Toutes ces qualités ne s’explorent que par l’utilisation de la pâte à modeler. Plus elle est utilisée, plus elle est capable de représenter l’activité représentative, de la matérialiser et de l’incarner.
Médiums Malléables partiels
L’exemple de la pâte à modeler permet d’explorer les propriétés de l’activité de symbolisation, qui n’est cependant pas d’emblée accessible et suppose un certain type de développement psychique et d’organisation pulsionnelle. Il existe ainsi des formes moins complexes du travail de symbolisation, plus adaptés au besoin de l’époque, et qui reposent sur des Médiums Malléables partiels, c’est-à-dire ne présentant que certaines des propriétés de l’exemple princeps.
Les médiations utilisées en clinique possèdent ainsi certaines des propriétés Médiums Malléables, et ce en fonction des besoins des sujets à qui elles sont proposées et du type de propriété de la fonction symbolisante à mettre au travail. Par exemple, on pourra proposer à un sujet ayant fait des expériences de destruction de sa fonction symbolisante à répétition, un médium malléable non destructible. À d’autres sujets, on pourra proposer d’explorer la terre glaise, c’est-à-dire un objet qui conserve sa forme, pour approcher la question de la constance de l’objet.
L’environnement Médium Malléable
Les propriétés du Médium Malléable énoncées précédemment sont également les qualités de l’environnement Médium Malléable, et notamment de l’environnement humain, l’objet autre-sujet référentiel, qui doit donc présenter une large partie des propriétés et qualités abordées. Ainsi, l’objet et le clinicien doivent être suffisamment disponible, atteignable et saisissable, prévisible car suffisamment constant, transformable, adaptable, sensible et réceptif et suffisamment non destructible par ce que le sujet lui communique.
Cependant, il existe également des qualités et propriétés essentielles au développement de la fonction symbolisante, qu’on ne peut attendre que d’un Médium Malléable humain. Ce sont des qualités spécifiques aux contacts humains, en l’occurrence l’affect et son partage, qui permettent l’introjection et l’intégration de l’expérience. Ainsi, par sa présence affective cohérente avec l’adresse du sujet, l’objet ou le clinicien va pouvoir exprimer sa prévisibilité et sa constance. De plus, il est important que ces affects soient partagés, notamment le plaisir, car ils témoignent de la sensibilité et de la réceptivité de l’objet.
Un objet non-Médium Malléable aura un caractère désorganisateur pour l’activité de symbolisation, car l’incohérence et l’imprévisibilité des réactions de l’objet provoque un climat d’impuissance et d’insécurité inhibant les capacités d’intégration du sujet. Cela peut par exemple être le cas pour un enfant dont la mère lui manifeste tantôt une surprotection, tantôt de l’indifférence.
Les propriétés indispensables du Médium Malléable qui seraient absentes vont se traduire par la formation d’imago de l’objet pathologique, accompagnés de souffrances narcissiques identitaires. Roussillon explique ainsi qu’il serait alors judicieux de prendre en compte les ratés de la fonction symbolisante et de ces imagos, comme points de départ de la psychopathologie.
L’utilisation de médiations « Médium Malléable » dans la pratique clinique
La matière première est extrêmement complexe : elle est inconsciente, non immédiatement intégrable, multi-sensori-motrice, multi-perceptive, multi-pulsionnelle et elle mêle des facteurs objectifs (ceux de l’environnement) et subjectifs (ceux du sujet). Sans un travail de catégorisation, cette matière première reste difficilement intégrable, ce qui vaut tout particulièrement pour les expériences précoces et les expériences traumatiques.
La question centrale est alors celle du traitement de cette matière première énigmatique. Roussillon suppose que la psychée va tenter d’externaliser et de transférer cette matière dans une matière perceptive, plus facile à travailler. La complexité initiale va ainsi être décondensée, diffractée sur différents objets qui vont permettre de traiter cette matière première.
Freud développe que ce sont essentiellement les expériences traumatiques qui vont être évacuées par la psychée, et en particulier la forme réactualisée de ces expériences qui se répètent à l’identique du fait de l’échec de la réflexivité. Face à la menace de désorganisation de la subjectivité et de l’actualisation du traumatisme, la psychée externalise alors au nom du principe de plaisir/déplaisir, ce qui n’est pas ou trop peu symbolisé. Le psychisme cherche en effet à introjecter ce qui est source de plaisir, et à éviter ou rejeter à l’extérieur ce qui est source de déplaisir.
Cette solution est à la base du phénomène de transfert, et son traitement au sein des dispositifs symbolisants nécessite la mise en place de trois fonctions :
- La fonction phorique, qui permet de contenir et recueillir ce qui est transféré.
- La fonction sémaphorique, qui permet de mettre en signe la matière psychique accueillie.
- La fonction métaphorique, qui permet de rendre cette matière symbolisable et intégrable.
Dans le transfert, le clinicien s’offre donc comme espace de réception et d’objet pour le transfert, ce qui implique parfois deux difficultés. Du côté du clinicien, il va falloir qu’il supporte d’être utilisé comme une poubelle. Du côté du patient, il peut y avoir une crainte d’utiliser le clinicien et de le traiter comme un objet, avec la culpabilité et la honte que cela implique.
Or, Roussillon développe que ces deux difficultés peuvent être contournées grâce à l’utilisation d’un objet médiateur, sur lequel sera détourné le processus évacuateur, ou du moins une partie. Cet objet médiateur va représenter le clinicien et ainsi, présenter des qualités du Médium Malléable, permettant alors à cet objet d’accueillir et de mettre en forme la matière psychique. La rencontre clinique à médiation se propose donc d’utiliser un ou plusieurs objets présentant des propriétés Médium Malléable et venant s’ajouter au médium central de la parole.
Caractéristiques et spécificités des espaces et dispositifs médiateurs
Le choix du médium est une question d’importance, et doit correspondre aux systèmes perceptivo-sensori-moteurs prévalents du sujet, chaque médium privilégiant un mode de rapport spécifique et un transfert spécifique. De plus, on ne transfère pas n’importe quel contenu psychique sur n’importe quel objet ni n’importe quel médium, c’est le choix du médium qui détermine le type d’expérience subjective. Il est alors nécessaire que la perception actuelle du médium soutienne ce que le sujet est en mesure de réactualiser, qu’il y ait une co-incidence entre l’hallucination et la perception.
Le médium doit pouvoir être amené en position de symboliser la fonction de symbolisation, ce qui suppose le transfert sur l’objet médiateur de la fonction représentative et la libre utilisation du médium pour symboliser.
Ces conditions supposent alors une attitude interne du côté du clinicien, qui doit écouter et repérer les indices du travail de symbolisation pour essayer de dégager celui-ci. Or, cela implique que le clinicien ne soit que le présentateur du médium, qui va être donné au sujet, sans rivalité ni possession, pour être utilisé par ce dernier. Le clinicien est quant à lui le garant du cadre du maintien de l’activité de symbolisation, et ses interventions doivent donc être destinées à optimiser l’utilisation du dispositif.
Chaque médium possède des qualités et des limites propres, en fonction de sa matière et ainsi du type de sensori-motricité qu’il mobilise. Ces limites peuvent ouvrir sur la symbolisation de l’absence et les limites de la symbolisation, mais un seul médium ne saurait donc suffire à la rencontre et à la pratique clinique. La tâche de cette rencontre clinique est donc de dépasser la question du médium pour dégager une fonction médium, où l’on repère les différentes propriétés du Médium Malléable.
Le matériel offert par le médium va pouvoir servir d’inducteur aux associations focales du clinicien, c’est-à-dire que la chaîne associative du patient va elle-même servir d’induction à l’associativité du clinicien. C’est un travail de co-associativité dont le modèle général peut être donné par le Squiggle-play de Winnicott où le patient propose quelque chose, le clinicien fait quelque chose de ce que le patient propose, et ainsi de suite. C’est dans cette conversation que va pouvoir s’approprier la symbolisation de l’expérience en souffrance engagée dans la rencontre clinique.
Pour cela, le clinicien va pouvoir être guidé par la manière dont le médium est utilisé par le sujet, c’est-à-dire la manière dont ses différentes propriétés sont utilisées pour l’activité de symbolisation. Cette utilisation renseigne en effet sur le rapport primaire à l’objet du sujet, ses capacités utilisables et inutilisables. Le rapport entretenu avec le Médium Malléable renseigne également sur la manière dont l’activité de symbolisation a été reconnue et accrédité dans le rapport à l’objet.
En conclusion, Roussillon explique qu’à partir du transfert de la fonction symbolisante sur les objets-symbolisants, ce sont les particularités de la manière dont l’objet a incarné sa fonction symbolisante qui deviennent reconstructibles et analysables. Cela permet également de mieux saisir les besoins du Moi nécessaire au sujet dans cet instant, et ainsi les caractéristiques relationnelles que la fonction symbolisante doit rendre possible, c’est-à-dire les réponses que le clinicien doit apporter au sujet.
Le clinicien est un Médium Malléable, qui peut utiliser des objets comme ramifications représentant le clinicien et présentant également des qualités Médium Malléable. Il s’agit aussi de proposer des Médium Malléable permettant de symboliser la symbolisation, avant de travailler sur la symbolisation elle-même.