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Pollutions et marécages

Pollutions et marécages Zoom sur Pollutions et marécages (Suite de l'article)

Les associations collectives
J'ai mis ce titre parce que j'aime aller à la pèche. Avec une petite bière?
Moi non, je fais la truite alors je marche.
Les rives, c'est les trucs bruns ? C’est boueux alors.
Là, il y a une usine qui pollue, qui déverse dedans. Le truc en haut avec les carrés rouges, c'est moche, ça pollue tout.
Et là, l'autre truc rouge en bas, c'est des épines sur une branche, ou du sang à cause des épines.
C'est comme nous, ça souffre.
Je ne vois pas le rapport avec la rivière
. Je retournerais à la pèche de toute façon.



La part polluée de soi


Dans l’un des dessins, intitulé « La rivière et ses rives » les associations d’idées groupales conduisent à la notion de pollution, que les patients relient au sentiment de pollution intérieure de leurs corps. Des idées tournent autour du sevrage, du fait que le produit quitte leurs corps et certains évoquent leur sevrage difficile
. La couleur brune des rives est convoquée pour souligner le côté sale et marécageux, boueux, déjà vu lui aussi dans un des autres dessins, mais qui avait été évité à ce moment-là. Cette fois la boue est intégrée et les associations libres du groupe conduisent directement de la pollution au sang, avec une confusion entre épines et sang, représentés par le même élément graphique. Ce télescopage glisse vers eux immédiatement et le « ça souffre » en dit long sur la confusion et la réduction de l'être à l'objet.

Cette notion de pollution m’évoque la représentation négative qu’ils ont d’eux-mêmes, appuyée sur la représentation négative sociétale. Une question qui se pose très fréquemment s’articule autour de leur sentiment de valeur. Ils se demandent si ce qu'ils créent a de la valeur, comme la perle de l’huître ou comme les œuvres de Picasso. Ce peintre est souvent cité en modèle d’identification comme pour donner une valeur ou un sens à ces jeux graphiques qui leur semblent trop enfantins. Cette notion de valeur traverse souvent l’espace des séances d’ergothérapie, surtout dans un service d’addictologie où la désignation de l’autre comme mauvais objet est très forte.

La tentation de rendre beau, neuf, propre, de recommencer à zéro, de repartir d’un bon pied, est un mirage très attirant pour les patients. Dans ce fantasme de se débarrasser d’une partie mauvaise, M. Monjauze (2011) perçoit une quasi « amputation » d'une partie de soi-même. Elle évoque un clivage entre la part alcoolique de la personne et la partie saine, ainsi que la difficulté à faire co-habiter ces deux parties. Elle affirme la nécessité d’un travail en psychothérapie pour pouvoir intégrer en soi la partie alcoolique.

Je me souviens de cette patiente, protestant de la formulation d'une de mes consignes : « Ange ET démon ». Cette femme, si abîmée par une pancréatite ballonnant son ventre de façon impressionnante, s'était alors exclamée: «Ah non, c'est ange OU démon, pas les deux ! ». Elle manifestait ainsi le désir de se débarrasser de sa part alcoolique, désignée comme démoniaque. Mais ce désir était-il vraiment le sien ? Ou celui des thérapeutes que nous sommes, mandatés par la société, pour que la partie saine, socialement acceptable soit mise en valeur, tandis que la mauvaise part devrait disparaitre ? Cette attitude me semble bien faire écho à celle d'un thérapeute qui, en réaction à la consigne sur le thème du monstre, s'était exclamé : « Mais ce n'est pas beau, un monstre ! Pourquoi vouloir montrer cela ? ». Finalement, ce serait mieux si ce monstre pouvait rester dans les profondeurs de l'inconscient.



Les associations collectives (suite)
Une rivière vue de loin, vue d'en haut.
Oui mais alors, c'est quoi le truc jaune au milieu ? Là les deux ailes ??
Un papillon. Si regarde là, deux ailes mais pas de corps.
Où cà ? Je le vois pas.
Il faut regarder de près, enfin non, c'est comme si le papillon était plus près, au dessus, enfin devant quoi. Il est sur une branche brune, c'est la rive de la rivière qui fait la branche,
Il faut changer de regard, voir de loin ou de près.
Ah oui, je le vois et au dessus il y a une bestiole bleue, comme un oiseau, là, la tête aussi grosse que le corps.
Non c'est pas un oiseau, c'est un écureuil. Avec une queue touffue.
Euh tu as déjà vu un écureuil toi ? On dirait pas !!
Bon, on est dans la nature quoi....


Changer de perspective

Qu'acceptons nous de voir ou pas? Quel regard portons nous sur ce que nous donnent à voir nos patients qui peut nous déranger ou nous insupporter. Comment trouver un autre regard sur ces parts alcooliques envahissantes qui conduisent certains patients à des états de dégradation et d'incuries parfois insupportables? Comment ne pas confondre la personne et sa part alcoolique?
Une seconde partie d'associations d"idées semble nous emmener sur cette piste. Il s'agit alors de savoir si l'on voit les choses de près ou de loin. Je souligne qu'il est question de changer de regard, de point de vue. Cette idée de voir les choses autrement les satisfait et ils relient cela à leur venue ici, à l'éducation qui leur est donnée, au fait de ne plus se voir uniquement comme des affreux alcooliques. Les associations d'idées libres autour du papillon et de l'écureuil me semblent venir aussi pour tenter de solidifier un peu les choses et de trouver un point de vue moins mouvant. Il doit être nécessaire de mettre au point avec sa vision...

D'autres questions traversent ces associations d'idées, en terme de mouvance de sentiment d’identité appuyée sur les différentes identités animales proposées dans les représentations. Une hésitation sur "ce que c'est que ce truc"  est inscrite dans les conversations, comme si une chose pouvait être équivalente à une autre. Certaines représentations centrales (comme le Titanic dans Utopies aquatiques) attirent à elle un sentiment de reconnaissance collective plutôt rassurant et qui, une fois posé et reconnu, ne laisse plus guère de place à autre chose, quitte à laisser parfois de côté de petits éléments incongrus ou dissociés du dessin central. Ces petits éléments qui peuvent souligner une étrangeté, un doute, une bizarrerie sont alors facilement oubliés au détriment de la représentation principale qui est souvent dans la zone centrale.

Cette zone centrale des dessins est toujours intéressante à explorer. Dans notre corps, la zone centrale est la zone nombrilaire, le centre de gravité. La notion de centre peut-être aisément projeté dans cet espace central de la feuille. Il reste alors à déterminer de quel centre on parle: centre de soi, centre d’intérêt, centre du nombril, centre narcissique, et tous les autres centres projetés de façon personnelle par les patients. Dans ce dessin, la zone centrale est elle-même floue. Elle présente les deux rives brunes ayant focalisé la notion de saleté et de pollution, mais elle présente aussi une forme nommée "le truc jaune", porteuse de toutes ces incertitudes. Accepter de supporter ce doute, cette incertitude devient une expérience possible, supportée par le groupe. Ne pas résoudre la question de savoir ce que c'est n'est sans doute pas très satisfaisante pour le conscient rationnel, mais permet au moins d'approcher cette zone de floue et peut-être de non sens. Et lorsque l'on sait que cette fameuse zone est centrale, il est légitime de se demander ce qu'elle symbolise pour chacun, même si là aussi, nous devrons supporter de ne pas savoir.





Les écrits de cet article sont la propriété intellectuelle Muriel Launois et n'engagent qu'elle.
Il est paru dans : Clinique et médiation (Regards croisés sur les médiations thérapeutiques)
Ouvrage de groupe, sous la direction de Florence Klein, préface de Pierre Delion, L'Harmattan, Paris, Août 2016






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