Grégoire Delacourt
"L' écrivain de famille"
Ed livre de poche
A sept ans, j 'écrivis des rimes.
Maman
T'es pas du Zan
Papa
Tu fais des grands pas.
Mamie
T'es douce comme de la mie.
Papy
Tout le monde fait pipi.
A sept ans, je connus mon premier succès littéraire. La maman en question me serra dans ses bras. Le papa, la mamie et le papy applaudirent.
Les compliments fusèrent. Les verres trinquèrent. Des mots importants furent prononcés. Un don. Il le tient de son grand-père Pierre, celui qui a écrit cette si jolie lettre de Mauthausen, en 1941. Un poète. Un Rimbaud de sept ans.
Il y eut une larme aussi, sur la joue de mon père ; lente et lourde. Du mercure.
Les regards changèrent. Les sourires s'allongèrent. En quatre rimes pauvres, j'étais devenu l'écrivain de la famille.
...
Cet été, les cousins puceaux s'initient à la voile au large de Beg et rentrent assommés à l' heure du goûter, ils rentrent et se moquent du grand écrivain.
Je passe les journées à la grande table en bois de la cuisine. Je noircis un cahier à spirale de mon écriture régulière, serrée, ces mêmes petites pattes de mouches, disait ma mère, que celle du grand père de Mauthausen. Je remplis des premières pages. Je raye, rature, je rage. Une cloque blesse mon index.
Les mots étaient là pourtant. Tout était là. Les adjectifs, les adverbes, les propositions subordonnées, les pronoms relatifs, la conjugaison du verbe être au plus que parfait et pourtant j'étais capable d'écrire. Ils m 'emmerdaient, ils me sortaient par les yeux les mots. Quoi ? J'avais écrit un poème minable et j'avais été catalogué écrivain de la famille. Et puis quoi encore. Claire, un jour, la maumariée de la famille ? Les rêves des autres nous damnent. Aux chiottes !
…
Papa, est ce qu'on choisit sa vie ou est-ce que c'est elle qui choisit ?
Il y eu un silence. Il dit que c'est la vie qui choisit. C'est contre ça que tu dois te battre. Avoir le dernier mot. … Il demande aussi si tu peux lui envoyer ton roman.
…
Il y a bien un type qui a écrit ça, qui a été payé pour ça. Sur l'affiche, il y a une voiture orange. C'est une Renault 12 sur fond vert qu'on devine être le vert de la pelouse d'un terrain de football. La porte du conducteur est entrouverte. Un jeune homme à l'épaisse chevelure que le vent ramène sur le front tient la portière de la main gauche. Sa main droite est posée à plat sur le toit de la voiture. Il porte un maillot de football jaune avec le numéro 12 écrit en noir. Son seul pied visible, le droit, est chaussé d'une chaussure noire à crampons ; on peut donc supposer qu'il ne va conduire. Il y a un titre en haut de l'affiche. La Renault 12 et Michel Platini présentent le Mundial; J'étais dans le bus s'était le déclic ; rien n'est jamais gratuit. Quelqu'un avait été payé pour écrire ça ; huit mots, un chiffre. Je me sentais capable d'une même prouesse, moi l'auteur à sept ans de quatre rimes extraordinaires et d'un haïku sur la transsubstantiation. Capable d'écrire la Renault 12 et Michel Platini présentent le Mundial. J'allais écrire pour la publicité.
Jeanne fit ses premiers pas dans cette maison et Mathilde y écrivit ses premières rimes :
Papa c'est ta fête
C'est super chouette
tu es le plus beau
Et quand tu souris je fais oh
Je vous jure que j'ai mis tout mon c½ur à ne point m'émerveiller devant les consonances péteuses. Je retins tout battement de cil, tout mouvement de lèvres, restai parfaitement immobile ; il s'agissait de sauver ma fille des enfers.
Tu n'aimes pas ma poésie papa ?
Mignon. Tu reprends un peu de lait ma chérie ?