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Des squiggles
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Squiggle groupal
Le choix peau
(Suite de l'article)
Les associations collectives
Alors là moi je vois un bateau, un voilier.
Hein ? Mais si, on voit la voile là, triangulaire. La voile jaune.
Et la coque orange. Il nous amène où? Bof..je vois pas çà moi.
Le titre, c'est quoi ? Le chapeau de clown.
Tu as envie de faire la fête ou quoi ?
C'est un chapeau de fête, un chapeau pointu, un chapeau de clown.
Non, c'est le choix peau d'Harry poter, celui qui dit ce que l'on va devenir...
Oui, ben ça c'est la vraie question en fait
Un objet ou un sujet?
Le dernier dessin s’articule autour d’un objet, un chapeau, dont les patients se demandent s’il est celui d’un clown ou d’un magicien, oscillant entre monde réel et imaginaire. Le choix-peau d’Harry Potter fait un bref passage, conduisant à une interrogation sur leur devenir personnel et leurs choix de vie. Nous nous dirigeons doucement vers
la fin de ce temps groupal
.
Dans certains groupes, une histoire globale reliant tous les dessins, émerge, comme pour créer un dernier lien groupal et signifiant. Entre les deux séances, j'essaie d'écrire les histoires qui on été ainsi crées, afin de les re-donner aux participants du groupe, comme témoignage de leurs associations d'idées et de leurs
capacités collectives de représentations
. Les textes leur sont alors donnés et sont vécus comme des témoignages précieux qu'ils conservent
"comme souvenirs pour ne pas recommencer les bêtises".
Les dessins collectifs demeureront affichés lors des 2 séances et seront ensuite décrochés. Ils restent alors rangés dans l’atelier, même si parfois certains participants voudraient s’en emparer
« pour décorer »
chez eux. Je rappelle la différence entre une décoration et un travail d’expression issu des profondeurs psychiques de l’inconscient groupal et dont il faut respecter la confidentialité. Je ne me suis pas encore résolue à annoncer la destruction nécessaire, un jour ou l’autre, de ces productions et j’en reste donc la dépositaire, sur le plan réel et fantasmatique.
Pour leur permettre une distance, j’invite aussi les patients à déterminer le dessin qui leur semble faire le plus écho avec eux-mêmes et à mettre quelques mots sur ce choix personnel. Du « nous » au « je ».
Une pause est alors proposée entre les 2 séquences qui structurent les séances (création groupale et réalisation personnelle). Le temps des projets personnels, centrés autour de la notion d’objet, peut alors s’installer. Lorsque j’ai commencé à travailler, j'ai été tentée de ne pas proposer du tout de réalisation concrète d'objet. Je m'obstine d'ailleurs à ne jamais nommer un objet sans le relier à un sens potentiel, dans le dossier du patient pour ne pas tourner l'attention des autres thérapeutes sur le fameux :
« Il a fait quoi ? »
. En effet, il est alors très difficile de sortir de cette
tentation d'identifier le patient à son objet
. Mais la demande de l'institution et surtout celle des patients a été très claire. L'objet concret est important.
Certains patients en parlent, lorsqu'ils reviennent en hospitalisation, n’ayant parfois retenu comme souvenir que cet objet concret, utilisé pour rappeler
« des bons et des mauvais souvenirs »
. Cette dimension de l’objet nous conduit à interroger la dimension du faire et surtout du sens que ce faire peut avoir. Comment aider les personnes à sortir de la fascination du faire pour faire ? Du faire pour
« consommer »
; du faire pour combler le vide et remplacer, illusion fréquente, le plaisir de l'alcool par un autre plaisir, comme si une activité pouvait venir se glisser magiquement à la place du produit. Comment
donner du sens
à un faire parfois fébrile, souvent stéréotypé ?
Un objet magique ou qui a du sens?
Peut-être faut-il déjà s’interroger sur les sens que cela a pour les patients. Souvent, les patients éprouvent le besoin de faire pour réparer leur position de parents ou de conjoints(es) avec force cadeaux de toutes sortes, ou de se réparer eux-mêmes avec force objets esthétiques et valorisants. L’objet, du côté du patient, doit être esthétique et réussi. Il vient alors témoigner de la valeur de la personne et de la valeur qu’elle accorde à la personne qui va recevoir ce cadeau. Valoriser prend parfois des allures de mot magique auquel se raccrocher en première intention, mais cette illusion ne suffira pas à une véritable thérapie qui devrait aussi permettre d’intégrer en soi les parties vécues comme moins bonnes ou carrément mauvaises.
Se pose alors
le problème du modèle
. Avec modèle, il y a une recherche de réussite pour « coller à ce beau modèle », comme par exemple ceux trouvés dans des livres. Sans modèle, il n'y a pas de représentation mentale possible et je vois les patients chercher tout autour d'eux, quelque chose à quoi se raccrocher. Progressivement, des objets laissés par des patients se sont révélé les modèles les plus efficaces. Ni trop parfaits comme dans les livres, ni trop complexes ou inaccessibles, témoins que d’autres, avant eux, ont pu « faire quelque chose de leurs mains ».
La contenance de certains objets
ou de certaines techniques s'est affirmée nécessaire et je ne compte plus le nombre de cadres qui ont émergé de cet atelier. Des cadres trop mous qu'il faut solidifier, des cadres bancals qui réclament des mesures et des règles, des cadres trop fins, des cadres découpés dans le mauvais sens, des incompréhensions entre dedans et dehors, des confusions de mesure. Toutes les difficultés de réalisation de ces cadres débordent largement les « simples » troubles des fonctions exécutives et m'ont invitée à y trouver du sens, pour savoir quel mot poser pour aider le patient à entendre où se situe son « défaut » éventuel de cadre. «
Mince, je l’ai encore découpé là où ça devait tenir
».
La réalisation de sa propre liste de plaisirs, revient aussi souvent. Cette
liste de plaisir
est une démarche comportementale, au même titre que bon nombre des stratégies proposées lors de l’hospitalisation. Elle peut s’inscrire dans une démarche illusoire de remplacement d’un plaisir par un autre, confondant ainsi plaisir et compulsion. Mais elle peut aussi devenir l’occasion de parler du plaisir et de lui donner une place.
La réalisation de
"petits objets symboliques"
propose plusieurs pistes : capteurs de rêves aux pouvoirs attendus et qui résonnent avec la pensée magique, alphabet des Vikings qui offre une balade dans le sens imaginaire des runes, boîtes de tabac customisées qui deviennent des contenants pour l’argent qui ne sera pas bu, l’origami de la cigale (sans la fourmi), des fleurs qui poussent dans les feuilles de papier de cigarettes, des livres pliés transgressant joyeusement l’aspect idéalisé et sacralisé de la culture, et des c½urs, des c½urs, des c½urs… Ils sont le témoignage de trouvailles, tant matérielles que techniques, que des patients amènent ou que j’apporte. Mais ces trouvailles ne demeurent dans l’atelier que si les patients y reconnaissent quelque chose de bon pour eux et s’ils se les approprient. Les techniques ou les objets insensés, finissent toujours par disparaître.
Un objet pour se réparer
L’intégration de la
dimension du prendre soin
« suppose que chacun trouve en l’autre et dans le groupe une relation équivalente à celle de la mère suffisamment bonne »
. L’expérience de créativité groupale et la présence thérapeutique peuvent proposer des expériences de ce type. Elles permettent ensuite aux patients de prendre soin de leur objet, porté précieusement, protégé, investi affectivement quel que soit son destin, en attendant de pouvoir prendre soin d’eux-mêmes. Et leur fierté de repartir avec un objet fini en dit plus long pour eux, que tout ce qu’ils ont pu dire en séance.
Le départ de la salle est toujours un moment particulier, fait de lenteur, de remerciements, de regards et de poignées de mains. Des départs à plusieurs pour ceux qui attendent toujours les autres, des départs solitaires pour d’autres et toujours le petit dernier qui traîne encore un peu pour discuter ou finir son objet. Car finir cet objet est d’une importance cruciale pour tous, comme témoignage d’un objet sans trou, sans faille, sans cicatrices ou tâches, un objet d’illusion d’une complétude de soi.
Les écrits de cet article sont la propriété intellectuelle Muriel Launois
et n'engagent qu'elle.
Il est paru dans :
Clinique et médiation (Regards croisés sur les médiations thérapeutiques)
Ouvrage de groupe, sous la direction de Florence Klein, préface de Pierre Delion, L'Harmattan, Paris, Août 2016
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