temps, les gestes proposés vont être plutôt de type introvertis (restreints en amplitude, réalisés sans force ni résistance), à l’inverse des mouvements dits extravertis, sollicitant plus des mouvements amples. Ce type de jeu (sur table et plateau) nécessite peu d’efforts physiques. Il est important aussi qu’ils ne sollicitent pas trop le sentiment d’échec, avec d’importantes notions d’erreurs ou de défauts mis en évidence, pour demeurer dans une dimension constructive, cette fois au sens figuré et positif.


Quelques questions:
  • Quelles sont les possibilités offertes à la personne pour être en contrôle de la situation d'apprentissage? Ou durant la réalisation?
  • Dans quelle mesure l'implication requiert la dépendance à une tierce personne pour l'apprentissage ou la performance?
  • Est-ce que le procédé, les équipements, le matériel procurent du contrôle par eux-mêmes ou nécessitent de se contenir soi-même?
  • Est-ce que la matière ou la technique favorisent l'existence de frustrations ou de limites? Quelle est la nature et l'étendue de ces limites?
  • Est-il possible de corriger des erreurs éventuelles?



Mouvements permettant le contrôle

Un autre type de mouvement est important à prendre en compte c’est le type qui permet le contrôle. Généralement les gestes sont simples et vont permettre aux personnes d'expérimenter leurs capacités d'action sur la réalité. Il sera question de gestes présentant une organisation, une chronologie, une certaine répétition générant un sentiment de sécurité ou permettant la création d'automatismes. Ces gestes peuvent aussi être des mouvements rythmiques qui vont permettre d'expérimenter la notion de structure interne, de régularité et d'organisation psychique. C'est ce sentiment de contrôle possible d'un quelque chose qui va permettre aussi suffisamment de sécurité pour pouvoir jouer le jeu. Il est donc important que les patients aient des possibilités de contrôle durant le temps de jeu.



Les écrits de cet article sont la propriété intellectuelle de Muriel Launois et n'engagent qu'elle.
Il est possible d'utiliser tout ou partie des élaborations proposées, en citant vos sources.
Merci d'avance d'en respecter l'esprit.

(article écrits en 2016 pour préparer les stages ANFE ayant eu lieu de 2017 à 2021)






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